• L’Université Internationale de Rabat est une expérience inédite du Partenariat Public-Privé dans l’enseignement supérieur et la recherche. Le projet consistait à amener l’Etat et les partenaires institutionnels à investir dans un nouveau type d’université, avec un investissement total d’un milliard de DH. Un concept qui tend à offrir une nouvelle alternative pour parer la massification des effectifs de bacheliers. • Après les trois premiers exercices de l’Université Internationale de Rabat, Noureddine Mouaddib, son Président fait le point.
Finances News Hebdo : Rappelez-nous les étapes phares de la genèse de ce projet d’Université privée qui est le premier partenariat Public-privé dans le domaine de l’enseignement supérieur ?
Noureddine Mouaddib : Le projet a été initié en 2005. Cela a commencé par un constat : le niveau de notre enseignement supérieur baissait, la recherche était de moins en moins captive … J’ai passé trente ans en France en tant que professeur des Universités et voyant les étudiants, marocains qu’on recevait en France, il était évident que de par le passé ils étaient en tête de peloton et avec les années, ils sont passés en queue de peloton.
A partir de là, j’ai essayé d’analyser le pourquoi du comment et c’est là où je suis tombé sur des choses qui m’avaient un peu surpris. D’abord, de voir que le nombre des bacheliers avait explosé. En effet, nous sommes passés de 100.000 à 283.000 bacheliers à l’époque et à mon avis ce chiffre passera la barre des 300.000. Et paradoxalement, on ne voyait pas une stratégie en préparation pour capter cette augmentation des effectifs, sachant que le nombre des bacheliers est toujours en croissance, on parle de 600.000 à moyen terme avant de se stabiliser.
Sachant qu’aujourd’hui les universités sont saturées.
Autre constat de ces dernières années est que l’ascenseur social dont nous avons profité était en panne puisqu’on ne voyait plus des étudiants issus de milieux modestes arriver en France, à cause des conditions dissuasives. D’autres éléments ont participé à la genèse d’un pareil projet, notamment la forte croissance économique du pays à l’époque, entre 6 et 7 %, ce qui impliquait impérativement un besoin en ressources humaines qualifiées.
Déjà qu’à l’époque, les entreprises se plaignaient de ne pas trouver sur le marché de l’emploi des profils qualifiés.
L’étude effectuée sur la base de ces données marocaines officielles avait montré que face à l’augmentation des effectifs de bacheliers, il fallait se préparer pour capter cette population là et pas n’importe comment puisqu’il faut aller sur des filières porteuses, qui donnent lieu à l’emploi et des filières d’avenir.
La première présentation de l’étude a eu lieu en janvier 2006 en France en présence de l’Ambassadeur de France de l’époque, d’une quarantaine de présidents d’universités, des présidents de régions notamment de Nantes, le ministre de l’Enseignement supérieur marocain, l’Ambassadeur de France au Maroc de l’époque…
F. N. H. : Justement quelles sont les niches sur lesquelles vous aviez axé votre intervention ?
N. M. : Cette importante réunion, constitue l’acte de naissance de ce projet d’Université. Lors de cette présentation, j’avais insisté sur l’importance d’avoir des pôles de formation en aéronautique, dans l’automobile, le naval, le ferroviaire et de logistique entre autres. Sachant qu’à l’époque, il n’y avait pas de programmes sectoriels, il n’en demeurait pas moins que ces métiers représentaient une réelle niche de développement industriel du pays. En effet, il a y avait de la sous-traitance au Maroc qui pouvait être le noyau de développement de l’industrie dans ces secteurs-là. Notamment le naval qui représente une vraie niche également qui représente une réelle opportunité de développement.
J’avais également évoqué la pertinence de création d’une école dédiée à la formation en matière d’énergies renouvelables et des études pétrolières, je rappelle à juste titre que c’était le groupe total qui avait suggéré cette idée. C’était une évidence d’un point de vue géostratégique quand on sait que le Maroc dépendait à 97% de l’import pour ses besoins énergétiques.
