La question qui se pose d'emblée est pourquoi un fonds pour financer des mégaprojets d'infrastructures en Afrique ? La réponse est simple : l'Afrique pâtit d'une insuffisance structurelle en termes de financement des besoins en infrastructures. Ces besoins sont estimés à 100 milliards de dollars chaque année, alors que seulement 50 milliards sont injectés. Il existe donc un gap lourd à combler. Ce qui fait dire à Charles Boamah, vice-président Finances de la Banque africaine de développement que «l'Afrique est le continent des miracles, puisqu'elle réalise 5 à 6% de croissance sans infrastructures». Mais il y a «plusieurs points de PIB qui sont perdus à cause du manque d'infrastructures», déplore-t-il. Les enjeux et les défis qui attendent le continent africain sont immenses. Chaque année, 15 à 20 millions de jeunes africains débarquent sur le marché du travail. Il faut donc créer les conditions d'une croissance inclusive et assurer la création de suffisamment d'emplois pour absorber cette demande. «On n'arrivera pas à tous les intégrer sans ces points de croissance perdus», explique C. Boamah. Et dans cette optique, le développement accéléré des projets d'infrastructures, notamment énergétiques et de transports, jouera un rôle essentiel.
Pourquoi un fonds différent de la BAD ?
La BAD a largement joué sont rôle de bailleur de fonds depuis plus de 50 ans. Il s'agit maintenant de passer à la vitesse supérieure avec le fonds Africa50 qui prendra le relais. L'expérience de la BAD en matière de financement de projets n'est plus à démontrer. Sur les 6 dernières années, 49 projets d'infrastructures ont été financés par la banque de développement sur tout le continent. Le montant de départ de ses 49 projets était de 3,1 milliards de dollars, ce qui a permis de mobiliser plus de 30 milliards de dollars grâce au secteur privé. Il y a donc un fort effet multiplicateur. Les responsables de la BAD avancent que sur ces 49 projets, aucun ne s'est soldé par un échec. Ce qui constitue un signal important à destination des marchés financiers sur la fiabilité des projets et leur caractère bancable. Ce qui est de nature à rompre avec l'image de l'Afrique terre de risque. Mais là où les financements de projets d'infrastructures initiés par la BAD étaient essentiellement le fait du secteur public, il s'agit à présent, avec le fonds Africa50, d'inverser le rapport financement public/ financement privé dans les montages financiers en faisant la part belle aux ressources du privé provenant du monde entier. A cet égard, Africa50 se positionne en tant que société financière à vocation commerciale, avec la possibilité pour le privé d'en être actionnaire, alors qu'à contrario l'actionnariat de la BAD est réservé aux Etats. «On veut que le privé prenne la part du lion», déclare Kalidou Gadio, conseiller juridique général de la BAD.
Autre différence de taille, le fonds, en fonctionnant comme une société financière commerciale, peut se permettre de prendre plus de risque, et donc offrir une meilleure rentabilité dans les meilleurs délais. Ce délai, qui est généralement de 7 à 10 ans pour les mégaprojets d'infrastructures, pourrait être réduit à 3 ans. Et on évoque une rentabilité de près de 8 à 10% pour les projets.
Comment le fonds est-il structuré ?
Comme cela a été dit, Africa50 sera établi comme une société financière à vocation commerciale avec sa propre structure de bilan, de gestion et de gouvernance. Le fonds fonctionnera comme un guichet unique («one stop shop») qui travaille sur les projets de A à Z, puisqu'il combinera les activités initiales de développement des projets à celles de leur financement à long terme.
D'un point de vue institutionnel et par sa gouvernance, Africa50 sera le moteur de la mobilisation des fonds et un cadre de collaboration tant des acteurs publics que privés. Il s'agit d'attirer les investisseurs du monde entier vers des projets d'infrastructures rentables et viables commercialement. Pour prétendre aux financements du fonds, les projets devront répondre à un double impératif : d'une part, ils devront être viables commercialement et, d'autre part, tournés vers le développement. A en croire Tas Anvaripour, fraîchement nommée à la tête d'Africa50, plusieurs projets en phase de restructuration sont déjà dans le pipe.
