La banque s’est progressivement désengagée du financement de plusieurs secteurs (gaz non conventionnel, pétrole, charbon, tabac…).
La crise sanitaire contribue à éveiller les consciences sur les sujets environnementaux.
La directive de Bank Al-Maghrib met l’ensemble du secteur sur un même pied d’égalité.
Entretien avec Chama Bennani, responsable de l'Engagement à la BMCI.
Propos recueillis par Y. Seddik
Finances News Hebdo : Tout d’abord, comment s'est opérée la prise de conscience sur les sujets du climat et de l'environnement au niveau du groupe BMCI ?
Chama Bennani : La prise de conscience sur ces sujets ne date pas d'aujourd'hui. Elle s'est faite progressivement. Il y a eu plusieurs facteurs qui ont contribué à cette prise de conscience, le premier étant la régulation. Il y a 20 ans de cela, la France publiait une loi sur les nouvelles régulations économiques qui demandait aux 400 grandes entreprises cotées de faire état des conséquences sociales de leurs activités et de les inscrire dans leur rapport annuel de gestion. C'est comme ça que tout a démarré, et que le groupe a mis en place une structure qui adresse cette thématique. L'ensemble a pris un coup d'accélérateur en 2015 avec, comme vous le savez, l'accord de Paris. Ensuite, avec la publication des 17 objectifs de développement durable de l'ONU. En plus de la régulation, il y a aussi la pression des ONG et de la société civile qui scrutent de plus en plus les pratiques ESG des banques, qui sont elles aussi exposées à des controverses potentielles. Tout cela a fait qu'une plus grande conscience collective de l'urgence de la situation est née. L'ensemble des parties prenantes, que ce soit nos clients, nos fournisseurs, les régulateurs, les collaborateurs aussi, s'accordent pour dire qu'une entreprise doit tenir compte de son empreinte et rendre des comptes.
C’est une conviction très forte que porte notre groupe et qui l’a même inscrite dans sa raison d'être en 2019. Les sujets de transition énergétique, de biodiversité sont aujourd'hui un axe majeur de la politique d'engagement. À la BMCI, nous suivons le même chemin et nous profitons de l'expérience du groupe dont nous bénéficions. La BMCI a mis en place depuis 2012 une politique RSE autour de quatre grands piliers : économique, social, civique et environnemental. En effet, notre empreinte environnementale directe se mesure avec nos émissions propres à nos bâtiments, à nos déplacements professionnels, notre consommation de papier et de déchets aussi, et cet impact est mesuré annuellement. Dans le cadre de cette démarche de l'impact propre, nous pouvons citer comme actions et résultats, nos deux bâtiments La Perna et la Colline, qui ont été primés en 2021 lors de la 5ème édition d'un concours international «Concours Cube». Ils ont en effet pu réduire leur consommation d'énergie respectivement de 44,25% et de 41,8% à fin décembre. D’autres actions peuvent être citées, comme l’installation des panneaux photovoltaïques sur le toit qui a permis de réduire la facture énergétique de 10%, un fonctionnement des installations adapté aux horaires des collaborateurs et l'éclairage qui a été remplacé par des LED…etc.
F.N.H. : Comment décidez-vous de vos financements, compte tenu de ces risques ?
Ch. B. : Pour ce qui est de l’impact direct en lien avec nos financements, nous sommes aujourd’hui confrontés à des enjeux éthiques très variés et cela requiert évidemment une vigilance accrue dans les décisions de financement et d'investissement. D'autres engagements du groupe sont aussi applicables à la BMCI. Par rapport aux secteurs du pétrole et du gaz, notre groupe s'engage à réduire de 10% le montant de son exposition de crédits aux activités d'exploration, de production de pétrole et de gaz d'ici 2025. Du côté du pétrole et du gaz non conventionnel, nous avons cessé de fournir tous nos services financiers, que ce soit chez le groupe BNP Paribas ou à la BMCI. Ainsi, l'exposition de crédits est passée de 4 milliards d'euros en 2016 à zéro en 2020. Le dernier engagement est lié à l’industrie du charbon : en 2017, nous avons cessé tout nouveau financement de projets de centrales à charbon. Plus récemment, en 2020, c’est une sortie du charbon qui est annoncée d'ici 2030 en Europe et d'ici 2040 pour les pays OCDE. Concrètement, nous n'acceptons plus aucun nouveau client qui a un chiffre d'affaires lié au charbon supérieur à 25%, et nous refusons tout nouveau financement de centrales à charbon.
F.N.H. : Et pour l’industrie du tabac ?
Ch. B. : Notre politique d'engagement s'applique également pour cette industrie. Il est vrai qu'elle est souvent associée à des risques de santé. Certes, mais ce n'est pas le seul facteur qui a fait que le groupe s'est désengagé du tabac. C'est aussi un secteur qui emploie énormément d'enfants dans les champs de tabac, alors que notre groupe et la BMCI accordent une importance très forte aux enjeux sociétaux et aux droits de l'Homme.
