C’est dans les locaux administratifs du tout nouveau Carrefour de Casablanca que nous reçoit Amine Bennis, directeur administratif et financier du groupe Label’Vie. Dans cet hypermarché qui symbolise la montée en puissance du groupe, Amine Bennis évoque pour Finances News Hebdo la stratégie du groupe, ses ambitions et son business model. Il revient ici sur les spécificités du groupe, son partenariat avec le géant Carrefour et sur le comportement du titre Label’Vie en Bourse. Entretien.
Finances News Hebdo : Label’Vie a entamé l’année tambour battant, avec un plan de développement ambitieux. Pouvez-vous faire le point de l’actualité du groupe pour l’année en cours ?
Amine Bennis : Le groupe a connu des évènements majeurs durant ce semestre. Le premier concerne les ouvertures et les conversions de magasins. Nous avons réalisé une ouverture à Marrakech et la conversion au cours du mois d’août de ce magasin en hypermarché (Carrefour Bouskoura ndlr). Et nous finirons l’année avec trois ouvertures supplémentaires de supermarchés : à Casablanca, boulevard Abdelmoumen, à Larache et Meknès. Un hypermarché sera également ouvert à Tanger, dans le centre Socco Alto avant la fin de l’année, et un magasin Atacadao à Meknès. Voilà en ce qui concerne la partie ouverture et développement. Le deuxième évènement important de cette année, est le projet d’ouverture du capital de notre foncière. Dans notre groupe, il y a une entité appelée Vecteur LV (VLV) qui fait office de foncière supposée accompagner le développement de la distribution et qui est censée prendre en charge 70% de l’investissement du développement, c’est-à-dire le foncier et l’immobilier. Nos magasins se positionnent en réalité comme locataires chez VLV. L’ouverture du capital de cette entité, actée il y a 3 mois avec la BERD, est en cours de finalisation, cette dernière devrait intégrer le capital de VLV avec un ticket d’environ 500 millions de DH. Cette ouverture donne suffisamment de financement à cette entité pour pouvoir accompagner le développement du Groupe au cours des 3 prochaines années.
F.N.H. : Les réalisations financières du groupe ont été positives lors du premier semestre, notamment en termes de progression des ventes. Qu’est-ce qui explique cette progression ?
A. B. : L’augmentation du chiffre d’affaires se fait à travers deux biais : l’organique (les magasins déjà existants) et les ouvertures. La spécificité de ce premier semestre est que les ouvertures ont impacté négativement le chiffre du fait de la fermeture du magasin de Bouskoura pour des travaux de conversion. Ce qui donne encore plus de poids à la progression que nous avons réalisée. De son côté, l’organique a réalisé une progression de ses ventes de 12%. La fermeture du magasin de Bouskoura, durant le premier semestre, nous a impacté de 6%. Ce qui, in fine, donne une progression des ventes autour de 6%. C’est réellement une bonne performance au vu de la conjoncture au Maroc, et de l’inflation qui n’a pas été très importante au cours du semestre. Cette augmentation des ventes a été réalisée par les trois concepts d’activité dans lesquels nous opérons : supermarchés, hypermarchés, et hypercash (Atacadao).
F.N.H. : Les marges également se sont bien comportées…
A. B. : En effet, au-delà de l’augmentation du chiffre d’affaires, nous avons connu une belle progression de notre marge commerciale de 1,3% pour s’établir à 20,1%. Cette progression vient des trois concepts, mais essentiellement de celui d’Atacadao, qui est en train de monter en puissance après une phase de rodage. La marge progresse au fur et à mesure que le volume d’activité progresse. Elle est directement corrélée à l’augmentation des volumes d’activité. Cela signifie que notre centrale d’achat, en bénéficiant d’un volume plus important, a un pouvoir de négociations plus fort avec le fournisseur et peut, dès lors, bénéficier de prix meilleurs et aussi négocier des marges arrières meilleures (ristournes ndlr). Nous améliorons aussi notre marge à travers un mix vente favorable et optimisé. Le poids des produits Carrefour, générant des marges intéressante, est, à titre d’exemple en progression. Le magasin Carrefour de Bouskoura a en effet ouvert avec près de 4.000 références Carrefour supplémentaires. Forcément, le mix vente progresse et impacte positivement la marge.
F.N.H. : Le marché marocain de la distribution recèle-t-il encore de grandes potentialités ? Quelle est votre stratégie pour tirer profit de ce potentiel ?
