La vie est chère et les prix d’hier ne reviendront jamais. Les années paisibles d’inflation faible et prévisible sont derrière nous, et la bohème des taux d’inflation en deçà de 2%, «ça ne veut plus rien dire du tout». En attestent les hausses successives et incessantes des prix des 1.067 variétés de biens et services consommés au Maroc, et ce depuis novembre 2021. Si tant est que ces hausses pèsent lourdement sur le panier de la ménagère, et littéralement l’allègent, elles paraissent toutefois dédramatisées par un biais d’agrégation inhérent au calcul de l’indice des prix à la consommation.
En effet, ce dernier s’est accru d’une moyenne de 6,6% en 2022, tandis que les indices partiels des produits alimentaires et des transports ont augmenté, respectivement, de 11,2% et de 12,2% durant la même année. Ainsi va le monde et l’IPC. La bonne nouvelle est que cette poussée inflationniste serait en passe de se réduire, encore faut-il y croire. Qu’importe qu’elle soit programmée ou spontanée, une désinflation se profile à l’horizon. En tout cas, c’est ce que portent à croire les derniers chiffres de l’IPC, dont l’évolution en glissement annuel est en net ralentissement par rapport au pic de février 2023.
En l’occurrence, le taux d’inflation s’est replié à 5,51% en juin 2023, après s’être chiffré à 7,08% un mois auparavant et à 7,83% en avril dernier. Si l’inflation future souscrit à cet ordre d’idées, la vie au Maroc en serait certainement plus confortable, et le gouvernement serait probablement conforté dans sa thèse officielle quant à l’origine et la nature de cette inflation. C’est une vague d’inflation, nous dit-on, une vague venue d’ailleurs, qui a déferlé sur le littoral marocain et qui devrait se dissiper. Et à vouloir techniciser le discours, on nous dira que c’est un choc d’offre exogène à la costpush, initialement perçu comme transitoire et qui s’est avéré persistant. Et quoique c’est une inflation diffuse et qui s’est imbriquée dans la structure des coûts de production, ce n’est point une marrée, ou une inflation «structurelle» comme la décrivit, un jour, un producteur de données statistiques qui, du haut de son commissariat, s’est érigé en producteur de politiques économiques. Et pourtant, il en est autrement.
En supposant que cette cadence de désinflation se maintient et s’installe dans la durée, un délai de six mois est à prévoir pour tirer l’inflation vers un plancher de 2%, et ce dans un scénario on ne peut plus optimiste. Par la suite, et en admettant que l’IPC continuera d’augmenter à 2%, un gap constant devrait le séparer avec l’IPC contrefactuel d’une inflation maintenue à 2% depuis novembre 2021. Dès lors, les deux IPC ainsi scénarisés devraient former deux droites parallèles. C’est dire que malgré ce processus hypothétique de désinflation, et en dépit d’un retour à une quelconque cible d’inflation, nous serons face à une rupture dans la trajectoire du niveau des prix. Il va sans dire que, lorsque l’un des deux corps qui meuvent à la même vitesse est propulsé en avant, même en retrouvant sa vitesse initiale, il aura toujours une longueur d’avance par rapport à l’autre. Par analogie, la récente décélération de l’inflation, bien que louable et tant attendue, ne peut aucunement, ni corriger ni même dissimuler la triste réalité d’une dérive du niveau général des prix. C’est pourquoi la demande sociale n’est autre que la déflation, nous alertent quelques entrepreneurs politiques qui, aux prises avec le moment inflation, se livrent à une politisation de l’enjeu économique. Leur raison ne manque pas d’arithmétique : l’inflation cumulée en juin 2023, c’est-à-dire en comparaison biannuelle, avoisine les 13%, avec une inflation alimentaire qui ressort à pas moins de 24,71%.
En guise de cadrage prospectif à ces propos, ils préviennent qu’il ne suffirait guère d’une désinflation, car seule une cure de déflation est à même de rétablir le niveau initial de l’IPC. La rhétorique qui en émane est à forte teneur émotionnelle et ne manque pas de stigmatiser. Et puis, c’est simple : l’inflation «nous» fait mal et «eux» sont les malfaiteurs. Le «eux» étant la source du mal et le «nous» ayant une légitimité victimaire, le diable et le camp du Bien étant définis, la clarté étant dans «nos» critiques et la bêtise dans «leurs» actions, voilà réunis les éléments d’une variante populiste du discours politique. Au grand bonheur de ce reflux populiste, les répliques sont fort souvent élitistes. Du côté de BAM, l’essence qui sous-tend l’acte monétaire n’est nullement de maintenir l’IPC constant, mais de maintenir sa pente constante. Encore que c’est écrit dans ses statuts, on l’aurait compris, il n’a jamais été question de stabilité des prix au pied de la lettre, mais d’une stationnarité des prix autour d’une pente, celle-ci étant la cible de la politique monétaire.
C’est donc la promesse qui nous est faite par BAM : une vie dont le coût, certes renchérit, mais faiblement. Ainsi, le retour des prix au niveau de l’avant vague d’inflation n’est guère envisageable, ni même faisable. Quant à l’exécutif, le narratif en est fort cohérent et non moins élitiste : le ciel est moins clément, la terre gémit sous les chars d’un Tsar et le coût de la vie est toujours et hélas aux dépens de quelques gisements souterrains. Il faut laisser le temps au temps et, surtout, faire confiance aux élus-élites du peuple. Bref, «avec le temps, va, tout s’en va», et cette inflation, un jour, sûrement elle s’en ira. L’inflation est porteuse de risques sociaux et la percée du populisme l’est autant. La prescription d’une cure de déflation peut être issue d’une erreur de diagnostic, sauf qu’elle flatte les mauvais penchants et décrédibilise nos institutions. Aujourd’hui, notre lutte nationale est contre l’inflation et il faut la défendre. Nos institutions ne peuvent faire la promesse d’un lendemain moins cher et il faut dire pourquoi. La cure n’est ni dans la rhétorique populiste, ni dans un discours officiel empli de rêveries élitistes. C’est une affaire de (bonne) communication. À l’état du peuple, un discours d’État est à prescrire. À suivre.
Par Hachimi Alaoui Professeur d'économie monétaire et directeur d'équipe de recherche