Des entreprises en difficulté, pour des raisons diverses, pourraient avoir besoin pour survivre d’injection de nouveaux capitaux.
En contexte inflationniste, la prévision de remontée des taux d’intérêt atténuerait l’engouement pour les fusionsacquisitions, vu l’incertitude sur le coût des intrants et la capacité à répercuter ces augmentations sur les prix de vente.
Entretien avec Naoufal El Khatib, Partner Financial Advisory Mazars au Maroc.
Propos recueillis par M. Diao
Finances News Hebdo : Le contexte actuel, marqué par une conjoncture économique difficile (inflation, sécheresse, projection d’une croissance faible pour 2022) est-il propice aux opérations de fusions-acquisitions au Maroc ?
Naoufal El Khatib : Il convient de rappeler que les opérations de fusions-acquisitions sont avant tout des opérations destinées à maximiser la création de valeur, essentiellement par la recherche de synergies ou d’opportunités de développement. Dans ce sens, le contexte actuel peut être favorable à certaines opérations dans le sens où des entreprises pourraient se trouver en difficulté pour des raisons diverses et auraient besoin, pour survivre, d’injection de nouveaux capitaux pour financer ces moments difficiles ou amorcer des virages stratégiques, par exemple la digitalisation. De plus, l’importance accrue du commerce transfrontalier est de nature à encourager les regroupements en vue d’une recherche de capacités plus importantes dans le domaine industriel. Ceci étant, il convient de rappeler qu’en contexte inflationniste, la prévision de remontée des taux d’intérêt atténuerait cet engouement, vu l’incertitude sur le coût des intrants, d’une part (dont le coût de l’endettement), et à la capacité à répercuter ces augmentations sur les prix de vente. Personnellement, je suis d’avis que ces opérations auront tendance à croître en raison des éléments suivants :
• Processus de rattrapage post-covid, vu que durant la pandémie, ces opérations ont été ralenties;
• La situation géographique du Maroc, en relation avec certaines activités industrielles et le processus de relocalisation en cours;
• Le fait que le Maroc est de plus en plus souvent considéré comme une plaque tournante des opérations continentales de certains groupes.
F.N.H. : Depuis le début de l’année, le marché national a-t-il enregistré des opérations de fusions-acquisitions majeures ?
N.E.K. : Le marché marocain a enregistré de nombreuses opérations de fusions-acquisitions depuis l’atténuation des incertitudes en relation avec les effets de la pandémie Covid-19 (lesquelles incertitudes n’ont pas totalement disparu). Exception faite des opérations menées par les fonds d’investissement, de nombreuses opérations effectuées directement par les opérateurs économiques ont eu lieu, dont la plus importante, à mon avis, est l’opération portant sur Crédit du Maroc (acquisition par Holmarcom des titres détenus par Crédit Agricole France).
F.N.H. : Au Maroc, généralement, quelles sont les raisons qui sont à l’origine des opérations de fusions-acquisitions ?
N.E.K. : Les raisons des opérations de fusions-acquisitions sont diverses et répondent en général aux différents cas possibles : ouverture de nouvelles activités, concentration verticale… Nous remarquons également que de nombreuses entreprises étrangères choisissent le Maroc pour leur implantation à dimension nationale ou continentale et privilégient dans ce sens l’investissement dans des entreprises existantes, évitant autant que possible les processus Green field, souvent compliqués à gérer, sur des marchés jugés (à tort ou à raison) compliqués. Par ailleurs, la crise postCovid 19 vécue au niveau mondial a eu également pour conséquence le recentrage stratégique de certains groupes sur des activités Core business, impliquant la cession d’activités (et d’entités) jugées dorénavant moins stratégiques.
F.N.H. : Quelle appréciation faites-vous de la nouvelle posture adoptée par le Conseil de la concurrence en matière de contrôle des opérations de concentration économique ?
N.E.K. : Si par nouvelle posture vous entendez le processus de régularisation des infractions pour défaut de notification (1% du CA de chaque entité participant à l’opération), mon avis est mitigé en relation avec ce sujet. Le processus en luimême est impeccable, puisqu’il ouvre la voie aux entreprises de régulariser leur situation légale pour des infractions formelles (absence de notification), sans préjudice des éventuelles décisions du Conseil en termes de fond du sujet (concentration). Toutefois, je pense que la fixation de l’amende à 1% du CA de chaque entité à l’opération est excessive pour un défaut formel de notification en raison des éléments suivants :
• Le droit de la concurrence est relativement récent au Maroc et le processus de communication adopté en relation avec cette législation n’a pas atteint les différentes couches de l’économie concernées;
• Le Conseil de la concurrence a connu des mois de vacance en raison de la fin du mandat des membres du Conseil, créant pour le moins une confusion juridique auprès des opérateurs;
• La législation en matière de seuils etc. est en cours de révision, eu égard au fait que depuis de nombreuses années, l’actuelle législation a pour conséquence que la majorité des opérations sont «notifiables», pour des raisons d’arithmétique des chiffres d’affaires, sans incidence réelle sur l’avis définitif du Conseil (par ex, une entreprise agissant dans la chimie réalisant un CA de 500 millions de DH qui procède à l’acquisition d’une entreprise dans le digital réalisant un CA de 25 millions de DH). Ainsi, les seuils de chiffre d’affaires définis par la législation sont assez bas et ont pour conséquence une quasi automaticité de l’obligation de notification à l’autorité de la concurrence.
Personnellement, j’aurais trouvé plus approprié de :
• Maintenir le mécanisme de régularisation de la sanction (le 1% par ex) avec un minimum et un maximum (symbolique) de manière provisoire.
• Appliquer les bases de sanction prévues actuellement si des problèmes de concentration pouvaient être vérifiés.
F.N.H. : Enfin, quelle est la valeur ajoutée des cabinets de conseil lors des opérations de fusionsacquisitions ?
N.E.K. : Les cabinets conseils jouent un rôle très important dans ce type d’opérations en apportant leur assistance aux opérateurs, en relation avec toutes les expertises nécessaires pour faire aboutir des opérations. A ce titre, les opérateurs envisageant de réaliser ces opérations de fusionsacquisitions font appel aux services des cabinets de conseil sur 3 phases : «Préparation de l’opération», «Processus de vérification» et «Implémentation de l’opération». Lors de ces différentes phases, les cabinets de conseil accompagnent leurs clients sur les principaux volets (non exhaustifs) suivants : études de marché, expertises industrielles et immobilières, conseil en matière financière, conseil en matière juridique et fiscale …