Au Maroc, la programmation, l’élaboration et l’exécution de la Loi de Finances ont pendant longtemps été la chasse gardée quasi-exclusive du pouvoir exécutif, reléguant le politique en général, et le parlementaire en particulier, au rôle de simple caisse enregistreuse.
Aujourd’hui encore, le Parlement, émanation de la volonté populaire, n’a pas vraiment d’emprise ni de contrôle sur les questions budgétaires, en dépit des récentes avancées constitutionnelle. Eclairage
La Constitution de 2011, et particulièrement son article 27 sur le droit à l’information, est venue quelque peu corriger cet état de fait, comme l’a rappelé Driss El Azami El Idrissi, actuel ministre chargé du Budget : «grâce à la nouvelle Constitution, le Maroc a fait des progrès importants en matière d’information financière», s’est-il félicité.
L’entrée en vigueur de la nouvelle Loi organique des finances lors de cet exercice budgétaire est une autre avancée majeure, saluée par tous. Elle poursuit trois objectifs : le renforcement de la performance de la gestion publique, le renforcement des règles de transparence et, surtout, fait la part belle au contrôle parlementaire. Par ailleurs, la programmation pluriannuelle permet une clarification de la vision budgétaire de l’Exécutif sur le moyen terme.
Pour que ces trois objectifs puissent être atteints, la qualité de l’information budgétaire transmise au public et aux parlementaires s’avère primordiale. D’où la multiplication des rapports publiés accompagnant le projet de Loi de Finances, avec entre autres, le rapport sur la répartition régionale de l’investissement ou celui sur le foncier public mobilisé pour l’investissement. Autre avancée importante, le calendrier budgétaire a été revu avec l’instauration d’un rendez-vous annuel, en juin, entre parlementaires et gouvernement pour s’enquérir de l’exécution du Budget durant le premier semestre, et discuter de la programmation budgétaire triennale et de l’évolution de l’économie nationale.
Ces nouvelles dispositions vont donc dans le bon sens. Elles prendront néanmoins du temps à être assimilées par tous les concernés, souligne le ministre du Budget : «tout cela est lourd. Il y a un défi politique et surtout culturel, puisque l’on passe d’une culture de moyens à une culture de résultats. C’est pour cela que notre démarche est progressive et que la mise en œuvre de la Loi organique des Finances nécessitera près de 5 années».
Des hypothèses tombées du ciel
Et les parlementaires, les premiers concernés par ces changements, qu’en pensent-ils ? Deux d’entre eux, Khalid Sbiai et Abdelali Doumou, présents lors du colloque, saluent ces évolutions jugées «positives». Pour autant, signale K. Sbiai, «elles restent en deçà des attentes». Il en veut pour preuve l’absence d’un véritable débat sur les orientations budgétaires prises en amont, en particulier sur les hypothèses de croissance retenues par l’Exécutif. «Nous ne participons pas au débat sur les hypothèses de la Loi de Finances. Nous subissons ces hypothèses», déplore le député istiqlalien et inspecteur général des finances. En réalité, les débats en Commission de finances se limitent à discuter quelques dispositions fiscales. Autres décisions prises sans réel débat : les budgets sectoriels émanant des ministères. Là encore, les parlementaires n’ont pas leur mot à dire, à leurs plus grands regrets.
La multiplication des rapports accompagnant le projet de Loi de Finances est également critiquée par K. Sbiai. «Ces rapports doivent être plus pertinents. Ils ne contiennent pas d’évaluations d’impacts ou de prévision de clôture», souligne-t-il. Il préconise à ce titre une série de recommandations pour que le Parlement puisse jouer pleinement son rôle en matière de finances publiques. Il plaide ainsi pour l’instauration d’un véritable débat d’orientation entre gouvernement et parlementaires au lieu d’une simple réunion formelle d’informations. Il recommande surtout le renforcement des moyens mis à disposition des parlementaires. «Le Parlement manque de moyens, de ressources humaines et d’outils d’analyse et d’expertise», déplore-t-il. Le Parlement a aussi besoin d’éclairage et d’un avis indépendant sur les hypothèses de croissance retenues. Un rôle que pourrait jouer la Cour des comptes avec des missions élargies, à défaut de créer un Haut conseil des finances publiques à l’image de celui existant en France.
L’intervention d’Abdelali Doumou, député PPS et membre de la Commission des finances, va dans le même sens que son collègue de l’Istiqlal : faible implication du Parlement dans la programmation budgétaire, absence d’évaluations d’impact, faiblesse du suivi parlementaire de l’exécution de la Loi de Finances, absence de débats sérieux sur les programmes et les dépenses des entreprises publiques, entre autres lacunes.
Il va encore plus loin dans les recommandations, puisqu’il préconise ni plus ni moins une profonde réforme institutionnelle de l’Etat, «pour que demain, chaque citoyen qui gère un dirham des deniers publics puisse faire l’objet d’une interpellation directe de la part des administrés». En effet, soutient-il, aujourd’hui, «l’élu local ne gère dans son territoire que 15% des ressources budgétaires allouées, quand l’Etat en détient 85% (60-40 en France). Comment dès lors rendre des comptes à la population ? Toute une partie de l’administration ne peut être interpellée territorialement. Faire un sit-in devant un délégué régional de la Santé n’a de ce point de vue pas de sens, la décentralisation étant encore faible».
A. Elkadiri