Le compte à rebours a commencé avant la sortie du dispositif réglementaire encadrant l’assurance isla-mique, dite Takaful. En attendant, le suspense continue sur le mode opératoire de ce nouveau produit d’as-surance, les premiers sukuks à émettre, etc. Tout dépendra de la qualité et de l’attractivité de l’écosystème marocain de la finance participative.
Tout crédit contracté auprès d’une banque participative devrait, en principe, être ados-sé à une assurance conforme à la Sharia, dite Takaful. Voilà une toute simple raison pour laquelle le projet de loi traitant du Takaful, soumis depuis quelques mois à l’approbation du Parlement, doit être prêt à accompagner l’octroi des pre-miers agréments de banques islamiques au Maroc, prévu dès septembre prochain, à en croire les estimations du Wali de Bank Al-Maghrib. Il faut dire que la réflexion autour de l’assurance isla-mique se poursuit encore, associant à la fois les élus, les autorités et les experts de l’industrie Takaful dans le reste du monde, dont certains sont d’origine marocaine. Takaful sera-t-il limité au seul segment de l’assurance vie ? Se contentera-t-on au démarrage de cette activité d’un seul opérateur sous la forme d’un consortium ? Les compagnies d’assurances vont-elles ouvrir des fenêtres «Takaful» ou bien créer des filiales spécialisées ? Le temps fait mûrir la réflexion sur ce genre de questions. Les concertations vont bon train. L’objectif est de doter le Maroc d’un arsenal solide et de bâtir un nouveau modèle spécifique à la réalité et aux besoins locaux, en s’inspi-rant des bonnes pratiques à l’international.
Désintermédiation
Le Takaful repose sur des modalités particulières d’exercice du métier d’assu-reur, totalement différentes des modes de gestion aux-quels se sont habituées les compagnies convention-nelles. Fondé sur le prin-cipe de mutualisation des risques et des rendements (tant techniques que finan-ciers), le Takaful se rapproche dans son esprit d’un fonds commun d’investissement qui fournirait la promesse de cou-vrir les sinistres subis par les co-investisseurs. Dans l’esprit de Takaful, les primes indi-viduelles cèdent le terrain à des dons collectifs investis et à des rendements en cash servis aux assurés, au-delà de l’indemnisation des dom-mages. Au Maroc, comme ailleurs, les conséquences en matière de gestion sont colossales et complexes. En outre, «le takaful ne saurait être plus cher que l’assurance conven-tionnelle : un excédent de prime ne serait pas économi-quement justifiable», souligne Anouar Hassoune, expert de renom et Fondateur du Groupe Euris, basé au Luxembourg, qui s’exprimait récemment lors d’un atelier thématique sur le Takaful, organisé en marge du Rendez-vous de Casablanca de l’assurance. Par conséquent, poursuit-il, seule l’émergence d’un éco-système participatif est à même de rendre ce nouveau métier suffisamment fluide pour être compétitif. En effet, les dons collectifs du fonds de Takaful, gérés par la compagnie d’assurances, doivent être alloués à plu-sieurs classes d’actifs, elles-mêmes en conformité avec les principes de la finance participative. Le Takaful, insiste Anouar Hassoune, a donc absolument besoin du sous-jacent des banques isla-miques pour placer une partie de sa liquidité. Autrement dit, les compagnies d’assurances ont besoin des banques isla-miques, au moins autant que les banques islamiques ont besoin des compagnies de Takaful. Les assureurs «Takaful» ont besoin égale-ment de désintermédiation. Il doit y avoir suffisamment d’obligations compatibles avec la Sharia, appelées communément Sukuks. Sans désintermédiation, note Anouar Hassoune, le com-partiment «fixed income» de leur portefeuille sera désé-quilibré et sous-optimal. Sur cet aspect précisément, on ne se trompe absolument pas de cible. Tout le monde s’ac-corde à dire que seul l’Etat (qui dit Etat dit aussi entre-prises publiques) peut donner le la en émettant les premiers sukuks du marché financier participatif marocain. Car les assureurs et les banques islamiques auront besoin de placer de gros volumes en misant sur des titres souve-rains de bonne qualité. L’immobilier n’est pas en reste. Les opérateurs Takaful seront amenés à orienter leurs placements vers des fonds immobiliers et des sociétés civiles immobilières «islamic real estate invest-ment trusts». En se référant aux expériences réussies et moins réussies à l’internatio-nal (Pays du Golfe, Malaisie, etc), le fondateur du groupe Euris estime que les normes législatives et réglemen-taires au Maroc en matière de Takaful «ne prévoient pas encore l’émergence d’un écosystème favorable à un développement harmonieux et compétitif d’une offre assu-rancielle participative». Mais au demeurant, nuance-t-il, complexité ne rime pas forcé-ment avec complication. «Si les ajustements nécessaires sont apportés au projet maro-cain de finance participative, il est à parier que le mar-ché marocain pourrait contri-buer fermement au second souffle que l’industrie globale de Takaful attend depuis plu-sieurs décennies», conclut Anouar Hassoune.
Wadie El Mouden