Le Maroc a élargi l’accès aux services financiers, mais le défi reste d’en démocratiser l’usage réel. L'inclusion financière passe désormais par l’éducation, l’innovation et une transformation durable des comportements.
Par Y. Seddik
A quoi sert un compte bancaire si l’on ne sait pas s’en servir ? Derrière la progression affichée de la bancarisation au Maroc, les défis de l'inclusion financière restent entier. Réunis à Casablanca ce 28 avril lors d'une conférence consacrée à l’inclusion financière organisée par Aujourd’hui le Maroc, les représentants de Bank Al-Maghrib, de la Fondation pour l’éducation financière et d’Al Barid Bank ont confronté la réalité du terrain aux ambitions nationales : démocratiser l'accès, certes, mais surtout transformer l'usage en levier d'autonomie économique.
Depuis 2017, le Maroc a fait un bond spectaculaire en matière d’accès aux services financiers, grâce notamment au développement des établissements de paiement et à l’engagement d'acteurs comme Al Barid Bank dans les territoires ruraux. Mais l’accès ne suffit pas. «Ouvrir un compte est une première étape; en faire un outil actif de gestion et d'épargne en est une autre», rappelle Ibtissam El Anzaoui, directrice adjointe de l’Inclusion financière et du Développement durable à Bank Al-Maghrib.
La question n’est plus seulement de savoir combien de comptes sont ouverts, mais combien sont réellement utilisés pour améliorer la vie économique des citoyens. Car si la bancarisation progresse, l'usage quotidien des services reste en retrait, signe que l'éducation financière n'est pas un simple adjuvant, mais une condition sine qua non du succès de l'inclusion.
Éduquer pour mieux inclure
À ce défi structurel, la Fondation marocaine pour l’éducation financière oppose une stratégie patiente : développer la culture financière dès l’enfance, sensibiliser les jeunes adultes à la gestion budgétaire et accompagner les entrepreneurs informels vers une formalisation progressive. «L'inclusion ne peut être durable sans des citoyens capables de choisir, d'utiliser et de maîtriser les services financiers en fonction de leurs besoins réels», souligne Imane Benzarouel, directrice adjointe exécutive de la Fondation marocaine pour l'éducation financière. L’enjeu est d’autant plus complexe que les publics sont hétérogènes. Jeunes connectés, ruraux isolés, femmes entrepreneures ou travailleurs informels : chaque cible appelle des outils pédagogiques adaptés. Si le digital apparaît comme une opportunité majeure pour toucher massivement les nouvelles générations, la fracture numérique demeure, imposant une approche hybride mêlant technologie et présence de terrain.
Le digital, levier autant que risque
La transition numérique, accélérée par la crise sanitaire, a permis des avancées notables : possibilité d’ouverture de comptes à distance, développement du mobile banking, émergence d’outils de microfinance plus accessibles. Al Barid Bank revendique d’ailleurs près de 46% des transactions clients réalisées aujourd’hui via mobile, contre 2% seulement en 2016. «Le digital offre un potentiel immense pour élargir l'accès aux services financiers, mais il exige aussi d'accompagner les usagers pour leur permettre d'en tirer pleinement parti, en toute sécurité», a souligné, pour sa part, M’hamed El Moussaoui, Directeur général d’Al Barid Bank.
Mais le numérique n’est pas sans revers. Sécurité des données, risques cyber, usurpations d'identité : autant de menaces qui pèsent sur la confiance, pilier de l’inclusion durable. Consciente de ces enjeux, Bank Al-Maghrib insiste sur l’importance d’un cadre réglementaire proportionné, capable de stimuler l'innovation tout en protégeant les consommateurs. «La digitalisation est une chance, mais elle doit s'accompagner d'un renforcement des compétences digitales des utilisateurs», rappelle El Anzaoui. Alors que s’achève la première phase de la Stratégie nationale d’inclusion financière (2019- 2023), les acteurs tracent déjà les contours du futur chantier.
Cap sur une massification de l'usage, un ancrage plus profond des services financiers dans la vie quotidienne, et une inclusion renforcée des segments vulnérables, à commencer par les très petites entreprises et les populations rurales. Pas seulement ouvrir un compte, mais permettre à chacun (particulier, entrepreneur, jeune ou rural) d’en faire un levier d’autonomie, de protection et de développement. C’est là que l’inclusion financière trouve son vrai sens : non dans les statistiques, mais dans les pratiques.