L’entrepreneuriat au Maroc connaît des défis majeurs, notamment pour les PME qui traversent une période difficile. La Loi de Finances 2025 met l’accent sur l’investissement et l’emploi, tout en prévoyant un amendement visant à assouplir les conditions fiscales des auto-entrepreneurs. Entretien avec Youssef Guerraoui Filali, président du Centre marocain de la gouvernance et du management (CMGM).
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Tout d’abord, comment évaluezvous l’état actuel de l’entrepreneuriat au Maroc ? Quels sont les principaux obstacles qui entravent ce secteur ?
Youssef Guerraoui Filali : L’entrepreneuriat au Maroc fait face à de multiples défis, plus particulièrement courant les quatre dernières années post-crise sanitaire liée au Covid-19. Les défaillances d’entreprises ont en effet augmenté de 13% en moyenne entre 2023 et 2024, ce qui confirme l’existence de multiples obstacles qui entravent la survie et la pérennité des entreprises marocaines. Parmi ces principaux obstacles, je citerai par ordre de priorité : l’économie de rente, qui exclut la petite et très petite entreprise des marchés et commandes publics; les retards et défauts de paiement impactant le fonds de roulement de l’entreprise qui livre le produit ou la prestation; la pression fiscale et l’effet inflationniste sur les prix, qui affectent continuellement la compétitivité économique des TPME, ainsi que le faible accès au financement face à des opérateurs de crédit qui ne prennent pratiquement pas de risques avec l’entreprise marocaine et restent très liés aux garanties tangibles.
F.N.H. : Le PLF 2025 prévoit d’assouplir les conditions fiscales pour les auto-entrepreneurs. Cette mesure aura-telle un impact significatif sur le nombre d’auto-entrepreneurs au Maroc ?
Y. G. F. : La limitation du plafond de bons de commande à 80.000 DH reste toujours d’actualité. Cette mesure entrave malheureusement le bon fonctionnement de l’auto-entrepreneur. Si on lui a fixé un seuil annuel de 200.000 DH pour les prestations de services et de 500.000 DH pour les activités agricoles ou industrielles, c’est qu’il devrait normalement avoir le plein droit d’exploiter pleinement ces plafonds et avec n’importe quel client de son choix, à condition de s’inscrire dans la légalité et de payer ses déclarations à temps. Aujourd’hui, nous continuons à reconduire cette limitation du plafond vis-à-vis du même client, et c’est un acte qui a porté préjudice au statut de l’auto-entrepreneur au Maroc.
F.N.H. : L’investissement et l’emploi sont mis en avant dans le PLF. Comment évaluez-vous l’impact potentiel de ces priorités sur la croissance économique ?
Y. G. F. : Le budget général de l’Etat au titre de la Loi de Finances 2025 prévoit un investissement public de 128 milliards de dirhams; il est en augmentation de 8,5% par rapport au budget de l’année 2024. Par conséquent, ces investissements sont destinés aux infrastructures et resteront non productifs puisqu’il n’y a aucun changement de paradigme dans les méthodes de mise en œuvre du budget. De ce fait, les taux de croissance qu’on réalise ces dernières années, aux alentours de 3% du PIB, ne permettent pas de créer suffisamment de postes d’emplois. Les aléas climatiques et le recul de la valeur ajoutée agricole engendrent la destruction des postes d’emplois agricoles, soit 200.000 postes d’emplois perdus une année auparavant. De ce fait, nous devons nous focaliser plus sur la valeur ajoutée non agricole en investissant dans les secteurs productifs pourvoyeurs de postes d’emplois durables.
F.N.H. : Certaines PME marocaines sont actuellement en difficulté. Quelles sont, selon vous, les principales raisons de cette situation de crise ? Et quelles mesures devraient être mises en place pour soutenir cette catégorie d’entreprises ?
Y. G. F. : La difficulté majeure de la PME marocaine reste le financement du cycle d’exploitation. L’entreprise doit supporter bon nombre de charges mensuelles récurrentes (loyer, frais de fonctionnement, salaires…) face à un carnet de commandes peu diversifié et en régression, et reste confronté à un marché peu ouvert qui continue à être monopolisé par les moyennes et grandes entreprises. Par conséquent, il ne s’agit pas d’octroyer que du financement à cette catégorie de TPME, il est question de créer de nouveaux marchés nationaux qui mettront en synergie cette catégorie d’entreprises avec les clients potentiels des secteurs publics, semi-publics et privés. L’objectif de ce rapprochement est de faire fructifier le chiffre d’affaires des TPME, tout en diversifiant leur portefeuille afin qu’elles puissent assurer leur autonomie financière sur le moyen et le long terme.
F.N.H. : Le Centre marocain de la gouvernance et du management (CMGM) joue un rôle important dans la réflexion sur la gouvernance économique. Selon vous, quel rôle la gouvernance joue-t-elle dans la relance économique du Maroc ?
Y. G. F. : La gouvernance économique est un pilotage efficace et optimal des ressources financières et matérielles, permettant de créer de la richesse et de générer de la croissance durable. De ce fait, la relance économique au Maroc doit être fondée sur une bonne gouvernance économique si l’on veut atteindre des niveaux de croissance aux alentours de 7%, et par conséquent s’inscrire sur les rails des pays en voie d’émergence. Par conséquent, l’utilisation des ressources doit être axée sur la performance budgétaire permettant d’améliorer les indicateurs socioéconomiques du pays. Par ailleurs, le CMGM œuvre constamment à inculquer la culture de la bonne gouvernance, indispensable pour la réussite et la prospérité de notre nation, que ce soit dans le cadre de rencontres scientifiques ou para universitaires, et lors de l’animation d’ateliers de formation et d’échange au profit des professionnels et experts de divers secteurs économiques.