A. B. : Aujourd’hui, toutes enseignes confondues, il faut savoir que le marché de la distribution moderne ne représente à peine que 15% de la distribution alimentaire totale. Cela démontre le potentiel encore important du marché pour se développer et faire progresser notre marge, car nous sommes encore relativement petits face aux fournisseurs. Au Maroc, nous avons la chance d’avoir un potentiel important par rapport à d’autres marchés où la distribution moderne est arrivée à maturité et où le potentiel de progression est plus limité. En France, par exemple, la distribution moderne représente près de 80% du marché. Ce qui explique que Carrefour a, en France, un poids autrement plus lourd dans ses négociations avec les fournisseurs, car il fait souvent l’essentiel de leurs chiffres. Par ailleurs, dans ce marché là, Label’Vie a un certain nombre de spécificités. Institutionnellement, nous sommes les seuls dans le secteur à être cotés à la Bourse de Casablanca. Nous sommes également les seuls à être partenaires d’une enseigne internationale, et donc à avoir accès à la fois à l’une des plus grosses centrales d’achat au monde, et à une expertise en termes de meilleures pratiques du métier. Nous sommes également les seuls à pouvoir évoluer au Maroc dans trois concepts d’activité différents, qui nous permettent de toucher toute la population. Chaque segment s’adresse à un segment de la population, des plus riches aux plus démunis. Quatrième particularité et non des moindres, nous sommes le groupe de distribution marocain qui s’est le plus développé, porté par une dynamique de croissance très soutenue. En six ans, nous avons multiplié par 10 nos surfaces de vente, passant de 15.000 m2 à 150.000 m2. Et cela a été rendu possible grâce à nos trois concepts d’activités. Si nous n’avions pas l’hypercash, nous aurions eu plus de mal à ouvrir des points de vente dans des villes comme Fqih Bensalah ou Sidi Kacem, c’est-à-dire des villes de taille moyenne au pouvoir d’achat relativement limité.
F.N.H. : Privilégiez-vous un concept par rapport à un autre ?
A. B. : Nous avons l’ambition aujourd’hui de nous développer sur les trois enseignes, en même temps. Notre conviction est qu’à un moment donné, le marché va commencer à saturer, et seul Atacadao aura la possibilité de se développer davantage, parce qu’il répond aux besoins de populations plus larges. Aujourd’hui, en termes de contribution aux ventes, nous sommes à 40% pour le supermarché (Carrefour market), 40% pour l’hypercash et 20% pour l’hyper (carrefour). Dans nos prévisions, nous devons arriver à une contribution équilibrée d’un tiers pour chaque concept à horizon 2019. Dans notre businessplan, en rythme de croisière, il est prévu d’ouvrir 12.000 m2 chaque année de supermarchés, 10.000 m2 d’hypercashs et 10.000 m2 d’hypermarchés. Cette grille de développement permettra d’augmenter nos marges et d’améliorer le ratio de nos charges à travers des économies d’échelle essentiellement sur la centrale d’achat et sur la logistique.
F.N.H. : Que vous apporte le partenariat avec Carrefour, l’un des leaders mondiaux de la grande distribution ?
A. B. : Cela nous apporte énormément, puisque des équipes Carrefour sont constamment présentes pour porter une assistance dans les aspects les plus opérationnels. Nous bénéficions aussi d’une assistance stratégique. C’est grâce à Carrefour que nous avons pu lancer le segment hypermarché. C’est un segment que nous ne connaissions pas et pour lequel nous n’avions aucune expertise. Le premier Carrefour ouvert à Salé en 2009 a été rendu possible grâce à ce partenariat. Ce que l’on pouvait apprendre en 10 ans, nous l’avons appris en deux ans. C’est aussi grâce à Carrefour que que nous avons ouvert l’enseigne Attacadao, qui rappelons-le, est aussi une enseigne brésilienne du groupe Carrefour. Il y a aussi un apport commercial dans la mesure où Carrefour nous ouvre sa centrale d’achat pour importer des produits de l’enseigne. Ce sont des produits achetés par Carrefour qu’il nous revend à son prix de revient. On bénéficie ainsi d’un prix d’achat très compétitif. Nous sélectionnons les produits qui vont marcher au Maroc. Cela représente à peu près 6% de nos approvisionnements. Nous achetons des produits qui sont adaptés au consommateur marocain et dont nous aurons la possibilité de les positionner à un prix inférieur aux marques de référence. Pour nous, cela crée une différenciation, car beaucoup de gens viennent parce qu’il sont intéressés par les produits Carrefour que nous sommes les seuls à vendre au Maroc.
