Avec un potentiel d'échanges intra-africains évalué à 52,3% d'ici 2025 selon le FMI, la Zlecaf représente la plus vaste zone de libre-échange au monde en termes de pays membres. Cependant, à ce jour, le commerce intra africain ne représente que 17% des échanges totaux du continent. Quelles opportunités et perspectives pour booster cette initiative ? Et quelle place pour le Maroc ? Entretien avec Saloua Karkri Belkeziz, vice-présidente de l'Asmex, présidente de la Commission Afrique.
Propos recueillis par Désy M.
Finances News Hebdo : Comment envisager la mise en place effective de la Zone de libre-échange continentale (Zlecaf) alors que les statistiques révèlent que les échanges entre pays africains demeurent encore en deçà des attentes ?
Saloua Karkri Belkeziz : L’objectif justement est de stimuler la croissance des pays africains et le commerce intra africain. On parle de 450 milliards de dollars de revenus supplémentaires pour l’Afrique, et d’extirper de la pauvreté près de 70 millions d’Africains. Il y a évidemment plusieurs défis à relever, et particulièrement la carence au niveau des infrastructures pour faciliter le transport des marchandises et réduire les coûts logistique. De même, des thématiques comme la standardisation des réglementations, l’utilisation des technologies numériques, les partenariats et l’accès au financement ne sont pas à négliger. La Zlecaf ne contribue au PIB mondial qu’à hauteur de 2%, en dépit de sa richesse en matières premières, et si l’on compare aux 30% de la RCEP (Chine), aux 28% de l’Alena et aux 18% de l’UE-27, il y a encore du chemin a parcourir.
F.N.H. : Quelle est la place du Maroc ainsi que ses atouts pour booster la dynamique de la Zlecaf ?
S. K. B. : Le Maroc a plusieurs atouts, et en particulier son infrastructure de transport. Le Maroc peut aussi se prévaloir de sa position stratégique, de sa proximité avec l’Europe, de son appartenance au marché proche-oriental, de sa proximité avec le marché américain situé à une traversée de l’océan Atlantique et de son ancrage à l’Afrique. Mais le Maroc se caractérise aussi par son dynamisme économique qui s’est diversifié (Aéronautique, automobile, agroalimentaire, industrie pharmaceutique) et a su construire un réseau d’accords commerciaux qui lui permet d’accéder à plusieurs marchés. J’ajouterais ses ressources humaines qualifiées ayant très sensiblement amélioré la qualité et ses capacités de formation.
F.N.H. : Quelles mesures réglementaires et administratives le gouvernement marocain met en œuvre pour permettre la mise en pratique de la Zlecaf et qui pourrait être un modèle pour les autres gouvernements africains ?
S. K. B. : Le Maroc a mis en place les mesures réglementaires et administratives pour se conformer aux exigences de la Zlecaf en particulier en révisant sa législation commerciale et douanière et en mettant en œuvre des programmes de soutien pour les exportateurs. Une cinquante d’entreprises marocaines ont déjà profité de ces mesures et ont exporté ou amélioré leurs exportations ou importé plus facilement. Je citerais aussi les plateformes numériques pour simplifier les procédures douanières et commerciales. L’accord portant création de la Zlecaf a été signé en 2018 et le Maroc, dès 2019, a mis en place par décret du chef de gouvernement le comité de mise en œuvre de la Zlecaf, où siègent l’ensemble des départements ministériels concernés par le commerce et l’investissement ainsi que le secteur privé représenté par la CGEM et l’Asmex.
F.N.H. : Quelles sont les opportunités de complémentarité de chaînes de valeur qui peuvent être saisies par les pays africains pour à la fois pallier le problème d’industrialisation locale dans certains pays, tout en permettant à d’autres pays déjà industrialisés de se hisser au niveau des chaînes de valeurs mondiales ?
S. K. B. : La Zlecaf est un marché de 1,2 milliard d’habitants et l’on estime que nous serons plus de 2 milliards à l’horizon 2050. L’emploi des jeunes est le défi à relever pour la quasi-totalité des pays de notre continent. L’Afrique a cependant des atouts, richesse en matières premières, potentialités agricoles, attrait touristique… La solution pour l’Afrique est d’apporter de la valeur ajoutée locale par l’industrialisation, la transformation des produits agricoles, les investissements touristiques, etc. Une étude menée par la Chambre de commerce internationale (CCI) a identifié plus de 100 chaînes de valeur industrielles pouvant être mises en place en Afrique, en utilisant ses ressources internes. Et au niveau de la Zlecaf, il a été décidé de prioriser l’agriculture et l’agroalimentaire, l’industrie automobile, l’industrie pharmaceutique et le transport et logistique. Le développement des compétences, les collaborations technologiques et la coopération régionale sont un préalable.
F.N.H. : De manière factuelle, quelles sont les réussites déjà réalisées en matière d’échanges commerciaux entre le Maroc et ses pays frères ? Et quels défis relever pour que cette Zlecaf produise l’effet escompté, à savoir le développement économique du continent en interne et au niveau mondial ?
S. K. B. : Il est indéniable que les échanges commerciaux avec plusieurs pays africains, et en particulier ceux de l’Afrique subsaharienne ont considérablement augmenté, et le Maroc a également diversifié ses exportations. Une étude menée par l’Asmex et le MCI a conclu à un potentiel de 10 milliards de dirhams de chiffre d’export additionnel pour les entreprises. L’objectif de notre forum, placé sous le haut patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, avec la participation de 12 pays africains et plus de 400 opérateurs, est de démontrer aux entreprises marocaines le potentiel offert par cet accord aussi bien en termes d’export qu’en termes d’investissements. En matière d’investissements, le Maroc est déjà le premier investisseur en Afrique. Le réseau bancaire, de télécommunications et les investissements en énergie dans plusieurs pays africains frères pavent le terrain pour les hommes d’affaires marocains.