Pour résumer, l’étude de faisabilité préconisait qu’il fallait développer un nouveau type d’université, notamment dans le cadre d’un partenariat public-privé, parce que l’Etat n’a pas les moyens, notamment financiers, de doubler le nombre d’université. Il a largement dépassé le plafond et ne peut se hasarder à déséquilibrer les finances publiques pour doubler ou tripler le nombre d’université. D’ailleurs, aucun Etat dans le monde aujourd’hui n’est capable de rendre son enseignement gratuit, à cause notamment de la massification. Ainsi, si dans les années 50, 60 jusqu’au années 70, le nombre des étudiants était réduit donc les Etats pouvaient garantir la gratuité de l’enseignement, aujourd’hui, avec la massification, ce n’est plus possible.
Forcément, il fallait trouver d’autres modèles pour assurer une bonne captation des bacheliers qui arrivaient de plus en plus nombreux. Les Américains eux ont compris cela depuis longtemps, et d’autres pays leur ont emboité le pas, que ce soit des pays européens, notamment l’Espagne récemment, … La philosophie qui motive cela est que l’éducation est un investissement aussi bien pour la personne elle-même, l’Etat, l’université et le monde du travail. A partir de là, le concept de l’UIR prenait forme : Une université d’utilité publique dans le cadre du partenariat public-privé.
F. N. H. : L’UIR existe, c’est une réalité ! Mais à l’époque, comment l’idée d’une université privée était accueillie ?
N. M. : Malgré tout, pour un projet de cette taille là, cela n’a pas pris beaucoup de temps puisqu’après la présentation de janvier 2006, il a fallu quatre à cinq années pour mettre l’Université sur pied. C’est une moyenne normale pour un projet d’une pareille ampleur, puisque l’investissement est de l’ordre de 1 milliard de DH et surtout sa nouveauté puisqu’il a fallu convaincre de la pertinence d’investir dans l’enseignement. Et il faut reconnaître que nous avons travaillé sur ce dossier avec des personnes très à l’écoute et très visionnaire, comme feu Meziane Belfkih, ancien conseiller de SM le Roi, l’ancien Premier ministre, Driss Jettou et d’autres cadres de l’administration qui ont contribué à l’aboutissement de cette Université.
Ainsi, nous avions démarré en 2010.
Après que l’institutionnel ait été convaincu, il a fallu trouver les fonds dans un secteur qui ne prête pas à l’investissement de premier abord. Puisqu’auparavant, les investisseurs connaissaient ou l’enseignement public, ou bien le privé. Nous sommes arrivés avec un business model ficelé et il a fallu expliqué le référentiel, qui existe de par le monde… Cela a pris le temps qu’il faut … Et même si nous avions souffert au début, pour des projets de cette taille, nous avons réalisé un bon timing même en comparaison à ce qui se fait en Europe.
F. N. H. : Aujourd’hui, à votre troisième année d’existence, quel bilan pouvez-vous nous dresser de cette expérience ?
N. M. : Avec le recul, je constate que les choses ont vite pris et se sont développées plus vite encore.
Si je devais résumer, entre le montage du projet et son démarrage, je dirai qu’aujourd’hui nous avons un modèle qui est duplicable, bancable et viable. Après trois exercices budgétaires, nous pouvons le déclarer et s’en féliciter pour un projet de cette taille là. Nous sommes pratiquement, à 10%, dans notre business plan, ce qui passe pour une prouesse selon le Conseil de surveillance qui nous a félicité pour la maîtrise de ce projet.
Cela ne peut être autrement quand les choses sont faites de manière pensée. Sachant également, qu’il y a un comité d’audit qui nous challenge, des comités d’investissement nous challengent aussi lorsque nous sommes en phase de construction d’un bâtiment, nous avons l’Etat qui est dans le tour de table en plus des autres partenaires institutionnelles. Une confiance et une méthode de travail très intelligente ont été instaurées entre les différentes parties prenantes.
