Les banques participatives voient l’écart entre ressources et emplois se creuser pour atteindre 12 Mds de dirhams.
Les propositions des professionnels pour combler ce gap.
Par A. H
Victimes de leur succès, les banques participatives constatent impuissantes le grand écart qui se creuse entre leurs ressources financières et les financements qu’elles octroient. En ce premier trimestre 2022, les encours de financement ont atteint 20 Mds de dirhams depuis le démarrage de cette activité, alors que les ressources stagnent à 8 Mds de dirhams. L’origine du mal est bien connue, et nous l’avons d’ailleurs à maintes reprises évoquée dans nos colonnes.
Il s’agit d’un problème de perception chez le consommateur qui voit dans ces banques des sociétés de financement et non des banques à part entière, où il peut ouvrir un compte, constituer une épargne et faire toutes les opérations de la banque au quotidien, et dans des conditions plus avantageuses (pas d’agios, pas de dates de valeur, etc…). Les banques participatives en sont en partie responsables, car elles ont axé leur communication sur les financements lors de leur lancement.
Au final, cela se traduit par un coefficient d’emploi de 250% pour les banques participatives contre 100% en moyenne pour le marché comprenant le participatif et le conventionnel. La ressource devient ainsi plus chère pour les banques participatives, ce qui limite leurs marges face au conventionnel déjà bien installé et bien plus puissant en matière de distribution et d’équipement de la clientèle.
La Wakala bil Istitmar, seul vrai moyen de refinancement actuellement
Les banques participatives se retrouvent donc avec un gap de 12 Mds de dirhams à combler. Pour ce faire, la Wakala Bil Istitmar est le seul moyen Charia Compatible dont elles disposent actuellement pour mobiliser rapidement des ressources. Ces Wakala sont des dépôts réalisés auprès des banques participatives par des bailleurs de fonds. Ces ressources sont ensuite transformées en financements par les banques participatives (Moudarib).
Initialement autorisées pour les maisons-mères des banques participatives, la Moudaraba a été ensuite élargie aux investisseurs institutionnels. Mais «les institutionnels ne sont pas encore à l'aise avec cet instrument, car il est basé sur la moudaraba ou la perte est assurée par l'investisseur», confie Abdelaziz El Ouadrhiri, directeur développement commercial chez Bank Al Yousr, à l’occasion d’une rencontre en ligne organisée par l’Association marocaine pour les professionnels de la finance participative (AMFP). Selon lui, cette perception est à nuancer car la responsabilité du Moudarib est également engagée en cas de négligence ou non-respect du contrat. Il doit donc faire au mieux.
Faire preuve d’ingénierie financière
Abdelaziz El Ouadrhiri présente le cas de Bank Al Yousr qui se base sur le peu de marge de manœuvre dont dispose l’industrie des banques participatives en termes de contratstypes validés par le Conseil supérieur des oulémas pour développer un maximum de produits. Ainsi, la banque s’est dotée d’un comité d’ingénierie financière lui permettant de répondre aux besoins de toutes les entreprises. Rappelons que Bank Al Yousr s’est frontalement attaquée au marché de l’entreprise, devenant l’une des banques participatives les plus avancées sur ce segment de clientèle.
Le Salam, qui est un produit qui répond aux besoins des entreprises en matière de ressources non affectées, est devenu le cheval de bataille de cette banque qui s’est également positionnée sur les produits d’engagement par signature. L’offensive de Bank Al Yousr sur le marché de l’entreprise se mesure par ses parts de marché sur les produits de garantie de la fenêtre participative de Tamwilcom, où Al Yousr est leader. Autant d’exemples qui, selon le responsable, montrent que les banques participatives peuvent faire face au manque de ressources en faisant de l’ingénierie financière.
S’inspirer des pratiques à l’international
La problématique de la liquidité des banques islamiques ou éthiques existe sous d’autres cieux. Anas Patel, président- fondateur de 570easi et spécialiste des opérations de haut de bilan dans le secteur, a proposé des solutions à l’occasion de cette rencontre. Pour lui, l’un des moyens les plus efficaces pour garder ces banques à flot est de lancer des Sukuks pour refinancer le portefeuille immobilier. Mais ces Sukuks ne sont pertinents et conformes que lorsque le portefeuille est en grande partie sous format Ijara, ce qui n’est pas le cas au Maroc où les banques participatives font exclusivement de la Mourabaha. Une autre solution peut également venir d’une mutualisation de la demande de financement des banques en émettant des instruments de refinancement mutualisés pour toute la place et mobiliser plus de ressources.
Une solution qui peut intéresser les investisseurs institutionnels avec l’effet taille. El Ouadrhiri évoque également la titrisation du patrimoine immobilier des banques comme solution pour dégager des ressources. Quoi qu’il en soit, le secteur connait un fort développement commercial et cette crise de liquidité ne peut pas entraver son développement, du moins pour le moment. L’arrivée du Takaful devrait à son tour accélérer le développement de ces banques en offrant une couverture aux particuliers qui contractent des financements, tout en développant des produits d’épargne éducation, retraite ou immobilier pour mieux équiper les clients et attirer de nouvelles relations pour ces banques, et donc renforcer les dépôts. «Les ressources ont besoin de beaucoup plus de temps et de clients pour se développer et permettre ainsi de répondre à la hausse rapide des financements», résume Abdelaziz El Ouadrhiri.