Rachid Lazrak, éminent conseiller fiscal de la place casablancaise, livre pour Finances News Hebdo son avis sur la nouvelle grille de l’IS, telle qu’elle a été proposée dans la nouvelle Loi de Finances. Notre expert salue cette initiative, qui va dans le bon sens : le taux de 20% est raisonnable pour les petites entreprises et il est de nature à faciliter l’intégration dans le circuit fiscal des entreprises qui évoluent dans l’informel.
Parmi les mesures-phares du Projet de Loi de Finances 2016, l’instauration d’une nouvelle grille de l’impôt sur les sociétés (IS) est sans nul doute celle qui aura le plus d’impacts sur l’économie marocaine et le tissu national des entreprises. En effet, jusqu’à cette année, il existait deux taux pour le paiement de l’IS : un taux de 10% pour les entreprises réalisant un résultat fiscal inférieur à 300.000 DH et un taux de 30% dès 300.001 dirhams. Autant dire que l’effet de seuil est, en l’état actuel des choses, bien réel. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a introduit deux nouvelles tranches : une tranche comprise entre 300.001 dirhams et 1 million de dirhams, qui sera imposée à 20%, et celle des résultats fiscaux supérieurs à 5 millions de DH avec un taux de 31%. Le ministre des Finances a présenté cette mesure comme une «avancée extraordinaire» vers plus de justice fiscale et aussi pour neutraliser l’effet de seuil.
Rachid Lazrak, éminent fiscaliste, qui a longtemps plaidé pour une profonde réforme fiscale, salue cette initiative, qui est de nature à profiter aux petites et moyennes entreprises : «Je trouve que c’est une excellente chose d’avoir introduit la tranche de 300.001 à 1 million de DH, parce que cela concerne essentiellement la petite et moyenne entreprises, qui ont besoin d’avoir un taux intermédiaire intéressant (20% au lieu de 30%). Le fait qu’une PME soit imposée à 20%, c’est tout à fait raisonnable», souligne-t-il d’emblée.
Par ailleurs, poursuit-il, cette nouvelle grille est de nature à encourager les acteurs économiques à sortir de l’informel pour entrer dans le circuit formel, à travers des taux qui restent tout à fait convenables. «D’autant qu’il y a des sanctions qui sont prévues dans ce cadre, et un allongement de la durée de prescription pour les entreprises qui ne déclarent pas. C’est une excellente initiative».
Quant à l’ajout de la tranche supérieure, c’est-à-dire le 1% supplémentaire au-delà des 5 millions de DH, il juge qu’elle n’aura pas d’impact notable. Il y voit un moyen pour l’Exécutif de remplacer la contribution de solidarité qui n’est pas reconduite conformément à la promesse du gouvernement. Certes, l’Etat reprend d’une main ce qu’il lâche de l’autre, mais cela reste peu significatif.
«Une progressivité sage et courageuse»
Rachid Lazrak s’inscrit également en faux vis-à-vis de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), qui a milité pour la progressivité de l’IS, et qui est restée sur sa faim. «Je ne suis pas d’accord avec la CGEM. Il ne faut pas que les changements se fassent de manière trop brutale, surtout en matière de fiscalité. Jamais le Maroc n’a connu, en matière de droit des sociétés, un taux qui soit progressif, contrairement à l’IR. C’est très courageux de la part du gouvernement d’avoir introduit cette progressivité. La CGEM doit être satisfaite, surtout si l’on défend la PME. Entre 300.000 et 1 million de DH, il y a énormément d’entreprises, c’est une grande frange de l’économie marocaine. C’est une progressivité qui est courageuse et sage», juge notre expert.
R. Lazrak salue donc l’introduction de l’IS progressif, même si cela est fait de façon timide. Mais il pousse la réflexion plus loin et estime que l’IS doit s’aligner sur l’IR. En effet, le taux maximum en matière d’IR est de 38%. Aujourd’hui, la majorité des entreprises se situe dans la tranche de 1 million à 5 millions de DH, et est assujettie à l’IS à 30%. Mais en réalité, le taux d’imposition est bien supérieur, si on prend en compte la taxation des dividendes. En effet, on oublie souvent qu’en plus des 30%, lorsque l’on veut distribuer des dividendes, ceux-ci sont taxés. Ce qui amène souvent le taux d’imposition à 41 ou 42%, alors que le taux libératoire de l’IR est de 38%. Et cela crée une distorsion dont notre interlocuteur explique les effets : «C’est très bien de parler de rentabilité en termes de fiscalité, de combler un manque à gagner, d’élargir l’assiette… Mais ce que l’on cherche aussi, et c’est le rôle de la fiscalité, c’est de pousser les gens à se restructurer, à se constituer en société. D’ailleurs, il y a eu une disposition qui a été reconduite jusqu’en 2016 pour faciliter le passage des affaires personnelles à la société. L’objectif est d’éliminer un maximum d’affaires personnelles. Il aurait fallu, à mon avis, que l’on pense à une formule où il y aurait le même taux libératoire entre l’IS et l’IR». Avec un écart de 4% entre les deux, cela n’incite pas forcément les affaires personnelles à se constituer en société.
TVA : les taux réduits, un cadeau empoisonné
Rachid Lazrak est également revenu sur les nouvelles dispositions relatives à la TVA, notamment celle concernant le transport. «Le réveil est un peu tardif malheureusement. Nous avons depuis longtemps demandé de supprimer le butoir. Cette Loi de Finances va dans ce sens, et c’est une très bonne chose. Le butoir est quelque chose d’anormale. On a longtemps pensé que le fait d’avoir un taux de TVA réduit est un cadeau. Or, j’ai toujours dit que c’est un cadeau empoisonné. Ce n’est que maintenant que les gens commencent à comprendre pourquoi. L’idéal c’est de bénéficier d’un taux normal de 20% pour éviter le butoir. On est en train de mettre en place un système de remboursement et on se dirige vers la surpression du butoir». Boussaïd n’aurait pas dit mieux…
Amine Elkadiri