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Affaire «Parts de fondateurs SCP» : La justice déboute Samir, la débâcle continue

Affaire «Parts de fondateurs SCP» : La justice déboute Samir, la débâcle continue

samir siege

Les mauvaises nou­velles n’arrivent jamais seules. Ayant du mal à régler une ardoise de plus de 40 milliards de DH (cumulée notamment auprès de la Douane et des banques marocaines et étrangères), Samir se trouve au centre d’un imbroglio judiciaire l’opposant, cette fois-ci, aux détenteurs de «parts de fondateurs» de la Société chérifienne des pétroles (SCP), la société qu’elle a absorbée en 1999. La justice a donné jusqu’ici raison aux «vic­times» ayant déposé leurs plaintes, aussi bien en première instance qu’en appel. La Samir devrait les rembourser et la facture risque d’être salée si l’on sait que le volume de ces fameuses «parts de fondateurs» a été estimé à 25% du capital de Samir après la fusion. Une chose est sûre, l’affaire SCP vient soulever à nouveau un soupçon d’amateurisme managérial chez l’un des fleurons de l’industrie marocaine, aujourd’hui au bord de l’asphyxie financière !

L’affaire remonte à plusieurs années, avant le 20 mai 1999, date de dénouement de la fusion-absorption SCP-Samir. Elle nous emmène à l’époque où la distribution des «parts de fondateurs» fut une pratique courante, admise et tolérée par la loi.

D’abord, une petite défini­tion s’impose pour situer les faits dans leur contexte historique. Les parts de fon­dateurs, dites aussi parts bénéficiaires, sont des titres octroyés le plus souvent aux fondateurs de la société et, parfois, aux conseillers externes, ingénieurs, cadres ou membres du personnel, en contrepartie de services qui ne sont pas susceptibles d’être évalués économique­ment de manière précise et fiable (par conséquent, ils ne peuvent être consi­dérés comme apports en nature). Ces parts procurent à leurs détenteurs un cer­tain nombre d’avantages; les droits qui y sont atta­chés sont déterminés par les statuts, comme le droit de vote, la participation aux bénéfices, etc.

«L'erreur est humaine»

La SCP fut parmi les pre­mières entreprises au Maroc à avoir émis ces parts fon­dateurs qui, à l’instar des actions classiques de la société, jouissaient d’une double cotation, simul­tanément à la Bourse de Casablanca et à la Bourse de Paris. Nominatifs ou au porteur, ces titres négo­ciables pouvaient migrer et changer de main en toute quiétude et de manière légale. Au moins jusqu’à la promulgation, en août 1996, de la nouvelle loi sur les sociétés anonymes (S.A). Celle-ci a marqué un tournant en interdisant formellement l’émission de nouvelles parts de fonda­teurs. Quant au stock des parts déjà existantes, un délai de grâce de deux ans a été accordé aux entre­prises émettrices pour, soit les racheter, soit les convertir en actions. Mais la SCP ne semble pas avoir cherché à se conformer convenablement au nou­veau dispositif régissant la S.A. Lors d’une assemblée générale extraordinaire, le 9 novembre 1998, cen­sée actualiser le règlement général, les actionnaires de la SCP ont procédé à l’annulation pure et simple des parts de fondateurs, sans les racheter et encore moins les convertir en actions. Une erreur fatale qui, des années plus tard, va coûter cher à la société absorbante, Samir.

Début 2004, après un long sommeil, certains déten­teurs de «parts de fonda­teurs SCP», en particulier les titres autrefois cotés à Paris, commencent à se manifester en frappant, dans un premier temps, aux portes de Samir. Les res­ponsables de la raffinerie font la sourde oreille à leur requête. Saisi à son tour par ces actionnaires, le CDVM prend le temps d’étudier leur dossier et adresse à Samir une lettre (datée du 27 février 2007), l’invitant à régulariser la situation des porteurs de parts fondateurs SCP et, mieux, à le tenir informé de l’évolution de ce dossier. Un an et demi plus tard, devant l’obstination de Samir à ne pas vouloir donner suite à l’appel du CDVM, ce dernier n’hésite pas à recommander aux «victimes» de faire valoir leurs droits par voie judi­ciaire. L’avis du gendarme de la Bourse est ferme et le laisse entendre : il s’agit d’une cause légitime et la Samir ne pouvait, en aucun cas, prétendre ignorer l’existence de ces parts, car elle savait, au moment de la fusion-acquisition avec la SCP, que ces titres étaient cotés à la Bourse de Paris.

