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Chèques sans provision : la fin du tout-pénal

Chèques sans provision : la fin du tout-pénal

La réforme du Code de commerce consacre une nouvelle approche du chèque sans provision : dépénalisation encadrée, accords à l’amiable et amende allégée. Le gouvernement espère fluidifier les affaires et renforcer la sécurité juridique des transactions.

 

Par Y. Seddik

Le Maroc tourne officiellement la page du tout-répressif. Adopté par le Conseil de gouvernement le 9 octobre, le projet de loi révisant le Code de commerce confirme la nouvelle philosophie du traitement des chèques sans provision. La priorité est désormais à la régularisation et à la conciliation, avant toute poursuite pénale. «L’objectif est de restaurer la confiance dans le chèque comme moyen de paiement, à travers la réhabilitation de son cadre juridique et la rationalisation des poursuites», a déclaré Mustapha Baitas, ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement.

En effet, la réforme du chèque sans provision, engagée depuis 2023 sous l’impulsion du ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi, entre dans sa phase d’application concrète. Elle marque une évolution majeure du droit commercial marocain, désormais aligné sur les standards internationaux. Ainsi, la suppression quasi totale des peines de prison devient la règle dès lors que le paiement est régularisé.

Le débiteur peut solder sa dette et s’acquitter d’une amende unique de 2% du montant du chèque, contre 25% auparavant, ce qui met définitivement fin aux poursuites. Autre évolution notable : la possibilité d’accords à l’amiable est ouverte à toutes les étapes de la procédure, y compris après la condamnation, favorisant une résolution négociée plutôt qu’une sanction automatique. Enfin, la réforme exempte de toute poursuite pénale les incidents de paiement intervenus entre conjoints ou ascendants, consacrant une distinction claire entre litiges familiaux et infractions commerciales.

Cette nouvelle approche inverse la logique punitive historique du système judiciaire marocain. Elle consacre la réparation du préjudice comme issue principale, et non plus la répression du débiteur. Les chiffres communiqués par le gouvernement traduisent l’ampleur du phénomène : en 2024, près d’un million de chèques ont été refusés pour absence de provision, sur un total de 30 millions d’opérations. Plus de 180.000 plaintes ont été déposées depuis 2022, entraînant la détention de près de 59.000 personnes. Une réalité jugée «anormale» par de nombreux juristes. «La prison ne peut pas être une solution à un incident économique ou à une erreur de gestion. Cette réforme corrige une distorsion profonde entre droit des affaires et droit pénal», analyse Me Aïda Bennani, avocate au barreau de Casablanca. Pour elle, l’enjeu dépasse le simple allègement des prisons : «C’est une avancée vers une justice plus adaptée aux réalités économiques, à condition que les garde-fous nécessaires soient mis en place pour éviter les dérives et protéger les créanciers».

Vers une nouvelle culture du paiement

La réforme du chèque s’inscrit dans une dynamique plus large de refonte de la culture du paiement au Maroc. Elle conjugue dépénalisation encadrée, régulation économique et confiance restaurée. Le gouvernement entend en effet appuyer cette transition par des outils de suivi renforcés : registre des incidents, dispositifs de scoring et système central des chèques irréguliers (SCCI). Autant de leviers pour responsabiliser les acteurs sans criminaliser les difficultés de trésorerie.

«L’objectif n’est pas de déresponsabiliser, mais de responsabiliser autrement», insiste Me Bennani, soullignant que «les entreprises doivent pouvoir recouvrer leurs créances dans un cadre civil efficace, tandis que les mauvais payeurs doivent être identifiés et suivis». Reste une question cruciale : le transfert massif des litiges vers la justice civile permettra-t-il réellement d’alléger les tribunaux et de sécuriser les transactions ?

Le succès de la réforme dépendra, selon plusieurs observateurs, du renforcement des juridictions civiles : digitalisation, simplification des procédures, injonction de payer accélérée et encadrement clair des délais. Sans cela, le risque est de déplacer la saturation du pénal vers un civil déjà congestionné. Pour les PME, souvent premières victimes des impayés, la clé réside dans l’efficacité de la régularisation. «Il faut que le recouvrement devienne simple, rapide et peu coûteux. Sinon, cette réforme restera une bonne idée sur le papier», avertit Me Bennani.

Quoiqu’il en soit, la dépénalisation partielle des chèques sans provision ne vise pas à banaliser l’impayé, mais à replacer la responsabilité financière au centre du jeu, loin du réflexe carcéral. Si le texte atteint ses ambitions, il pourrait libérer les tribunaux, fluidifier les échanges commerciaux et améliorer le climat des affaires. Mais sa réussite reposera sur la capacité de tous (entreprises, banques, justice et citoyens) à faire du chèque un instrument de confiance retrouvée. 

 

 

 

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