F.N.H. : Parlons à présent du titre Label’Vie en Bourse. Il a souvent la faveur des analystes et des investisseurs, mais ne parvient pas à progresser ? Comment l’expliquez-vous ? Le niveau de valorisation est-il adéquat, selon vous ?
A. B. : Nous pensons en toute sincérité que nous sommes largement sous-estimés par rapport à la valeur réelle de l’entreprise. D’ailleurs, le prix n’a pas trop bougé depuis son introduction en Bourse, alors que le chiffre d’affaires a été multiplié par 7 et la surface de vente a été multipliée par 10. Je pense qu’il y a toute une partie de notre activité qui n’est pas prise en compte dans la valorisation du fait que l’on soit distributeur. Le patrimoine immobilier que l’on détient n’est pas pris en compte à mon avis par le marché, alors que cela a beaucoup de valeur précisément. La BERD est entrée dans le capital de notre filiale immobilière à une valeur qui représente, à elle seule, la moitié de la valeur boursière de tout le groupe. Je ne pense pas que le marché prenne en considération que dans le groupe, il y a un patrimoine foncier et immobilier très important. Sans parler de Label’Vie elle-même qui détient aussi des biens dont une partie a été titrisée l’année dernière. Nous n’excluons pas, d’ailleurs, de recommencer l’opération sur les biens restants à la société, si le marché le permet, et si nous bénéficions de taux intéressants. En tout cas, les incitations fiscales sont là. Deuxième chose, les analystes prennent souvent en considération le PER. Or, pour une société comme la nôtre, qui est en phase de développement important, le PER n’est pas forcément l’indicateur approprié. Nous préférons parler de PEG (Price earning growth). Cela revient à prendre en considération le résultat de 2015, mais aussi les résultats qui seront beaucoup plus importants les années d’après. Quand on réalise 77% de progression du résultat net en un semestre, il est difficile de se baser sur les résultats d’une année, et il faudrait prendre en considération les résultats de plusieurs années. C’est notre rôle aussi de communiquer par rapport à cela, pour expliquer que nous sommes dans une situation un peu particulière, celle d’une société qui en plus de performer dans son métier, se développe et détient un patrimoine foncier et immobilier conséquent. Deux paramètres qui, à mes yeux, ne sont pas suffisamment pris en considération par le marché. Si on rajoute à cela une volumétrie faible, on arrive à un niveau de valeur qui est ce qu’il est aujourd’hui, et qui ne progresse pas comme nous le souhaitons.
F.N.H. : Les investisseurs internationaux se montrent pourtant intéressés par la société ?
A. B. : Effectivement, il y a un engouement assez important de la part des investisseurs internationaux. Nous en avons quelques-uns très prestigieux dans le capital de la société. Nous constatons encore un engouement important de la part des investisseurs étrangers qui nous rendent très souvent visite pour une collecte d’informations. Ils connaissent un peu le métier, savent que nous avons des ratios de rentabilité intéressants et très prometteurs.
F.N.H. : Un mot sur les projets africains du groupe après votre entrée dans le capital de l'ivoirien CDCI. Quelle est votre stratégie de développement pour l’Afrique ?
A. B. : Comme vous le savez, nous sommes présents dans le tour de table de cette société ivoirienne en partenariat avec un fonds d’investissement français, Amethis. Nous y sommes actuellement minoritaires, mais nous disposons d’obligations convertibles à l’échéance fin 2016, qui nous permettront de devenir majoritaires. Un modèle comme l’hypercash Atacadao serait un modèle très adapté au marché ivoirien. Le secteur de la distribution est à peu de choses près au même niveau de développement qu’au Maroc, avec un potentiel extraordinaire. Nous entendons mettre en place un plan de développement ambitieux qui ne concernera pas uniquement la Côte d’Ivoire, mais toute la région UEMOA, à savoir le Sénégal, le Mali ou encore le Burkina Faso. Le gros challenge en Afrique concerne la Logistique. Nous avons les concepts adéquats, il faudra assurer la gestion logistique. Là-dessus, Label’Vie va pouvoir y contribuer largement en faisant bénéficier sa filiale africaine de notre centrale d’achat marocaine. Par ailleurs, nous pouvons apporter à notre filiale notre expertise et notre savoir faire en termes d’informatique, de gestion, de commercial, etc. Il y a beaucoup de synergies qui peuvent être développées et nous sommes en train de monter un projet sur ce point.
Propos recueillis par Amine Elkadiri