Nous insistons sur la vocation d’utilité publique de l’Université Internationale de Rabat, sur le côté social puisqu’il y a près de 300 étudiants qui bénéficient de la gratuité totale ou partielle des études, qui sont issus de milieux moyens. C’est pourquoi nous avons réussi à faire adhérer l’administration au projet ainsi que les partenaires institutionnels.
F. N. H. : Un PPP dans l’enseignement supérieur c’est inédit, peut-on d’ailleurs avoir une idée sur les termes du contrat qui vous lie à l’Etat ? Je crois savoir qu’il a une obligation de moyens et vous une obligation de résultats …
N. M. : La loi relative au Partenariat Public privé vient de voir le jour. Nous y aspirions puisque nous sommes un modèle de PPP et nous avons tous ses ingrédients, mais nous manquait le texte. Maintenant qu’il est publié, nous allons rentrer dans le cadre de cette loi. Nous avons déjà un contrat de développement avec l’Etat, qui s’engage sur un nombre de points notamment une partie du financement qui sert à financer les étudiants et l’UIR, s’engage sur son business plan, notamment à investir un milliard de DH, … Ce contrat a été signé en 2009, parce que nous voulions que l’Etat soit partenaire de ce projet pour en garantir la pérennité. Pour illustrer mon propos, l’Etat nous a offert sous forme de don le terrain de 20 ha sur lequel est bâtie l’UIR. Nous avons valorisé ce terrain et l’Etat est entré actionnaire à hauteur de cette valeur-là dans notre tour de table. Même pour les partenaires, nous avons voulu un tour de table d’institutionnels également.
F. N. H. : Et à l’international ?
N. M. : Nous sommes actuellement en discussion avec la Société Financière Internationale et la Banque Islamique de développement, toutes les deux intéressées par l’UIR. Donc, les négociations en cours concernant les propositions de montants pour entrer dans le tour de table de l’UIR.
Nous sommes dans une situation très confortable. Nous avons terminé l’année 2012 en ayant bouclé notre dette, qui s’élève à 600 MDH.
L’UIR est la seule filiale de CDG à avoir réussi à lever une dette d’un tel montant l’année dernière ! Cela témoigne de la confiance des banques dans ce projet et dans son business plan.
Et les résultats sont là pour en témoigner également !
F. N. H. : Dans quelles mesures l’UIR accompagne les programmes sectoriels du Maroc puisque les secteurs et les filières se croisent …
N. M. : Nous faisons partie de ce dispositif de formation, d’enseignement et de recherche dont dispose l’Etat pour mettre à la disposition du marché des compétences et des ressources humaines qualifiées.
A notre niveau, nous avons identifié des secteurs stratégiques en terme de formation parce que ce sont des secteurs qui se développent et offrent de réelles opportunités de développement.
Il y a la stratégie sectorielle de l’Etat qui est affichée et claire avec un nombre d’emplois dans chacun de ses secteurs, qui constitue un tableau de bord en quelque sorte. Et il se trouve que nos filières de formation épousent la stratégie nationale mais aussi qui répondent à une demande du marché de l’emploi.
Et bien au-delà, puisque nous avons inauguré le premier master en financer islamique et la première école d’actuariat au Maroc. Nous ne faisons pas qu’accompagner, mais nous anticipons les besoins en formation à la lumière des tendances du marché de l’emploi mais aussi sur la scène mondiale. Et notons qu’aucune formation n’est lancée sans qu’il y ait eu en amont une étude de faisabilité.
F. N. H. : Et la recherche scientifique, quelle place occupe-t-elle dans votre stratégie de travail ?
N. M. : L’activité de recherche et développement a démarré avant même que l’Université ne soit lancé. En effet, pour marquer les esprits nous avions déposé trois brevets avant même de démarrer l’UIR.
