◆ À peine remise sur les rails, la machine du crédit devrait subir les contrecoups de la crise sanitaire.
◆ En attendant que les impacts du Covid-19 sur le secteur se précisent, les banques maintiennent l’économie sous perfusion.
Par Y. Seddik
Depuis déjà quelques trimestres, le crédit bancaire n’a cessé de gagner en vigueur. Un raffermissement qui s'est poursuivi jusqu'en mars 2020, profitant par ticulièrement aux sociétés privées. Au 31 mars 2020, l’encours global des crédits bancaires dépasse la barre des 918 milliards de DH, en hausse de 5,3% comparative-ment à la même période de 2019.
Cette évolution couvre également une augmentation des concours au secteur non financier de 6,4% en mars contre 4,9% en février. L’orientation est bonne sur quasi-ment tous les segments de prêts, puisque cette croissance recouvre une hausse de 8,2% des concours à l’équipement, de 8% des crédits à court terme (facilités de trésorerie), et une progression 3,3% des crédits à la consommation. Un chiffre encore plus parlant et qui permet de lisser l’évolution du crédit bancaire, est celui des prêts distribués aux sociétés non finan-cières privées.
Dans ce segment, la production a été de 8,07 milliards de DH depuis le début d’année, en progression de 2,1%. Mais à peine la machine du crédit bancaire remise sur les bons rails grâce à une série de mesures actées en 2019, que le secteur se trouve confronté à une nouvelle crise inédite.
Le rythme de production sera-t-il maintenu ?
Tant du côté des dépôts que des crédits, les impacts du Covid-19 seront inévitables pour les banques marocaines et toucheront directement leurs revenus. Les statistiques du mois de mars n'intègrent en effet que les deux dernières semaines de mars où l'état d'urgence national a été décrété. Elles ne donnent pas de véritables enseignements sur les impacts du Covid-19 sur l’activité du crédit bancaire.
Or, pour les professionnels du secteur, la distribution des prêts connaîtra un coup de frein, certaines de ses composantes sont même à l’arrêt. Sont concernés les crédits à la consommation, les crédits habitat chasse gardée des banques pesant 24% des encours globaux du secteur, ou encore les prêts accordés aux promoteurs dont l'activité est paralysée. D'ailleurs, les banques poursuivent leur rationnement dans cette branche de crédit. C’est la seule composante qui affiche un recul depuis le début d’année (-6,1%) et sur l’année glissante (-2,6%).
Pour sa part, Moody’s pense que «les crédits pour le secteur du tourisme (hôtellerie et restauration) représentent 1,5% des encours globaux, du commerce (6,4%) et les transports seront les plus touchés par la pandémie du coronavirus». Idem pour les prêts aux PME qui représentaient 37% des prêts aux entreprises. L'agence newyorkaise s’attend à cet effet à ce que «les marges nettes d'intérêts se réduisent car les rendements bruts gagnés sur les prêts diminueront plus que le coût payé sur les dépôts».
De plus, elle prévoit que «les perturbations liées aux coronavirus limiteront la demande de crédit».Signalons que les revenus nets d'intérêts, qui dépendent des MNI et des volumes de prêts, représentent 66% des revenus des banques marocaines en 2019. Les banques comme instrument de perfusion Si les banques auront désormais beaucoup de difficultés à placer des encours, elles s'avèrent fonda-mentales pour gérer cette période, jouant le rôle de perfusion. En clair, c'est à travers elles que l'Etat maintient l'économie «en vie».
En plus des reports d’échéances qu’elles ont prévus, c'est par leur biais que transitent les prêts garantis par l'Etat «Damane Oxygène», destinés à soulager la trésorerie des entreprises subissant le choc du Covid-19. Elles sont tout autant primordiales pour la relance économique du Maroc. Puisque c’est le canal de transmission via lequel Bank Al-Maghrib concrétise sa politique de relance monétaire. Sur ce point, Moody’s suppose que, «si elles sont pleinement mises en œuvre, les mesures prises par BAM tripleront la capacité de refinancement des banques et soutiendront leur liquidité».
D'autres économistes considèrent en revanche qu’«une deuxième vague de mesures peut s'avé-rer utile pour relancer l’économie nationale après le déconfinement, notamment la baisse du taux directeur de BAM, le renforcement des moyens de la CCG». Qui plus est, jugent-ils, «les banques devront concevoir de nouveaux produits financiers plus adaptés à la conjoncture, en parti-culier des facilités de crédit à taux nul en faveur des secteurs économiques les plus touchés par la crise (PME et TPE)».
Bref, comme nous le disions la semaine dernière, les banques sont aujourd'hui tiraillées entre l'impératif de financer l'économie et sa relance, et une gestion encore plus stricte des risques, avec le point sombre des créances en souffrance. Difficile jeu d’équili-briste !