Face à la multiplication des séismes et aux risques climatiques, le Maroc réfléchit à rendre l’assurance habitation obligatoire. L’ACAPS mène une étude pour en évaluer la faisabilité.
Par Y. Seddik
Le séisme d'Al Haouz, survenu en septembre 2023, a été un électrochoc. Outre le drame humain, il a révélé une faille béante dans la protection des foyers face aux catastrophes naturelles : seuls 4% des ménages au Maroc disposent d’une assurance habitation. Un chiffre dérisoire qui pose une question de fond : faut-il rendre cette couverture obligatoire alors que les secousses se multiplient, à l’image du tremblement de terre de magnitude 5,2 enregistré hier au nord du Maroc ?
Le pays, situé à la frontière entre les plaques africaine et eurasienne, reste en effet exposé à un risque sismique récurrent. Face à cette vulnérabilité, l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS) est passée à l’action. Elle a mandaté le cabinet ARM Consultants pour évaluer la faisabilité d’une assurance habitation obligatoire. En ligne de mire : une analyse des risques, un examen du cadre réglementaire, un benchmark des meilleures pratiques internationales et, surtout, une évaluation de l’impact économique et social d’une telle mesure.
Le Maroc a fait des progrès notables en matière d’accès au logement grâce à des programmes publics ambitieux. Mais ces avancées contrastent avec une protection assurantielle quasi inexistante. La majorité des habitations endommagées lors du séisme d’Al Haouz n’était pas couverte, laissant des milliers de familles démunies face à des pertes financières considérables. Une situation qui relance la nécessité d’une réforme en profondeur. Aujourd’hui, l’assurance multirisque habitation est surtout souscrite par ceux qui n’ont pas le choix : les emprunteurs immobiliers, contraints par leur banque. Pour les autres, notamment les propriétaires ayant acheté sans crédit, la souscription reste facultative – et largement ignorée. Pourtant, les risques sont bien là : incendies, inondations, vol… sans parler des catastrophes naturelles. À chaque sinistre, des foyers sombrent financièrement, faute d’anticipation.
Un marché qui peine à décoller
«Cette assurance est souscrite essentiellement pour les logements acquis moyennent un financement bancaire. Cette situation a été, d’ailleurs, mise en exergue lors du séisme de Al Haouz, où la majorité des résidences endommagées n’a, en effet, pas pu bénéficier de l’assurance contre les événements catastrophiques (dont fait partie le tremblement de terre) instituée par la loi n° 110-14», explique le régulateur du secteur. L’offre, pourtant, existe. Le marché marocain compte 13 compagnies d’assurances agréées, dont 4 opérant dans le secteur Takaful. Elles proposent des formules multirisques couvrant incendies, dégâts des eaux, bris de glace, vols et responsabilité civile.
Certaines vont plus loin en développant des produits de micro-assurance pour toucher un public plus large. Mais malgré cette diversité, la demande reste faible. Manque de sensibilisation, perception de l’assurance comme une dépense inutile, méfiance envers les assureurs… autant de freins à la souscription. Pourtant, les prix sont loin d’être dissuasifs : entre 300 et 500 dirhams par an pour une couverture de base. Une protection plus complète, incluant le mobilier ou des garanties supplémentaires, varie entre 1.200 et 4.000 dirhams selon la valeur des biens.
Vers une obligation d’assurance ?
L’ACAPS veut trancher. Son étude, confiée à ARM Consultants, vise à mesurer l’opportunité et la faisabilité d’une assurance habitation obligatoire. L’enjeu : mieux protéger les ménages sans pour autant créer une contrainte financière insurmontable. Selon nos sources, la mission confiée à ARM Consultants se décompose en plusieurs phases. La première consiste à dresser un diagnostic des risques liés à l’habitation au Maroc, en identifiant les principaux événements susceptibles de causer des dommages (séismes, inondations, incendies, etc.). Cette analyse doit également prendre en compte les caractéristiques des logements (types, qualité de construction) et les habitudes des occupants. La deuxième phase se concentre sur un benchmark international, avec l’étude d’au moins quatre expériences étrangères en matière d’assurance habitation obligatoire.
L’objectif est d’identifier les modèles les plus adaptés au contexte marocain, en tenant compte des spécificités culturelles, économiques et réglementaires du pays. Enfin, les phases suivantes visent à évaluer la faisabilité de l’obligation d’assurance, proposer des pistes de mise en œuvre, et élaborer une feuille de route détaillée. Parmi les aspects clés à considérer, figurent la tarification des risques, les mécanismes de contrôle et les adaptations réglementaires nécessaires. «Cette obligation d’assurance induira systématiquement une amélioration de la couverture contre les événements catastrophiques objet du régime institué par la loi n° 110- 14. En effet, les résidences éligibles actuellement à l’allocation accordée par le Fonds de solidarité contre les événements catastrophiques (FSEC) dans les conditions et les limites définies par ladite loi seront, dorénavant, couverts au titre du volet assurantiel du régime précité», précise l’ACAPS.
Quels défis à surmonter ?
Si l’idée d’une assurance habitation obligatoire répond à un besoin de protection, sa mise en place soulève plusieurs questions. L’un des principaux enjeux concerne l’accessibilité financière. Pour de nombreux ménages, notamment les plus modestes, le coût d’une telle couverture pourrait représenter une contrainte budgétaire. Il serait donc essentiel de proposer des solutions adaptées, avec une tarification différenciée en fonction des profils et des types de logement. Au-delà de l’aspect financier, la perception de l’assurance demeure un frein majeur. Nombreux sont ceux qui la considèrent encore comme une charge superflue. Un travail de sensibilisation et de pédagogie sera indispensable pour démontrer son utilité et encourager son adoption. Mais instaurer une obligation ne suffit pas : encore faut-il en assurer le respect.
Faut-il privilégier un système de sanctions pour les contrevenants ou plutôt mettre en place des incitations pour favoriser la souscription ? La question reste ouverte et nécessitera un cadre réglementaire précis. Enfin, l’offre assurantielle elle-même devra s’adapter. Tous les logements ne présentent pas le même niveau de risque, et certains, notamment les plus anciens ou ceux situés dans des zones exposées aux catastrophes naturelles, pourraient être plus difficiles à couvrir. L’enjeu sera donc de proposer des formules flexibles et accessibles à tous, sans créer d’inégalités face à la protection assurantielle. Au-delà de la protection des ménages, une assurance habitation obligatoire pourrait avoir des effets positifs plus larges.
«L'instauration de l'obligation d'assurance en matière d’habitation permettra de renforcer la protection des citoyens et de promouvoir la stabilité du secteur immobilier. Une telle mesure réduira, en effet, les risques économiques engendrés par les sinistres, limitant ainsi la charge financière qui pèse sur les propriétaires et les locataires», souligne l’Autorité. Toutefois, une mise en œuvre trop rapide risquerait de susciter des réticences, notamment chez les ménages à faibles revenus. L’approche devra donc être progressive et équilibrée, en s’appuyant sur des modèles éprouvés tout en les adaptant aux réalités locales.