Malgré la publication de la circulaire relative à l’application du critère de tarification «localisation géographique du risque», qui fait le distinguo entre les provinces sahariennes et les autres provinces du Royaume, certaines compagnies d’assurances continuent de profiter indûment du rabais saharien (40% de réduction). Ces déraillements pourraient coûter cher à la profitabilité du secteur des assurances. Le régulateur s’active et prend les choses en main (un agrément a déjà été retiré). Après le Sahara, une autre mission d’audit est prévue dans les jours qui viennent, dans les locaux des compagnies d’assurances.
C’est un marché fortement fragmenté et à concurrence lourde, dans lequel opèrent aujourd’hui les compagnies d’assurances. Sauf que cette concurrence n’est pas toujours saine comme le veut la loi d’un marché libre, et par ricochet, n’est pas exempte d’incidences sur le secteur des assurances. Elle l’est d'ailleurs à cause d’une braderie des tarifs qui se révèle parfois périlleuse pour la compagnie pratiquant la baisse, en particulier et pour le secteur en général.
Le rabais saharien : en dehors du champ d’application
Dans le même registre, nous apprenons aujourd’hui, d’une source sûre, que les agents de certaines compagnies d’assurances utilisent le rabais saharien pour des clients qui habitent dans le Sud (Agadir, Essaouira…) et non pas au Sahara. Il s’agit d’une réduction de 40%, qui profite normalement à la clientèle résidant dans les villes sahariennes. En agissant de la sorte, ces agents esquivent la loi et appliquent des tarifs réduits «non mérités». C’est un exemple flagrant de concurrence déloyale, qui altère le fonctionnement du marché et provoque la perte de quelques millions de dirhams. En vue de remédier à ce genre de dérapages, le régulateur avait publié la circulaire n°AO/13/20 du 25 juillet 2013, relative à l’application du critère de tarification «localisation géographique du risque» qui permet de distinguer les provinces sahariennes des autres provinces du Royaume. Il est ainsi demandé que la rubrique «Adresse» de l’attestation d’assurance automobile soit remplie par l’adresse complète indiquée sur la CIN ou sur le certificat de résidence (pour les propriétaires personnes physiques) et dans le registre du commerce (pour les propriétaires personnes morales). «Les intermédiaires d’assurance sont tenus d’adresser dans les 15 jours suivant la fin de chaque trimestre, à la Direction des assurances et de la prévoyance sociale (DAPS), sur papier et sur support informatique, un état récapitulant les contrats d’assurances souscrits ou renouvelés durant le trimestre écoulé, au titre desquels, il a été fait application du tarif afférent à la zone saharienne», apprend-on dans la circulaire. Aussi, les compagnies d’assurances sont-elles appelées à déclarer au régulateur, dès qu’elles en ont eu connaissance, les cas de non-respect d’une ou plusieurs dispositions de la circulaire. Sa publication n’a pas pour autant dissuadé quelques agents véreux des compagnies d’assurances de continuer à falsifier les documents et, profiter de la réduction de 40%. Il y a quatre mois, une centaine d’agents de la région avaient alors rédigé une pétition, qu’ils avaient adressée au ministère de la Justice, à celui de l’Intérieur et au régulateur DAPS pour dénoncer ces pratiques frauduleuses et démanteler cette bande organisée qui altère les documents, essentiellement le lieu de résidence. Aujourd’hui, il semble que les choses sont prises au sérieux par la DAPS, nous confie un membre de la Fnacam. «Effectivement, ce genre de dérapages existe depuis longtemps. La DAPS en est bien consciente, et les choses sont désormais prises en main : les agents et courtiers qui recourent à ce genre de fraude subissent de la part du régulateur, d’abord un avertissement, ensuite un blâme et en dernier lieu un retrait d’agrément. Même les compagnies d’assurances dont les agents se prêtent à cette violation de la loi ont été interpellées», confirme notre interlocuteur. «Parce qu’une compagnie jouit toujours d’un droit de regard sur les documents relatifs à la souscription d’une police d’assurance. Mais j’avoue que je vois très mal une compagnie fouiner l’ensemble des documents de tous ses courtiers», s’empresse-t-il d’ajouter. Et c’est là où le bât blesse ! Ce qui est cependant sûr, c’est que la DAPS avait initié une enquête auprès des agents dans la région (un agent s’est vu retirer son agrément), et dans les jours qui viennent, elle procédera à un audit des sociétés d’assurances. «Il s’agit d’une mission de contrôle que la DAPS effectue depuis un an, pour s’assurer de l’application des directives de la circulaire. Je peux dire que depuis 2013, ces pratiques frauduleuses ont diminué par rapport à avant», confirme une source de la DAPS qui préfère voir le verre à moitié plein. Et même la justice s’active désormais, pour tout ce qui est falsification des documents. Mais la tâche reste quand même ardue, parce que le régulateur n’a ni le temps, ni les moyens pour s’assurer de la probité de tous les certificats de résidence du Royaume. Hormis le rabais saharien, les sociétés d’assurances baissent leurs tarifs, essentiellement en période d’euphorie financière, et ce en dehors de toute logique technique.
