Le projet de loi sur l’assurance Takaful est sur le point d’entrer dans le circuit législatif. Cette nouvelle forme d’assurance, fondée sur les préceptes de la Charia, permettra de compléter l’écosystème financier participatif, et semble promise à un bel avenir. Toutefois, le dispositif règlementaire reste incomplet dans la mesure où il ne prévoit pas, pour le moment, d’assurance Takaful pour les risques et dommages.
Bien que le Maroc se soit doté successivement d’une loi régissant les Sukuks (l’équivalent islamique des obligations) ainsi que d’une nouvelle loi bancaire faisant la part belle aux activités de banque participative, il n’en demeure pas moins vrai qu’il manque toujours un maillon essentiel à la création d’un écosystème financier participatif complet : l’assurance participative, plus communément appelée Takaful.
En effet, il paraît pour le moins saugrenu de voir des banques distribuer des produits Sharia compatibles en y adossant un produit d’assurance qui ne l’est pas. C’est la raison pour laquelle un projet de loi a été déposé cette année au Secrétariat général du gouvernement, qui modifie le code des assurances, en y intégrant un volet consacré à l’assurance participative. Comme le fait remarquer Mohamed Boulif, Directeur général d’Al Malya Consulting et expert en finance islamique, «il est impératif que la finance participative puisse se déployer au Maroc dans toutes les industries financières, et de ne pas se focaliser plus sur un secteur par rapport à un autre». Mais au rythme où vont les choses, il y a fort à parier que la loi autorisant Takaful ne sera pas promulguée au moment du déploiement des premières banques participatives, prévu au premier trimestre 2016.
Toujours est-il que le projet de loi est sur le point de faire son entrée dans le circuit législatif. Cependant, son contenu déçoit quelque peu. En effet, il ne concerne qu’une seule composante de l’assurance, à savoir l’assurance Vie. Il laisse ainsi de côté l’assurance dommages. Malgré ce manque, Mohamed Boulif salue ce projet de loi et estime que l’assurance Takaful sur la vie pourrait s’avérer bien utile pour l’économie marocaine. Elle injectera des fonds d’épargne supplémentaires à très long terme (10 à 15 ans) à disposition des gérants d’actifs et des banques. De quoi dynamiser davantage le marché de capitaux.
Mais un problème se pose: en l’état actuel du projet de loi, les banques participatives ne pourront s’assurer, conformément à la Sharia, que sur le solde restant dû. Comment les banques participatives qui financeront des biens, notamment à travers la Mourabaha immobilière, feront-elles pour assurer ces mêmes biens avec un produit d’assurance non conforme à la Sharia ? Sans assurance Takaful sur les risques et dommages, le Conseil supérieur des Oulémas autorisera-t-il l’adossement de produits d’assurances conventionnels à des financements halal ? La question reste en suspens, mais Boulif garde bon espoir que la Direction des assurances et de la prévoyance sociale (DAPS) se penche sur la question pour lever l’équivoque, et pour que le Maroc puisse disposer d’un système financier participatif cohérent.
Cette situation n’est pas propre au Maroc. D’autres pays, à l’image de la Malaisie, ont déjà eu à composer avec cette «anomalie», en faisant preuve de pragmatisme. Dans ce pays d’Asie du Sud-Est, l’assurance Takaful a fait son apparition dès 1984, et les financements Sharia compatibles ont longtemps cohabité avec des assurances non conformes. En revanche, dans d’autres pays, comme ceux du Moyen-Orient, la règlementation est très restrictive et ne permet pas ce genre de coexistence. A l’évidence, le Maroc a fait le choix du pragmatisme et de la politique des petits pas pour ne pas brusquer un marché des assurances florissant et conquérant. Autre point commun entre l’expérience malaisienne et le projet marocain : le régulateur chapeaute les deux types d’assurances (conventionnelles et participatives). Pour cet opérateur malaisien, qui a une longue expérience dans l’assurance participative, c’est la bonne marche à suivre car elle permet d’assurer une certaine uniformité entre les deux types d’assurance, notamment sur le plan de certains aspects opérationnels.
L’assurance Takaful au Maroc est appelée à connaître un bel essor. Outre les produits Vie distribués par les banques, les produits de pension pourraient être très prisés par la population jeune du Royaume qui se soucie de plus en plus de son avenir. L’assurance Takaful pourrait également investir le secteur médical. «Vu les carences, les assurances médicales pourraient se développer rapidement», selon Boulif. C’est également le cas pour le secteur de l’éducation (une police ouverte par les parents aux bénéfices des enfants), ou pour celui de l’agriculture (une police tenant compte de l’irrégularité des récoltes) qui indemnise les agriculteurs. En réalité, là où il y a un risque, il y a moyen de le couvrir par des polices d’assurance Takaful. Les applications sont donc innombrables. Mais de nombreux défis restent à relever, au premier rang desquels il y a la vulgarisation auprès du grand public, et surtout la possibilité d’investir les fonds collectés à travers l’assurance Takaful dans les classes d’actifs appropriés, c’est-à-dire «halal». «Sinon cela ne sert à rien», prévient Boulif.
Le partage et non le transfert des risques
Takaful est une forme d’assurance mutuelle fondée sur les préceptes de la Sharia. Il provient du verbe Kafala qui signifie se porter garant l’un l’autre. Il s’agit d’un type d’assurance dans lequel les membres souscripteurs (les participants) mettent de l’argent en commun dans un fonds (fonds des participants) pour bénéficier d’une garantie mutuelle contre les sinistres et d’éventuelles pertes. C’est donc une assurance fondée sur la solidarité et l’entraide et non sur le profit. Le principe qui prime est celui du partage des risques et non celui du transfert des risques, comme c’est le cas pour l’assurance conventionnelle. Par ailleurs, l’excédent technique est reversé aux participants (contributeurs), et la compagnie Takaful se limite à la gestion technique et financière du fonds des participants moyennant des frais de gestion.
Amine Elkadiri