- Finances News Hebdo : Comment peut-on évaluer la base imposable d'un revenu agricole ?
- Youssef Oubouali : Il existe plusieurs techniques d'évaluation : la première méthode est la méthode forfaitaire, c'est-à-dire qu'on fait une moyenne par type d'agriculture par région et puis on impose, selon cette base, l'agriculteur parce qu'il est très difficile pour une activité agricole de faire une évaluation réelle.
En effet, l'évaluation réelle suppose la tenue d'une comptabilité, mais c'est une méthode très délicate et elle n'est pas utilisée par les pays qui imposent l'agriculture. Ils préfèrent mettre en place des forfaits, ça veut dire qu'ils vont calculer les forfaits par région. Par exemple, pour la région Chaouia-Ouardigua concernant le blé, on évalue le rendement par hectare et on fixe un prix en conséquence.
Par contre, pour les personnes qui travaillent dans d'autres activités et détiennent une comptabilité, il est très facile pour elles d'utiliser la méthode réelle.
Mais le vrai problème ne réside pas à ce niveau. En fait, quand on parle de matières imposables, les gens pensent automatiquement et seulement aux produits. Or, la matière n'est pas uniquement un produit, ce sont des produits desquels on va retrancher des charges.
Il faut souligner que l'agriculture est intiment liée au secteur informel, ce qui va créer des problèmes d'input.
L'agriculteur, quand il va acheter les engrais ou qu'une tierce personne vient travailler avec lui, dans la plupart des cas, ne prend pas sur ces prestations des pièces justificatives; et le jour où il voudra les prendre, ses charges deviendront déductibles.
Généralement, la main-d'œuvre n'est pas déclarée et une non-déclaration de main-d'œuvre est une arme à double tranchant, puisque, d'une part, on ne paye pas les charges sociales et que, d'autre part, on ne détient aucune preuve qu'effectivement cette personne a travaillé chez l'agriculteur.
Quand on passe au système de comptabilité, il faut déclarer les personnes. Tout ceci concerne juste le problème de l'IS.
L'autre problème est relatif à la TVA, puisque l'activité agricole n'est généralement pas soumise à la TVA, ce qui cause énormément de problèmes. Ceux qui achètent de l'extérieur ne récupèrent pas de TVA, ce qui pose un problème de compétitivité. Donc il faut imposer en matière de revenu et généraliser en matière de TVA.
- F.N.H : Est-ce que l'Administration fiscale dispose des outils nécessaires en termes d'effectifs pour assurer les différentes opérations de contrôle et de recouvrement ?
- Y. O. : Jusqu'à présent, le problème d'insuffisance d'effectifs n'est pas lié uniquement à l'agriculture, mais s'étend à tous les secteurs d'activité. Le constat aujourd'hui est que l'Administration fiscale ne dispose pas de tous les effectifs nécessaires pour faire le contrôle. Mais à présent que les déclarations vont commencer par se faire via Internet, l'Administration a lancé un appel d'offres pour acquérir un ERP ; on peut, dans ce cas, optimiser le contrôle. Mais il est quasiment impossible de contrôler tout le monde et ce n'est pas seulement le cas du Maroc. L'Administration mettra donc en place un ERP pour déterminer ce qu'on appelle une cartographie des risques permettant de savoir là où le risque est important. On part directement chez les personnes qui ont commis beaucoup d'irrégularités.
- F.N.H : Les recettes fiscales liées à l'agriculture ne dépassaient pas, avant leur exonération, 5% des recettes fiscales totales . Est-ce que vous pensez que le potentiel fiscal du
secteur a évolué ces 20 dernières années ?
- Y. O. : Oui. L'agriculture s'est modernisée, mais tout dépend de ce qu'on entend exactement par agriculture, puisque l'agriculture subit une transformation primaire ou une transformation secondaire.
Pour moi, il faut comparer la contribution de l'agriculture au PIB et la comparer aux recettes fiscales liées à l'agriculture. Il n'est pas logique que l'agriculture représente 15% du PIB et, qu'en terme de fiscalité, elle représente moins de 5%. Il faudrait qu'il y ait une corrélation entre les deux.
- F.N.H : L'agriculture marocaine se compose de deux secteurs : l'un performant, très rentable, tourné vers l'exportation, et l'autre qui traîne avec des cultures vivrières ou destinées à la consommation locale avec une rentabilité en deçà des espérances. N'est-il pas opportun de maintenir l'exonération pour ces derniers et d'imposer les premiers ?
- Y. O. : Non, pas du tout. La destination des revenus nous importe peu. Je dirais que c'est plutôt le contraire. Il faudrait, à mon avis, encourager les exportations puisqu'elles vont profiter des exonérations.
Pour les agriculteurs locaux qui vivent dans des conditions de vie très difficiles, il faudrait leur appliquer un seuil d'exonération différent des autres seuils. Par exemple, quand j'ai un revenu inférieur ou égal à 30.000 DH, je ne paye pas d'impôts. Mais on peut imaginer pour l'agriculteur un seuil différent, on peut par exemple atteindre 100.000 DH ou 60.000 DH (le double des autres activités).
En fait, il y a des agriculteurs qui refusent de s'organiser et d'autres qui veulent continuer à travailler sur le marché local, parce qu'ils profitent de la situation et si on les exonère, ils n'arrêteront jamais.
Par contre, celui qui travaille pour l'autoconsommation, on pourra éventuellement l'exonérer, sous certaines conditions, comme faire travailler avec lui les jeunes et que sa consommation soit inférieure à la consommation du secteur. Mais lui accorder des exonérations sans aucun objectif, ça n'a pas de sens.
On a suivi cette politique durant plusieurs années, mais cela n'a pas abouti. Puisque s'ils voulaient s'organiser ils auraient pu le faire depuis les années 60.
- F.N.H : L'informel reste fortement dominant dans l'agriculture marocaine. N'est-ce pas un handicap majeur pour évaluer le niveau
des activités pour l'Administration fiscale ?
- Y. O. : Même si l'informel est présent dans le secteur agricole, il n'en demeure pas moins que la fiscalisation du secteur agricole aidera à lutter contre l'informel.
Lorsqu'on imposera le secteur agricole, la part de l'informel baissera. Au début, c'est un handicap, mais à terme, c'est une bonne chose.