Autre forme de concurrence déloyale
Il est clair que lorsque les marchés financiers sont porteurs, la concurrence entre acteurs est plus rude puisqu’ils sont en mesure d’aller chercher un complément de marges à travers les produits financiers. Toutefois, toute baisse éventuelle des tarifs doit trouver sa justification dans les composantes techniques de l’activité, et tout particulièrement dans les analyses du rapport sinistres à primes. Or, malheureusement, ce n’est pas souvent le cas. Le marché financier étant ce qu’il est, il y a quelques années, suite à la crise financière, la dégradation des placements financiers et celle des plus values latentes a poussé les sociétés d’assurances à réfléchir à revoir leur stratégie et à faire du résultat technique leur principale priorité. Mais qu’en est-il en réalité ? «Effectivement, la Fédération marocaine des sociétés d’assurances et de réassurance avait tiré la sonnette d’alarme pour que le marché s’assainisse. Au 1er janvier 2015, le secteur a connu un élan de retour vers la technicité, notamment via la revue à la hausse des tarifs, mais quel est le pourcentage des compagnies qui a revu ses primes pendant le premier semestre ?», s’interroge un responsable au sein d’une compagnie d’assurances. Il étaye ses propos par un simple calcul : Le marché a connu une évolution de la branche non Vie de 2 à 3%. Si l’on prend en considération que la branche automobile représente, à elle seule, près de 50% et qu’elle affiche une croissance régulière de 5%, cela veut dire que les compagnies n’ont pas augmenté les primes sur les autres branches, car logiquement, cela n’est pas possible. «Certains confrères continuent de brader les prix, et ce malgré le signal reçu» assure-t-il. Une chose est sûre : les tarifs d’assurance sont libres depuis quelques années, mais cela n’empêche pas les compagnies de respecter le calcul et la constitution réglementaire des provisions techniques, d’une part, et de la marge de solvabilité d’autre part. Parce que tôt ou tard, le non-respect de ces dispositions pourrait nuire à la rentabilité globale du secteur.
Ce qu’il faut savoir
La prime d'assurance est le prix que le preneur d’assurance doit payer pour pouvoir bénéficier de la couverture d’assurance en cas de sinistre. La prime se compose de trois parties: la partie risque, la partie frais et la partie bénéfice. La partie risque constitue le coût probable de sinistre que représente le risque à assurer. Concrètement, l'assureur va modéliser le risque que représente l'objet à assurer, en comparant son profil avec l'historique qu'il possède sur d'autres profils similaires. L'évaluation du risque est donc liée à la connaissance historique de risques similaires (ou à la capacité de modélisation). C'est la raison pour laquelle, les assureurs proposent des primes d'assurance différentes, puisqu'ils n'ont pas le même historique, la même expérience, la même base de clientèle. Ils évaluent donc différemment les risques. À cette prime de risque, on rajoute tous les frais de gestion, c'est-à-dire les frais qui permettent (en les répartissant sur tous les clients) de couvrir les charges opérationnelles de l'assureur (salaires, loyers, ...).
Soubha Es-siari