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Convertibilité totale du Dirham : Gagnera-t-on au change ?

Convertibilité totale du Dirham : Gagnera-t-on au change ?

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La réduction des déficits budgétaires et de la balance des transactions courantes, les réserves de change croissantes (7 mois d’importation) … sont autant d'éléments qui ravivent le débat et rendent le questionnement relatif à la convertibilité totale du Dirham d’actualité. Le Maroc a-t-il les reins solides pour pouvoir basculer vers un palier supérieur de gestion du taux de change ? 

Depuis 1983, année du Plan d’ajustement structurel (PAS), la déréglementation du contrôle de change a été progressive, tout en évoluant dans deux directions : la libéralisation des opérations courantes et la décentralisation de la gestion des devises. Cette progressivité s'inscrit dans le droit fil d’une politique économique prudente, dont l’un des axes majeurs est la préservation des acquis macroéconomiques encore fragiles. Ne pouvant continuer à ignorer les recommandations, sans cesse pressantes, des institutions de Bretton Woods (BM et FMI) en faveur d’une plus grande souplesse du régime de change, le Maroc avait franchi au mois d’avril dernier, avec le réaménagement du panier de cotation du Dirham (Euro 60%, Dollar 40%), un petit pas vers un régime de change plus flexible. Les autorités ont ainsi pris acte du poids du Dollar dans les échanges internationaux, d’autant que c’est la devise dans laquelle sont échangés les produits pétroliers. Pour mieux schématiser, le Dirham est ancré à 60% à l’Euro et à 40% au Dollar. 

La réduction des déficits budgétaires et de la balance des transactions courantes, les réserves de change croissantes (7 mois d’importation) … sont autant d'éléments qui ravivent le débat et rendent le questionnement relatif à la convertibilité totale du Dirham d’actualité : le Maroc a-t-il les reins solides pour pouvoir basculer vers un palier supérieur de gestion du taux de change ? 

A rappeler qu’une convertibilité intégrale du Dirham signifie que la monnaie nationale pourra être échangée au gré de son porteur contre n’importe quelle autre monnaie sans aucun obstacle. Un échange qui pourrait anéantir toute une économie, si des garde-fous ne sont pas mis en place.

Ajoutons à cela que la situation est éphémère, si l’on prend en considération que le stock des réserves est la résultante, entre autres, de la baisse drastique du baril du pétrole et de l’opération de l’amnistie financière qui a permis à l’Etat de collecter plus de 2,3 Mds de DH (www.financenews.press.ma).

Gare à l’effet dollarisation !

Soucieux de leur compétitivité et de leur position extérieure, certains opérateurs économiques exhortent, chaque fois que l’occasion se présente, à adopter un régime de change plus flexible. Le but étant de mieux se prémunir contre les chocs externes et de s’adapter en permanence aux fluctuations internationales.

Ils prennent, comme exemple, certains pays ayant utilisé l’instrument taux de change pour améliorer leur compétitivité. Or, il s’avère que les résultats ne sont pas quasi-automatiques, mais plus ou moins positifs en fonction des expériences. 

Un fait que confirme Larabi Jaïdi, économiste et professeur universitaire, interpellé à ce sujet par nos soins. Il cite l’exemple de certains pays d’Amérique latine (Brésil, Argentine) qui n’ont pas réussi la dollarisation de leur économie. «La convertibilité permet l’arbitrage entre la monnaie étrangère et la monnaie nationale. Au cas où il y a déficit de la balance des paiements, une inflation non contrôlée,… un agent qui remarque que ses actifs se détériorent opte pour la monnaie qui est forte», précise-t-il. 

L. Jaïdi estime que le Maroc ne peut réussir la convertibilité totale du Dirham que s’il l’accompagne par des amortisseurs de chocs externes ou ce qu’il considère comme les prérequis. Il cite, à cet égard, un environnement macroéconomique sain qui ne s’apprécie pas seulement par une maîtrise du déficit budgétaire, mais aussi par la stabilité de la croissance économique, un taux d’inflation maîtrisé, un tissu productif solide et une politique économique appropriée. «Au Maroc, on assiste certes à une avancée en ce qui concerne la maîtrise de l’inflation, la réduction des déficits budgétaires…, mais les prérequis ne sont pas encore tous réunis», prévient-il.

Pour un pays en développement comme le Maroc, la convertibilité peut être un moyen d’augmenter les recettes en devises, de booster l’offre exportable et les investissements étrangers et de faciliter l’intégration à l’économie mondiale. Elle peut également favoriser un rythme de croissance plus soutenu, à travers une meilleure allocation des ressources et utilisation des facteurs de production, conformément à la rigueur et aux exigences de la concurrence mondiale. Cependant, la convertibilité n’est pas une sorte de potion magique qui ferait des miracles. Elle ne peut être atteinte que si un certain nombre de conditions préalables rigoureuses sont d’abord satisfaites. La réunion de ces dernières est de nature à permettre au Maroc d’assumer les obligations liées à la convertibilité du Dirham et donner toutes les chances de réussite et de durabilité à cette convertibilité.  A contrario, le pays court doit au mur !

«La convertibilité totale du DH n’est pas d’actualité immédiate»

Adnane Benchakroun, Vice-président de l'Alliance des économistes istiqlaliens

«Le débat porte sur une convertibilité progressive à corréler au déficit de la balance commerciale, à une croissance moyenne hors agriculture de l’ordre de 5% pendant cinq ans et, surtout, à la réussite du passage d’un modèle de développement basé sur la demande intérieure et l'investissement public en infrastructures à un modèle reposant sur une contribution plus importante du secteur privé à l’investissement orienté vers l’export. La convertibilité totale restera un objectif glissant à l’horizon 2025 dans un processus de convertibilité progressive, selon un calendrier plutôt agile. Sur ce dernier point, il y a débat et probablement des divergences entre volontarisme, anticipation ou accompagnement. 

Je n’ai, à ce jour, entendu personne défendre une convertibilité non progressive. BAM est sur cette ligne, comme tous les acteurs politiques, économiques et partenaires institutionnels étrangers. Les priorités sont ailleurs : mobilisation d’une épargne supplémentaire et son orientation vers les secteurs porteurs, financement de l’économie par un crédit plus accessible aux PME, développement d’un marché de fonds propres pour un vrai ascenseur économique des entreprises moyennes pour devenir ETI (Entreprises de taille intermédiaire) capables de prendre des parts de marché à l’export et principalement sur les pays BRIC, la renaissance de la Bourse de Casablanca, la réussite du projet CFC, etc.

Les pays dont le PIB, en nominal ou en PPA, par habitant est comparable à celui du Maroc : Hongrie, Angola, Sri Lanka, Slovaquie, Porto Rico , El Salvador, Guatemala, Géorgie, Swaziland, … aucun de ces pays n’est sous un régime de convertibilité totale à ma connaissance aujourd’hui. Ils sont tous dans un projet d’intégration régionale aussi bien économique que monétaire afin de sécuriser les convertibilités futures de leurs monnaies nationales. Pour nous, au Maroc, la panne du Grand Maghreb et l’absence de visibilité sur les futures corrélations mondiales entre la financiarisation de l’économie et l’économie réelle demeureront le talon d’Achille pour anticiper un modèle de réussite de la convertibilité de notre monnaie».

Pages réalisées par S. Es-siari & I. Bouhrara

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