L’impact d’une baisse du taux directeur sur le coût de la ressource bancaire et, partant, sur le crédit, aussi bien en volume qu’en tarification, reste minime. Les avis divergent quant à l’effet qu’aura la récente baisse du taux directeur de BAM sur la croissance économique. Cela n’empêche de constater une tendance baissière des taux débiteurs concomitamment avec les baisses successives du taux directeur ces dernières années au Maroc.
La baisse récente du taux directeur de Bank Al-Maghrib (BAM), de 25 points de base à 2,25%, soulève à nouveau la question de la pertinence de ce canal de transmission de la politique monétaire. Aura-t-elle un impact sur le crédit, aussi bien en volume distribué qu’en tarification (taux débiteurs), tel que l’a toujours souhaité le Conseil de Bank Al-Maghrib ? Les avis divergent entre, d’une part, ceux qui n’y voient aucun signal annonciateur d’une croissance à venir (arguant le fait que le crédit n’a pas décollé en Europe malgré le fameux programme d’assouplissement monétaire de la Banque centrale européenne, avec des taux d’intérêt nuls, voire négatifs) et, d’autre part, ceux qui pensent que la baisse du loyer de l’argent chez BAM va sûrement donner un gros coup de pouce à l’économie nationale.
Cela dit, toute comparaison entre le contexte marocain et celui européen, à la lumière des décisions de la BCE et de BAM, doit se faire avec précaution. Dans une tribune publiée récemment dans un journal de la place, Omar Fessal, expert en finance internationale, défend l’idée selon laquelle une baisse des taux avec des niveaux élevés produit un effet sur l’économie réelle bien plus important que la même baisse lorsque les niveaux sont déjà bas. Il se montre ainsi convaincu que la baisse du taux directeur de BAM aura un effet bien plus stimulant que ce qu’on aperçoit de l’autre côté de la Méditerranée.
Suffit-il alors de baisser le taux directeur pour s’attendre à une envolée du crédit, en supposant que les taux proposés aux agents économiques par les banques vont suivre le signal donné par BAM ? Pas vraiment. L’effet n’est surtout pas automatique. «La faiblesse des volumes distribués est un problème plus structurel que conjoncturel. Il trouve son origine dans le manque de solvabilité de l'économie réelle et l'augmentation de la composante risque, d'où le rationnement du crédit par les banques», souligne l’économiste Hicham El Moussaoui, dans une analyse publiée dans «librefrique.org». Et d’ajouter : «la multiplication, en trois ans, des créances en souffrance par 1,5 n'est pas pour tempérer l'aversion des banques au risque».
Qu’en est-il maintenant des taux débiteurs ? Les banques commerciales vont-elles faire l’effort de répercuter la baisse du taux directeur ? Les statistiques disponibles montrent qu’entre le dernier trimestre 2014, date de la dernière baisse de BAM, et le dernier trimestre 2015, les taux ont baissé de 66 points de base sur les crédits à l’équipement, de 60 points de base sur les crédits de trésorerie, de 29 points de base sur les crédits immobiliers et de 5 points de base sur les crédits à la consommation. «Une véritable tendance à la baisse des taux a été observée ces trois dernières années. La baisse du taux directeur, à plusieurs reprises, en est l’effet annonciateur. Nous constatons une pression continue à la baisse des taux d’intérêt accordés aussi bien aux particuliers qu’aux entreprises», confirme Omar Tazi, DG délégué de BMCE Bank Of Africa, en charge de la banque des particuliers et professionnels, qui s’exprimait récemment lors de la conférence de présentation des résultats annuels. Ainsi, poursuit-il, un crédit logement se négocie aujourd’hui à un taux fixe de 4,5 à 5% pour une durée de remboursement de 25 ans. Il en est de même pour les crédits aux entreprises qui ont baissé d’une manière substantielle, rappelle, de son côté, M’Fadel El Halaissi, DG délégué de BMCE Bank en charge de l’entreprise.
Les banquiers insistent sur le fait que le coût de leurs ressources n’est pas lié au taux directeur, mais aux frais d’équipement des agences, aux frais généraux, etc. En effet, constate l’économiste El Moussaoui, plus de la moitié des ressources des banques, soit 900 milliards de DH, provient de dépôts non rémunérés. C’est dire que pour les banques, le loyer de l’argent ne constitue pas un obstacle lors de l’octroi des crédits. Pour qu’une baisse du taux directeur soit répercutée de manière substantielle, déduit El Moussaoui, «il faudrait que l'essentiel du refinancement des banques soit fourni par BAM, ce qui n'est pas le cas aujourd’hui puisque les avances à 7 jours de la Banque centrale ne représentent que 5% de leurs ressources».
Ensemble, ces raisons remettent en cause cette idée hypothétique selon laquelle il y aurait une corrélation entre le taux directeur et la croissance économique. Celle-ci passe par la consommation interne. Mais la demande peine à décoller, détériorant au passage le coefficient de liquidité des banques au profit des dépôts et au détriment des crédits. Reste maintenant à savoir jusqu’où ira BAM pour redresser la situation : va-t-elle continuer à baisser son taux directeur ou bien privilégiera-t-elle d’autres mesures (relèvement de la réserve obligatoire). En attendant l’annonce de nouvelles mesures, Brahim Benjelloun Touimi, administrateur DG délégué de BMCE Bank a, quant à lui, imaginé un taux magique qu’il va falloir relever, à savoir le taux de confiance dans l’environnement économique. Amen.
Wadie El Mouden