Où trouver les 100 milliards de dollars ?
Au départ, Africa50 sera doté de 3 milliards de dollars en fonds propres. L'objectif à moyen et long terme est de porter cette capitalisation à 10 milliards de dollars. Ce qui sera de nature à lever les 100 milliards de dollars que réclame le développement des infrastructures en Afrique.
Pour constituer ces fonds propres, 3 catégories d'actions seront émises : des actions de catégorie A destinées aux Etats, celles de catégories B pour les institutions publiques, régionales et internationales de financement, et les actions de catégorie C à destination des sociétés privées et des particuliers. Ce tour de table une fois constitué, la chasse aux investisseurs peut battre son plein.
Pour l'instant, la collecte de fonds vient de débuter, et ce démarrage est prometteur selon les responsables de la BAD. Des appels à intérêts seront réalisés et un pool de conseillers qui sillonneront le monde pour lever des fonds sera créé.
L'épargne à long terme en Afrique est également dans la ligne de mire. "Les Africains sont riches. Faute d'instruments disponibles, nous ne parvenons pas à mobiliser leurs ressources. Avec Africa50, cela va devenir possible", précise K. Gadio. Quant à savoir si Africa50 prévoit d'entrer en Bourse, les responsables du fonds ne l'excluent pas et répondent «pourquoi pas». Il pourrait s'agir, selon eux, d'un moyen efficace pour mobiliser encore plus de fonds. Dans deux ans, le capital pourrait être ouvert au grand public à travers une émission obligataire ou des actions. En revanche, rien n'indique que cela se fera à la Bourse de Casablanca. Ces mêmes responsables précisent que tous les financements sont les bienvenus, y compris les Sukuks qui inondent de plus en plus les marchés financiers.
Comment maîtriser les risques ?
La problématique du risque inhérent aux financement de projets africains sont balayés par les responsables de la BAD : «Nous avons de l'expérience en matière de gestion de risque à la BAD. Nous appliquons les meilleures pratiques en termes de gestion de risques, et nous disposons d'auditeurs très solides».
A ce propos, K. Gadio précise que la BAD ne se limite pas uniquement à la gestion des risques classiques, mais apporte aussi des réponses aux risques de bureaucratie et à ceux institutionnels : «Nous avons conscience de ce genre de risque et on le réduit au maximum grâce à notre expérience».
En matière de notation, le fonds Africa50 cible le A simple (alors que la BAD vient de se voir confirmer le triple A). Le A simple permettra d'attirer les sources de financement sans restreindre la possibilité de prendre des risques calculés et de proposer une rentabilité plus alléchante. Nul doute que les débuts du fonds seront très suivis par les marchés financiers. En gage de confiance pour les investisseurs, la BAD prévoit de participer au fonds à hauteur de 500 millions de dollars.
Une «date historique» pour CFC
Le fonds Africa50 qui s'installe à Casablanca Finance City (CFC), c'est un peu la raison d'être de la toute jeune place financière qui se concrétise : devenir une plateforme pour les flux financiers internationaux à destination du continent. Les responsables de la BAD affirment que le choix de CFC pour accueillir le siège de Africa50 est un choix judicieux. Il découle d'ailleurs d'un processus de sélection rigoureux. CFC a été préférée à une dizaine de places financières africaines, dont celles de Maurice et Johannesburg.
Pour K. Gadio, «le Maroc a été assez intelligent en mettant déjà en place une structure comme CFC», avec une réglementation adaptée et des incitations fiscales très attractives.
Quant à Said Ibrahimi, directeur général de CFCA, il souligne «la pertinence du positionnement» de la place financière marocaine. Un tel fonds panafricain qui s'installe à Casablanca, c'est «idéal pour démarrer la place financière», se réjouit-il. A voir l'écho qu'a eu cet évènement dans la presse spécialisée régionale et internationale, CFC jouit à présent d'un coup de projecteur et d'une visibilité sans précédents.
A.E