Avec la généralisation de l'AMO, les courtiers verraient leurs commissions amputées de 400 millions de dirhams. La collaboration entre acteurs est cruciale pour une transition réussie vers une couverture médicale universelle.
Par Y. Seddik
Le Maroc est à l'aube d'une transformation majeure de son système de santé avec la généralisation de l'Assurance maladie obligatoire (AMO). Ce projet ambitieux, qui vise à étendre la couverture médicale à l'ensemble de la population, suscite des réactions contrastées au sein du secteur des assurances. Si cette réforme, prévue depuis près de vingt ans, est saluée comme une avancée sociale majeure, elle soulève également de vives inquiétudes quant à son impact économique sur les compagnies d'assurances et les intermédiaires.
En effet, le basculement des assurés du secteur privé, la «population 114», vers la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) représente un manque à gagner considérable pour les acteurs du marché. Les assureurs pourraient perdre jusqu'à 4 milliards de dirhams de primes, tandis que les courtiers verraient leurs commissions amputées de 400 millions de dirhams. Certains intermédiaires, dont le portefeuille est fortement concentré sur l'assurance maladie, risquent de perdre jusqu'à 30% de leur chiffre d'affaires, menaçant leur survie.
Lors de la 8ème rencontre annuelle de la Fédération nationale des agents et courtiers d'assurance du Maroc (FNACAM), tenue à Casablanca, Farid Bensaid, président de la Fédération, a alerté sur les pertes significatives attendues : «Notre secteur va passer par une zone de turbulence. Près de 30% du chiffre d'affaires de certains courtiers et agents risquent de disparaître du jour au lendemain», a-t-il déclaré. De son côté, Mohamed Hassan Bensalah, président de la Fédération marocaine des assurances (FMA), a souligné l'ampleur du défi : «le transfert de l'Assurance maladie de base de nos 1.400.000 assurés vers la CNSS n'est pas réjouissant pour notre secteur. Ce transfert ne se fera pas sans dégâts, pour toutes les parties prenantes».
L'assurance complémentaire : une planche de salut ?
Face à ce bouleversement, les intermédiaires d'assurance cherchent des solutions pour assurer leur pérennité. La diversification de leurs activités apparaît comme une nécessité. L'assurance complémentaire, qui couvre les frais non pris en charge par l'AMO, représente une opportunité de développement pour le secteur. Les professionnels de l'assurance appellent également à une révision des taux de commissionnement pour compenser les pertes liées à la généralisation de l'AMO. Ils demandent également au régulateur d'ouvrir de nouvelles prestations pour leur permettre de diversifier leur offre.
Farid Bensaid a insisté sur la nécessité de repousser la date d'entrée en vigueur du basculement vers l'AMO à 2029, de ne pas prévoir trop de prestations dans l'AMO pour laisser de la place à l'assurance complémentaire, et d'exonérer cette dernière de la TVA. Il a également demandé une révision des taux de commission pour les intermédiaires et la digitalisation de la gestion de l'AMO. Néanmoins, Hassan Boubrik, Directeur général de la CNSS, a rejeté l'idée de prolonger les délais: «Un délai de cinq ans pour passer à ce tant attendu basculement vers l’AMO n’a pas de sens. Opter pour un tel délai donne l’impression qu’on gagne du temps au détriment de la grande réforme de la généralisation de la couverture sociale», a-t-il affirmé.
Vers de nouvelles opportunités
Malgré les inquiétudes, les autorités et les professionnels s'accordent sur la nécessité de diversifier les métiers du réseau des agents et courtiers pour compenser les pertes futures. Abderrahim Cheffai, président de l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS), a mis l'accent sur l'innovation : «Nous travaillons avec l’ensemble des acteurs pour l’évaluation de l’impact de ce basculement sur le secteur des assurances. L’objectif est de se préparer à cette réforme en proposant des solutions pour développer l’assurance maladie complémentaire».
De plus, la FNACAM et la FMA explorent des pistes telles que la responsabilité civile obligatoire pour les habitations et de nouveaux services pour répondre aux besoins évolutifs du marché. Mohamed Hassan Bensalah a insisté sur la nécessité de ne pas s'éloigner du cœur de métier : «nous sommes des spécialistes de la gestion des risques, et nos réseaux doivent demeurer orientés vers le développement de nos produits».