Les premières plaintes commencent à pleuvoir au second semestre 2010. Le verdict prononcé au bout d’une longue bataille judi­ciaire donnera raison aux plaignants, sommant la Samir de les rembourser. Durant plus de quatre ans de procès, Samir tentera tant bien que mal de se défendre, prétextant tantôt la responsa­bilité de la société absorbée (SCP) et non la sienne, tantôt des vices de forme comme celui arguant que les statuts de la SCP ne permettent pas aux porteurs de parts d’agir individuellement, et seule une assemblée générale ras­semblant les détenteurs de ces titres serait habilitée à décider d'intenter un procès contre Samir. La défense de la raffinerie est allée jusqu’à remettre en cause l’impli­cation du CDVM dans cette affaire. Dans sa plaidoirie, l’avocat de Samir souligne que «les recommandations du CDVM restent sans valeur, et que ce dossier se trouve hors du périmètre de ses préroga­tives». Selon lui, la mission du CDVM se limite à veiller au bon fonctionnement du mar­ché boursier et à contrôler les informations émises par les personnes morales faisant appel public à l’épargne. Cela n’a pas empêché le tribunal de trancher sur la justesse et la légitimité de la plainte des détenteurs de parts de fonda­teurs. Ces derniers, confirme le tribunal, sont dans leur plein droit, d’autant plus que la nouvelle loi sur la S.A (article 227) impose d’indiquer dans chaque projet de fusion les modalités de remise des parts ou actions et la date à partir de laquelle ces parts donnent droit aux bénéfices. Ce n’était malheureusement pas le cas lors de la fusion Samir-SCP.

Omission onéreuse

La responsabilité de Samir étant avérée, il ne restait plus qu’à évaluer le montant des remboursements pour chacun des porteurs de ces parts de fondateurs. Le cas d’un plaignant détenant 119 actions (FNH dispose d’une copie du jugement prononcé en sa faveur en décembre 2014) montre qu’une pre­mière expertise judiciaire a conclu qu’une part de fonda­teurs SCP équivaut à 14,26 actions Samir, soit un total de 1,04 million de dirhams pour un panier de 119 titres (8.741 DH l’unité), en se basant notamment sur le cours de Samir le jour de dépôt de la plainte (le 24 septembre 2010, le cours variait entre 609 et 632 dirhams, soit une moyenne de 620,5 dirhams).

Ce niveau de valorisation n’a pas été du goût de Samir qui n’y a vu aucune pertinence ou méthodologie scientifique, réclamant ainsi une nouvelle expertise judiciaire. Mal lui en aura pris puisque le deu­xième expert, A.B (par ailleurs DG d’une société de finan­cement), a placé la barre un peu plus haut en estimant la valeur des 119 parts à 1,57 million de dirhams, en plus d’un montant de 106.585 dirhams au titre des bénéfices distribués en 1999, l’année de la fusion Samir-SCP. Ces derniers montants seront rete­nus au jugement prononcé en juin 2014 par le tribunal de commerce de Casablanca en première instance. Six mois plus tard, la Cour d’appel les a confirmés. Le verdict est tombé; Samir est sommée de passer à la caisse, et la fac­ture risque d’être salée si l’on sait qu’un expert judiciaire a estimé le volume des parts de fondateurs SCP à 25% du capital de Samir après la fusion.

Au-delà des coûts qu’elle pourrait générer (quoique énormes, mais sans com­mune mesure avec le passif cumulé auprès de l’Etat et des banques), l’affaire des parts de fondateurs vient soulever un soupçon d’amateurisme managérial au sein de la raf­finerie du cheikh Mohamed Hussein Al Amoudi. De même qu’elle pose la question de la responsabilité du commis­saire aux apports lors de la fusion-acquisition, ou encore celle des commissaires aux comptes ayant certifié et approuvé les résultats les plus récents de Samir sans piper le moindre mot, comme si la filiale du Suédois Corral n’est liée à aucun litige. Et le CDVM dans tout cela ? On lui reconnaîtra certes le soutien qu’il a apporté aux plaignants, mais a-t-il pris le soin de sen­sibiliser l’ensemble des por­teurs de parts de fondateurs SCP, au nombre de 25.000 selon nos sources ? Affaire à suivre

Quelques repères juridiques*

Article 244 : L'émission de parts de fondateurs ou parts bénéficiaires est interdite à dater de l'entrée en vigueur de la présente loi.

