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L’inflation portée par le vent du resserrement monétaire de BAM

L’inflation portée par le vent du resserrement monétaire de BAM

La remontée du taux directeur, décidée lors du dernier conseil de Bank Al-Maghrib, est l’opérationnalisation d’une contraction monétaire qui se profile à l’horizon. Une telle décision devrait entrainer une hausse conséquente des taux débiteurs afférents aux crédits bancaires, doublée d’une augmentation des taux créditeurs servant à calculer la rémunération des dépôts. Compte tenu d’un délai de transmission vers  la sphère réelle, et par un effet de substitution, ce resserrement des conditions financières devrait décourager la consommation et l’investissement, encourager l’épargne et réduire ainsi la demande agrégée.

L’objectif de la Banque centrale étant de ralentir l’activité économique, en vue d’atténuer les tensions inflationnistes dues à un éventuel excès de demande. N’oublions pas que le taux d’inflation s’est élevé à 8,3% en septembre 2022, soit le taux le plus élevé depuis février 1992, sachant que l’inflation sous-jacente, qui fait exclusion des biens à prix volatils et à prix réglementés, a affiché un taux de 7,4% durant ce même mois. À présent que les mécanismes de cette politique monétaire sont mis en branle, la demande agrégée devrait fléchir vers le bas et l’excès d’offre qui en résulte devrait décélérer le taux d’inflation. Et ce, via des canaux de transmission qui vont du canal du taux d’intérêt au canal crédit bancaire, en passant par le canal de l’effet de richesse qu’exerce la baisse des prix des actifs sur la consommation. Il va sans dire que l’imbrication de ces canaux de transmission de la politique monétaire se réfère aux préceptes du modèle nouveau-keynésien. Ce dernier demeure le cadre analytique résolument adopté par Bank Al-Maghrib et légèrement adapté aux spécificités de l’économie marocaine.

La simulation des effets de la politique monétaire, rendue possible grâce à la transcription mathématisée et informatisée de ce modèle, a pour particularité de mettre l’accent sur les pressions inflationnistes intrinsèques à la demande agrégée. Dans cet ordre d’idées, réduire l’inflation revient à réduire la demande par une hausse du taux d’intérêt. Néanmoins, si cette relation de cause à effet s’avère plausible dans la réalité virtuelle que produit le modèle, il en est autrement dans la foule des réalités profondes et complexes qu’il s’efforce de reproduire. Des réalités qui entrent en résonance avec les singularités du contexte actuel et les comportements propres aux opérateurs économiques marocains.

À cet égard, l’allongement des délais de paiement interentreprises et le besoin en fonds de roulement qui s’en est suivi, ont créé une forte dépendance de l’activité économique aux crédits de trésorerie. Cela se reflète de prime abord dans la tendance haussière de l’encours des prêts de fonds de roulement, et qui s’est soldée par un taux de croissance en glissement annuel de 18% à fin septembre 2022. Occupant environ le tiers du total des crédits octroyés au Maroc, la part relative des crédits de trésorerie dépasse de loin celle des prêts immobiliers et des crédits à la consommation.

Ensuite, la ventilation de cette catégorie de crédits par secteurs institutionnels et par branches d’activité montre que 83% de leur encours sont accordés à des sociétés non financières privées opérant dans le secteur industriel et tertiaire, selon les derniers chiffres publiés par Bank Al-Maghrib. Par ailleurs, les structures par terme et par risque des taux d’intérêt font que le taux débiteur appliqué à ces crédits de trésorerie en est le plus faible et, de ce fait, le plus proche du niveau du taux directeur. De surcroit, ses fluctuations indiquent qu’il est relativement plus élastique au taux directeur, comparé aux taux débiteurs appliqués aux autres catégories de crédits et dont le mouvement reflète une certaine rigidité. Nous sommes donc face à des entreprises qui puisent leurs ressources financières dans des comptes débiteurs, afin de combler leurs besoins en fonds de roulement et d’éviter une rupture de leurs cycles d’exploitation.

Cette situation est à même d’étendre leurs passifs par des dettes de court terme et d’alourdir davantage leurs charges financières. Sachant que ces dernières s’avèrent proportionnelles à un taux débiteur relativement élastique au taux directeur de la Banque centrale. Dans ce contexte, la hausse du taux des crédits de trésorerie, conséquemment à la hausse du taux directeur, constitue un coût marginal de production que les entreprises devraient répercuter sur les prix de vente pour garder leurs marges de profit intactes. Tout compte fait, une hausse du taux directeur augmentera également les coûts de production, ce qui peut entraîner à la fois une hausse des prix et une baisse de la production. Bank Al-Maghrib a jugé opportun de revoir à la hausse le taux de refinancement des banques, et ce dans le but de renchérir le coût des crédits.

Dans cette perspective, c’est non seulement la demande agrégée qui devrait baisser, suite au renchérissement des crédits de consommation et d’investissement, mais également l’offre, suite à la hausse du coût des crédits de trésorerie. L’économie marocaine a été brutalisée par des chocs d’offres exogènes, en l’occurrence les chocs énergétique, alimentaire et géopolitique. Aujourd’hui, les effets de second tour de ces chocs se font ressentir à travers une inflation galopante et persistante. Or, le resserrement monétaire mené par Bank Al-Maghrib est susceptible d’amplifier ces effets de second tour, en enclenchant un choc d’offre endogène, passant par le fond de roulement des entreprises et accentuant, in fine, les tensions inflationnistes. Ainsi, une grande incertitude plane sur les tenants et aboutissants de la politique monétaire actuellement en vigueur au Maroc, du fait que la hausse du taux directeur peut à la fois ralentir l’activité économique et augmenter les prix. C’est dire qu’une inflation est portée par le vent du resserrement monétaire mené par Bank Al-Maghrib. L’idée est que dans un contexte d’inflation importée, influer sur une demande d’ores et déjà déprimée revient à conjuguer la stagnation à l’inflation, dans un semblant de stagflation. À bonne école, repenser son mal vaut mieux que mal guérir. Nul n’en doute, pas même Bank Al-Maghrib. Car à vouloir agir sur les facteurs internes d’un malaise d’origine externe, on déclenche d’autres maux, moins curables et plus extrêmes.

 

Par Hachimi Alaoui, Professeur d'économie monétaire et directeur d'équipe de recherche

 

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