En effet, cette Université ne peut atteindre ses ambitions sans un corps professoral très qualifié. Donc, dès 2006, nous avons travaillé à mobiliser la diaspora marocaine qui a l’expérience des projets de recherche et des publications scientifiques.
Sur ce volet là, nous avons réussi le démarrage puisque plusieurs collègues qui, comme moi, ont décidé de faire le chemin inverse et mettre leur compétence au service de cette expérience pilote. Ou ceux qui sont à cheval entre le Maroc et d’autres pays. Et ça paye, puisque l’année dernière, l’UIR a été classée première parmi les universités marocaines en terme de dépôt de brevets. Pourtant, l’UIR n’a que trois ans d’activité ! Il faut dire aussi que notre stratégie R&D repose sur la recherche appliquée, notamment l’innovation et le dépôt de brevets ; et non pas sur la recherche fondamentale. En effet, nous ne perdons pas de vue que nous avons besoin de nous autofinancer, donc nos équilibres financiers dépendent de nous ressources propres ! Il ne faut pas croire que les frais de scolarité couvrent le coût de la formation. A titre d’exemple, pour la classe préparatoire, les frais de scolarité sont de 70.000 DH, quand l’étudiant n’est pas boursier, alors que le coût de la formation est en réalité de 132.000 DH par étudiant.
Donc, la R&D est très importante et dès le départ nous avons misé sur ce volet là. Si on rapporte le nombre de publications référencées, on est les premiers au Maroc avec plus de 90 publications, à la trentaine d’enseignants chercheurs de l’UIR, ça montre toute ‘importance que nous accordons à cet aspect. Et en plus du dépôt de brevets, nous analysons ceux qui sont transférables au monde industriel idem pour les publications, qui nous permettent une visibilité à l’international.
Notons aussi que nous avons conclu des contrats de recherche pour plus d’un million d’euros avec des industriels, ce ne sont pas des subventions faut-il préciser. Et cette année encore, nous avons déposé deux projets en Europe et un autre sera financé par le Ministère des Mines relatif aux stations mobiles de dessalement de l’eau de mer qui fonctionnent à l’énergie solaire. Sur la chaîne de valeur de la recherche scientifique, nous avons tablé sur une recherche orientée vers le marché.
Sachant que nous ne sommes pas en compétition avec les universités notamment publiques, avec lesquelles nous avons des partenariats et des projets en commun, nous cherchons une compétition à l’international parce que nous estimons que le Maroc a une carte à jouer dans le secteur de l’enseignement supérieur pour devenir une plate-forme régionale dans le domaine de l’économie du savoir et de la connaissance. Et l’UIR compte apporter sa pierre à l’édifice.
F. N. H. : Aujourd’hui, l’UIR accueille 1.000 étudiants dont 300 boursiers et quelques 600 logent sur place dans le campus de l’université… Quand est ce que l’UIR atteindra sa vitesse de croisière à savoir 5.000 étudiants ?
N. M. : Sur quatre à cinq ans, à horizon 2017-2018. Nous pouvons atteindre les 5.000 étudiants bien avant. Mais, le plus important est que nous avons une stratégie de développement progressive qu’on déploie. Et ce n’est pas parce qu’on est une université privée que l’accès y est facile. Il ne s’agit pas de prendre que les plus brillants mais disons que si le processus de sélection peut sembler contraignant, il nous permet surtout de travailler avec les étudiants sur leur projet professionnel et son choix d’orientation. Nous sommes une université qui tend à accompagner un jeune à réussir sa carrière. Notons au passage que l’année prochaine, nous ouvrirons l’Ecole d’Architecture de l’UIR, qui est la première à offrir une double diplomation avec nos partenaires, et bien sur nous allons continuer et finir le développement académique de toute l’Université.
Propos recueillis par I. Bouhrara