F.N.H. : La gestion des risques liés au climat et à la transition énergétique est-elle intégrée au dispositif de gestion des risques du groupe ?
Ch. B. : La gestion des risques liés au climat est aujourd'hui parfaitement intégrée dans nos process de financement et d'investissement sur l'ensemble de la chaîne. Nous mettions en place, depuis 2013, un plan de déploiement de politiques sectorielles (secteurs qui présentent le plus de problématiques en matière d'environnement et de social et sur lesquelles la banque est la plus exposée). D'un côté, nous ne gardons que les projets les plus responsables, et d'un autre, nous accompagnons nos clients dans leur décarbonation et dans leur alignement avec les meilleures normes de leur secteur. Cette organisation en interne permet trois lignes de défense. La première est la ligne de métier. Ce sont les chargés d'affaires en contact avec les clients Corporate et qui ont la connaissance opérationnelle. Ensuite, en 2018, nous avons renforcé cette analyse en mettant les «risques» comme deuxième ligne de défense. Par exemple, un dossier de crédit qui arrive en comité de crédit, et qui n'a pas été évalué sur les aspects ESG, va être automatiquement rejeté. Enfin, la troisième ligne de défense est la «RSE». Nous nous devons aussi d'être garant que l'ensemble des enjeux de développement durable sont bien intégrés sur l'ensemble des processus et des métiers de fonctions de la banque. Le dernier point essentiel est la formation des équipes qui est essentielle pour accompagner cette transformation. À notre niveau, nous effectuons beaucoup de sensibilisation interne tout au long de l’année pour aider nos collaborateurs à être plus conscients des enjeux climatiques. D’autres programmes de formation sont également déployés auprès de la force de vente, des services d'achats et ceux du risque pour renforcer leur connaissance et les aider à identifier, analyser les enjeux en question.
F.N.H. : Bank Al-Maghrib a adressé en mars 2021 au secteur une directive relative au dispositif de gestion des risques financiers liés au changement climatique et à l'environnement. Pour quel objectif et quels sont les impacts futurs sur votre stratégie et votre gouvernance ?
Ch. B. : La directive publiée par Bank Al-Maghrib est très importante. Elle démontre qu'il y a une véritable prise de conscience des risques financiers qui sont liés au changement climatique encourus par les établissements de crédits. Des risques doivent aujourd’hui être bien mesurés et évalués parce qu'ils peuvent avoir des conséquences non négligeables sur le portefeuille de la banque qui a une vision à long terme avec des financements qui peuvent aller jusqu'à 20 ans. La directive considère deux principaux facteurs de risque : les risques physiques, qui résultent de la survenance d'événements climatiques et environnementaux extrêmes, des inondations, la sécheresse, la tempête qui peuvent se matérialiser en risque de crédit, de marché et de risques opérationnels… D'un autre côté, les risques de transition. Aujourd'hui, il y a des changements, aussi bien dans la réglementation que dans les systèmes économiques vers des systèmes plus respectueux. Cela peut entraîner une réévaluation de certains actifs qui sont détenus dans les portefeuilles. Et ça se matérialise aussi en risque de crédit et de liquidité de marché. Ce qui est très intéressant dans cette directive, c'est qu'elle met l'ensemble du marché bancaire au même niveau. Dit autrement, tout le monde se voit contraint et obligé de prendre en compte ces risques. C’est très important pour faire avancer les choses. A la BMCI, nous nous étions engagés en amont de la publication de la directive pour renforcer nos procédures internes en lien avec la gestion des risques climatiques. Aujourd'hui, il y a un travail d'envergure qui est réalisé au niveau du groupe pour aligner notre portefeuille de crédits avec l'accord de Paris. C'est un plan ESG ambitieux, qui est en cours de déploiement, qui va renforcer nos analyses et nos reporting ESG.
F.N.H. : Pensez- vous que la crise sanitaire a été un point de bascule ou un tournant sur la question de l'urgence climatique ?
Ch. B. : Honnêtement, il est difficile de répondre à cette question sans avoir d'études qui prouvent que les gens accordent plus d'importance aux enjeux climatiques. Cependant, nous avons réalisé une étude en interne en mai dernier pour évaluer l'engagement sociétal de la BMCI. Nous avons à cet effet demandé à des clients de banques (BMCI ou autres) de classer leurs intérêts. Parmi leurs premières préoccupations, l’on retrouve beaucoup plus les sujets sociaux que les sujets environnementaux. Ces derniers ne font pas partie de leur priorités. Je pense que les gens qui étaient déjà écoconscients le sont devenus encore plus avec cette crise sanitaire. Car ils sont avertis et savent qu'il y a un lien très proche entre environnement et santé. C'est un effet accélérateur pour ceux qui étaient déjà convaincus et un effet neutre, voire négatif sur les climatosceptiques. La crise sanitaire contribue à éveiller les consciences. Par ailleurs, il existe un point commun entre la pandémie et les risques climatiques. Tous les deux sont globaux. Ils ne connaissent pas de frontières.