Les professionnels du secteur estiment que certaines dispositions de ce texte sont abusives et peuvent donner lieu à des interprétations hasardeuses de la part des agents de contrôle.
Ils vont constituer un comité commun pour demander son amendement.
La loi 66-12 relative au contrôle des irrégularités dans le domaine de l’urbanisme et de la construction a pour but de lutter contre différents types d’abus en matière de construction engageant la responsabilité de toutes les parties prenantes. Elle apporte plusieurs nouveautés et entend réglementer les procédures de construction, de modification ou de démolition dans un chantier.
Ce texte fait suite à plusieurs cas d’effondrements d’immeubles, notamment les sinistres de Bourgogne et de Kénitra.
Une fois publiée dans le Bulletin officiel, les professionnels du secteur, en l’occurrence les promoteurs, les architectes, les topographes, les bureaux d’étude ou de contrôle,… bref tous les acteurs qui sont coresponsables dans un chantier, ont manifesté leur grogne contre cette loi. Ils estiment que les sanctions pénales et réglementaires arrêtées sont abusives. Ils veulent constituer un comité commun pour amender les dispositions du nouveau texte.
«Ce texte de loi est en déphasage avec la réalité du terrain, en plus d’être en contradiction avec plusieurs lois en vigueur. Il renforce le caractère coercitif des sanctions, notamment par la révision à la hausse des amendes et l’institution de sanctions privatives de liberté en cas de récidive. Il renvoie également à plusieurs autres textes non existants. L’absence de ces textes ouvre la voie à des pratiques abusives», souligne Youssef Ibn Mansour, président de la Fédération nationale de la promotion immobilière (FNPI), qui s’exprimait en marge d’une conférence tenue dans le cadre du Salon international du bâtiment (SIB) organisé à l’OFEC. La FNPI relève la présence de trois type d’articles. Ceux qui sont en relation avec le contrôle : procédures, intervenants dans le contrôle, sanctions et peines privatives de liberté. Il y a ceux qui ont un lien avec la commercialisation et enfin certains articles qui posent des problèmes d’harmonisation avec d’autres textes en vigueur, notamment la loi sur l’urbanisme et la VEFA.
«Le contrôle se fait par des agents de la police judiciaire ou des auxiliaires de la wilaya, de la préfecture et de l’administration, habilités à cet effet. Encore une fois, le rôle, les responsabilités et le champ d’intervention des agents seront fixés ultérieurement par un texte réglementaire. Ce vide juridique ouvre la voie à des abus de pouvoir de la part des auxiliaires de l’autorité locale», précise Ibn Mansour.
Outre les promoteurs, les architectes s’estiment lésés par la nouvelle mouture de la loi.
«Ce nouveau texte stipule qu’à la charge des acteurs du projet, l’obligation de déclarer toute infraction ou contravention aux autorités compétentes dans les 48 heures suivant sa connaissance, sous peine d’être qualifié de complice et sanctionné au même titre que le contrevenant, ce qui constitue un risque pour le promoteur qui serait toujours impliqué du fait que c’est le propriétaire (malgré son ignorance des technicités et maîtrise des corps de métiers)», souligne Mohamed Karim Sbaï, président du Conseil régional du Centre de l’Ordre des architectes.
L’article 78 de la loi 66-12 est le plus pointé du doigt par les professionnels du secteur. Il est considéré comme très abusif, dans la mesure où il donne la possibilité au contrôleur de procéder à des visites de chantiers inopinées, ou à la demande de plusieurs entités: autorité administrative, agence urbaine, auxiliaires des autorités ou toute autre personne ayant fait la demande…
Il s’agit encore d’une voie ouverte aux abus. L’auxiliaire de l’autorité ordonne l’arrêt immédiat du chantier à la constatation des «infractions». Le chantier reste fermé pendant que la procédure enclenchée à l’issue de la constatation des faits, suit son cours.
L’investisseur n’a le droit ni de contester ni de demander recours. S’il conteste l’arrêt du chantier, l’autorité procède, en plus de la fermeture immédiate du chantier, à la réquisition des machines, outils et autres biens appartenant au promoteur. Un rapport est alors adressé immédiatement au procureur du Roi.
«Un abus de la part des autorités constituerait une réelle menace sur le chantier et la vie du projet : arrêt du chantier, perte de temps, procédures judiciaires et administratives pour débloquer la situation, procédures pour récupérer les biens et machines… », affirme Ibn Mansour.
C. Jaidani
Pratique : Ce que prévoit le texte
La loi 66-12 entend réglementer le secteur de la construction. Parmi ses points positifs, elle entend réglementer l’autoconstruction et lutter contre l’habitat non réglementaire à travers notamment l’obligation d’obtenir le permis de réparation ou d’entretien auprès du président du conseil communal dans le cas des travaux où le permis d’habiter n’est pas exigé. Ce texte ouvre la possibilité de demander un permis de régularisation ou de mise en conformité pour les personnes ayant procédé à des constructions illégales, après accord de l’agence urbaine et du président du conseil communal.
Concernant la promotion immobilière organisée, la loi entend prévoir la mise en place de procédures durant toutes les phases du projet à travers la précision des obligations régissant l’ouverture et la fermeture des chantiers. Elle oblige le promoteur à tenir d’un cahier de chantier contenant tous les renseignements permettant aux professionnels d’assurer le suivi du chantier. En cas de constation d’infractions, la loi accorde un délai s’étalant de 10 jours à un mois au promoteur pour «réparation» : Les 10 jours étant un minimum. Passé le délai d’un mois, l’autorité administrative ordonne la démolition des constructions «en infraction». Si le promoteur ne s'exécute pas dans les délais, c’est l’autorité qui procède à la démolition dans les 48h qui suivent, et ce à la charge du promoteur.
La liste de la commission administrative chargée d’ordonner la démolition est composée en plus du wali ou du gouverneur ou de son représentant, de membres qui seront définis ultérieurement dans un texte séparé.
Le nouveau texte exclut les constructions sans autorisation mais ne prévoit aucune exception pour les appartements ou maisons témoins, utilisés par les promoteurs immobiliers au moment de la pré-commercialisation.