La Banque centrale a abaissé son taux directeur de 25 points de base le 19 mars, le portant à 2,25%. Une décision qui intervient à contrepied des attentes majoritaires du marché, qui misait plutôt sur un statu quo. Si ce choix s’inscrit dans un contexte global d’assouplissement monétaire, ses implications sur les finances publiques, le crédit bancaire, le marché obligataire et la Bourse sont multiples et interconnectées. Décryptage.
Par Y. Seddik
Tout d’abord, la baisse du taux directeur engendre mécaniquement une réduction du coût de financement de l’État. Selon Attijari Global Research (AGR), chaque diminution de 25 points de base génère une économie annuelle d’environ 300 millions de dirhams sur les charges d’intérêt du Trésor. Ainsi, à l’horizon 2025, le déficit budgétaire, initialement projeté à 3,9% du PIB, pourrait s’alléger à 3,5%.
Un soulagement modeste, mais bienvenu dans un contexte de dépenses d’investissement publiques massives, avec plus de 1.700 milliards de dirhams sur cinq ans pour accompagner les réformes économiques, sociales et hydriques du Royaume.
Ensuite, le canal du crédit est l’un des premiers à réagir aux signaux de politique monétaire. La baisse cumulée de 50 points de base du taux directeur depuis juin 2024 commence à produire ses effets: les taux débiteurs ont reculé à 5,08% en 2024. AGR anticipe une nette accélération du rythme de croissance du crédit bancaire à +5,9% en 2025 (contre +2,6% en 2024), portée par des conditions de financement plus favorables pour les ménages et les entreprises. Cet effet est d’autant plus stratégique que la croissance 2025 (+3,9% prévue) repose en partie sur une reprise de la demande intérieure et de l’investissement privé.
Des taux obligataires sous pression et une Bourse gagnante
Parallèlement, les marchés obligataires devraient également bénéficier de cette orientation plus accommodante. Les premières tensions haussières observées en début d’année, nourries par une inflation remontée temporairement à 2% en janvier et par une forte activité du Trésor sur le marché primaire (42 milliards de dirhams levés au T1), devraient s’atténuer. Selon AGR, la détente des taux directeurs devrait se répercuter sur la courbe des taux, notamment à court terme, avec une baisse progressive des rendements des bons du Trésor. Cette dynamique pourrait être renforcée par une éventuelle émission souveraine en devises, qui viendrait soulager la pression sur les financements domestiques.
En outre, c’est sur le marché actions que les effets d’une baisse des taux sont les plus spectaculaires à court terme. À mesure que le taux sans risque diminue, la valeur actualisée des bénéfices futurs des entreprises augmente, ce qui dope mécaniquement les valorisations. Selon les calculs de CFG Bank, la baisse récente du taux directeur induit un potentiel de hausse du MASI de 4%. Ce potentiel pourrait même atteindre 7% si le taux sans risque descendait à 2,95%, voire 9% en cas de nouvelle baisse du taux directeur à 2% dans les mois à venir.
Ce scénario repose sur une modélisation du PER théorique du marché à partir de l’écart historique moyen entre le rendement des bénéfices et le taux sans risque, estimé à 1,88% sur la décennie écoulée. Avec un taux sans risque à 3,07%, cela induit un PER théorique de 20,2x, contre 19,4x actuellement observé. L’ajustement attendu offrirait donc un levier de valorisation supplémentaire, surtout si les bénéfices attendus des entreprises (près de 45,9 Mds de dirhams en 2025E) se concrétisent.
En somme, le pari de Bank Al-Maghrib a été de capitaliser sur une fenêtre de désinflation maîtrisée (2% attendus en 2025, 1,8% en 2026) pour soutenir la croissance à travers un assouplissement monétaire ciblé. Pour l’heure, la politique monétaire du wali s’inscrit dans une logique d’alignement avec les grandes Banques centrales engagées dans un cycle de baisse (BCE, BoC, BoE). Mais contrairement à la FED qui temporise face aux incertitudes inflationnistes, BAM fait le pari d’un soutien plus appuyé à la croissance. Ce choix, s’il s’avère judicieux, pourrait conforter le cycle de reprise économique et raviver l’appétit des investisseurs sur toutes les classes d’actifs.