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Abandon du Franc CFA : De la démagogie à la réalité économique

Abandon du Franc CFA : De la démagogie à la réalité économique

L'abandon du franc CFA peut être perçu comme une opportunité de reconquérir la souveraineté nationale. Ce sujet est néanmoins investi par certaines «intelligences» qui diffusent des discours populistes détachés des réalités économiques.

La création d'une monnaie commune régionale reste semée d'embûches, tant politiques qu'économiques.

Par D. William

Le Franc CFA incarne un héritage colonial controversé en Afrique de l'Ouest et centrale. Cette monnaie, perçue par beaucoup comme le dernier vestige de la domination française, suscite des critiques véhémentes. Des élites politiques, économistes, activistes… se sont emparés du sujet. Et si certains d’entre eux apportent des arguments factuels qui peuvent justifier l’abandon du FCFA, d’autres sont dans une démagogie et un populisme déconcertants, voire une arithmétique politicienne vicieuse.

Créé officiellement en 1945, le franc CFA, divisé en deux zones (Afrique de l'Ouest et Afrique centrale), a été conçu pour stabiliser les économies des colonies françaises contre les fluctuations brutales des devises internationales. Malgré les réformes visant à réduire l'influence française, la perception d'une monnaie imposée et contrôlée par l'ancienne métropole reste vivace.

La réforme de 2020, qui a supprimé l'obligation pour les pays de l'UEMOA de déposer la moitié de leurs réserves de change en France et éliminé la présence française dans les organes de gouvernance, n'a pas suffi à dissiper les critiques. La parité fixe avec l'Euro, bien qu'elle ait apporté une stabilité certaine, est perçue comme un carcan qui nuit à la compétitivité des pays utilisateurs. «Actuellement, le franc CFA est arrimé à un Euro fort par une parité fixe, ce qui gêne les exportations», confirme l’économiste international Magaye Gaye.

De même, l'absence de flexibilité monétaire est perçue comme un frein à l'industrialisation et à la diversification économique, maintenant les pays dans une dépendance aux exportations de matières premières.

Quid du Sénégal ?

L’engagement de Bassirou Diomaye Faye, élu à la présidence du Sénégal en mars dernier, de sortir du franc CFA, marque une étape potentiellement décisive dans la quête de souveraineté monétaire et représente une rupture significative avec les positions traditionnelles des dirigeants africains sur le franc CFA. Avec Ousmane Sonko comme Premier ministre, le Sénégal se positionne comme un fer de lance potentiel pour la sortie de cette monnaie. Ce duo politique, porté par une jeunesse en quête de changement, fait de la fin du franc CFA un symbole de la reconquête de la souveraineté. Discours cosmétique pour séduire une population qui honnit de plus en plus la France ou approche soutenue par des données économiques convaincantes ? Toujours est-il que l’idée de Diomaye Faye est d’opter pour une transition collective vers une nouvelle monnaie, au travers de l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) et de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest).

Cette initiative prévoyait la création d'une monnaie commune en 2020, l’Eco. En raison de la pandémie liée à la Covid-19, l’échéance a finalement été repoussée à l'horizon 2027, bien que de nombreux obstacles économiques et politiques demeurent encore. Mais l’Eco, Magaye Gaye n’y croit guère «en raison des disparités budgétaires et économiques entre les différents pays, que l’on peut classer en trois sous-zones, notamment les pays anglophones, francophones et lusophones».

Pour autant, abandonner le franc CFA présente des risques économiques majeurs. Une rupture brutale pourrait éroder la confiance des investisseurs, provoquer une instabilité monétaire et entraîner une fuite massive de capitaux. Le Sénégal, malgré ses ambitions pétrolières, reste vulnérable aux chocs externes et dépendant des importations libellées en dollars.

D’où la nécessité de très bien se préparer. Et, pour l’instant en tout cas, le pays de la Téranga est très loin d’être prêt. «La monnaie est normalement le corollaire de la politique économique, or la politique économique du Sénégal est encore extrêmement dépendante de l'extérieur. L'économie sénégalaise est extravertie et présente une balance commerciale structurellement déficitaire depuis les indépendances. Elle dépend largement de l'agriculture, et 70% des agriculteurs ne travaillent que trois mois sur douze. Les fleurons industriels sont en difficulté, l'économie est gangrénée par la corruption et est faiblement financée également, à hauteur de 30 à 31%, alors que des pays comme le Maroc sont à plus de 60%...», analyse Gaye.

Reste maintenant à savoir si le Sénégal aura les arguments économiques pour basculer vers une nouvelle monnaie d’ici 2027 ou si la volonté de Diomaye Faye d’abandonner le FCFA n’est, finalement, qu’une vue de l’esprit.

 

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