Article 452 : Les sociétés anonymes qui ont émis des parts de fondateurs avant la publication de la présente loi, doivent procéder, avant l'expiration de la deuxième année qui suit la date de ladite publication, soit au rachat, soit à la conversion de ces titres en actions.

La conversion ou le rachat est décidé par l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires.

Sont punis des peines prévues à l'article 411, les membres des organes d'ad­ministration, de direction ou de gestion qui n'auront pas rempli l'obligation prévue au présent article.

Article 227 : Le projet de fusion ou de scission est arrêté par le Conseil d'administration ou le Directoire, le ou les gérants de chacune des sociétés participant à l'opération projetée. Il doit contenir...les modalités de remise des parts ou actions et la date à partir de laquelle ces parts ou actions donnent droit aux bénéfices, ainsi que toute modalité particulière relative à ce droit, et la date à partir de laquelle les opérations de la société absorbée ou scindée seront, du point de vue comptable, considérées comme accomplies par la ou les sociétés bénéficiaires des apports.

*Extraits de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes

Il était une fois la SCP

Créée en 1929 par l’Etat marocain (représen­té par le Bureau de recherches et de parti­cipations minières), la SCP a oeuvré dans le cadre d’une mission nationale, d’abord pour être un outil de développement de l'activité de prospection pétrolière, puis celles de raffinage du pétrole brut et de l’emplissage de gaz et de produits lubrifiants. Les pre­mières prospections pétrolières sont cou­ronnées dès les années 1930 par la décou­verte du gisement de Jbel Tsalfet (région de Sidi Kacem), premier gisement pétrolier en Afrique et dans le monde arabe.

Face à l’augmentation de la demande des produits pétroliers, la SCP s’est engagée dans un développement progressif de ses capacités, en construisant en 1954 la pre­mière raffinerie moderne du pays à Sidi Kacem, qu’elle agrandit en 1966 (pipeline de 8 pouces reliant la raffinerie au port de Casablanca), en 1972, puis en 1996, pour amener la capacité de traitement à 1,5 million de tonnes. C’est en 1954 que l’entreprise décide de se lancer dans l’acti­vité GPL, en construisant le premier centre d’emplissage de butane à Sidi Kacem. En 1965, la SCP acquiert un pipe de 8 pouces, reliant le port de Casablanca à Sidi Slimane et le prolonge jusqu’à Sidi Kacem.

Ce pipe sera saturé en 1980, poussant la SCP à utiliser les wagons pour complé­ter le transport du brut entre Sidi Kacem et Mohammedia. Un nouveau pipe de 14 pouces reliant ces deux villes a été mis en service en 1997, capable d’acheminer jusqu’à 3 millions de tonnes par an. C’est le groupe suédois Corral qui a entamé la première phase de privatisation de la SCP, en rachetant 66,5% de son capital en 1997, puis les 4% restants aux mains de l’Etat en 1998, avant d’enclencher le processus de sa fusion-absorption avec Samir, concrétisée en en mai 1999.

Chronologie de l’affaire «Parts de fondateurs SCP»

Août 1996 : Promulgation de la nouvelle loi sur les sociétés anonymes (S.A)

Novembre 1998 : L’assemblée générale de la SCP annule les parts de fondateurs sans les racheter, ni les convertir en actions.

Mai 1999 : Fusion-absorption de la SCP par la Samir.

Février 2007 : Le CDVM adresse une lettre à Samir lui demandant de régulariser la situation des porteurs des parts de fondateurs.

Juillet 2008 : Le CDVM recommande aux «victimes» de faire valoir leurs droits par voie judiciaire.

Décembre 2014 : La Cour d’appel somme Samir de rembourser les plaignants. La valeur d’une part de fondateurs SCP est estimée à 14 fois celle de l’action Samir.

Wadie El Mouden

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