Un ftour chez Benkirane qui a failli virer au pugilat

Un ftour chez Benkirane qui a failli virer au pugilat

caricature benkirane finances news hebdo

C’est en toute discrétion que le Chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, a convié, pour le 1er jour du mois de Ramadan, quelques-uns de ses «amis» à partager le ftour dans sa résidence privée à Rabat. Amis ? C’est à voir, car vu la composition du tour de table, l’on en doute fort. Benkirane partageant le ftour avec Ilyas El Omari, secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM), Hamid Chabat, SG du Parti de l’Istiqlal (PI), Mounir Majidi, secrétaire particulier du Roi, Nabil Benabdallah, ministre de l’Habitat et de la Politique de la ville, Hakima El Haïté, ministre déléguée chargée de l’Environnement, Mustapha Khalfi, ministre de la Communication, et Noureddine Miftah, président de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux, c’est quand même assez cocasse. Et ça promet surtout. Vous allez vous en rendre compte. Car ce qui devait être un ftour privé, entre gens bien et civilisés, autour d’un calumet de la paix, a finalement viré au cauchemar et a été porté sur la place publique. Vous vous en doutez, l’un des convives a cafté et Finances News Hebdo vous livre en exclusivité les détails de cette soirée ramadanesque que l’on pourrait inscrire dans les livres de l’histoire politique du Royaume.

 Nous sommes évidemment tentés de nous demander qu’est-ce qui a poussé Benkirane à regrouper, autour d’une même table, une assistance aussi hétéroclite, comprenant des gens avec lesquels il ne s’entend pas, voire même qu’il déteste ? Et, surtout, comment a-t-il fait pour les convaincre ?
«Même s’il dérape souvent, Benkirane est un homme qui tient à son image et à l’image qu’il véhicule auprès de son électorat, surtout à quelques encablures des élections législatives. Avec la tension sociale qui est à son paroxysme, le patronat qui critique ouvertement le bilan gouvernemental et l’opposition qui enfonce cyniquement le clou, il a eu besoin de calmer le jeu. Puisque c’est un homme madré, il s’est dit qu’une rencontre officielle allait prêter foi à beaucoup de supputations, ce qui risquait de compromettre l’esprit de cette initiative. Il a donc opté pour quelque chose de plus discret et plus convivial. Initialement, il voulait organiser cette rencontre en avril, mais il y a eu la visite royale en Chine, puis le Souverain est parti à Ryad, tout ça dans un contexte caractérisé par les rapports tendus entre le Maroc et le secrétaire général de l’ONU. On lui a donc conseillé de reporter ça durant le mois sacré; les gens seraient plus apaisés et plus réceptifs à ce genre d’invitation», précise notre source.
«C’est lui-même qui a pris son téléphone, dès début mai, pour appeler un à un tous les invités. Il leur a demandé, et presque supplié Chabat et El Omari, de lui réserver le premier jour de Ramadan. Pour lui, ce premier jour est très symbolique, parce qu’en général tout le monde le passe en famille. Qu’il soit à côté de ses soi-disant ennemis ce jour-là, c’était indirectement une petite victoire. Sa première victoire était néanmoins de les convaincre de venir, en titillant leur foi musulmane et en mettant en orbite les actions nobles qu’on doit poser en ce mois béni. Et ils ont tous été convaincus par son discours.
Mais, il a quand même fait du mensonge par omission. A Majidi, Chabat et El Omari, il a parlé à chacun d’un ftour restreint avec quatre personnes au maximum, dont Khalfi et El Haïté. Miftah, lui, ne savait pas qui allait venir.
Pour sa part, Miriem Bensalah, la présidente de la CGEM, a décommandé à la dernière minute. Mais je crois qu’elle a bien fait de ne pas y aller. Benkirane n’est pas trop en odeur de sainteté avec le patronat. Il essaie d’arrondir les angles, mais guère plus, surtout que dernièrement, Bensalah a sévèrement critiqué la politique économique du gouvernement.
Voilà comment tout ce beau monde s’est retrouvé autour d’une même table», renchérit notre source qui se propose de nous donner les détails croustillants des dialogues.
«Khalfii et El Haïté sont arrivés en premier dans la résidence de Benkirane. Ils étaient là à papoter quand vint Ssi Hamid Chabat, démarche imposante et sourire figé. A voir les deux hommes se faire l’accolade et se serrer entre les bras, on se dit que, même guillotinée, l’hypocrisie survivra pour ne pas faire de l’Homme un orphelin (sic !). Les autres sont arrivés tout de suite après. Bien évidemment, l’ambiance était lourde: quand tu mélanges faim + soif + inimitiés par-ci et par-là, on ne peut pas s’attendre à autre chose. Donc, en attendant le ftour, Benkirane a voulu un peu détendre l’atmosphère.
- D’abord, je suis heureux d’avoir pu tous vous réunir autour d’une même table. Cette rencontre est purement informelle. J’ai pris cette initiative parce que même si nous sommes d’obédience politique différente ou avons des activités différentes, nous sommes tous des fils de ce pays envers lequel nous avons des devoirs énormes. Par moments, il faut savoir prendre de la hauteur, mettre nos querelles de côté, et soutenir Sa Majesté dans le chemin de modernisation de l’économie qu’il a tracé. Nous sommes actuellement dans une phase cruciale où nos ennemis nous savonnent la route et ourdissent dans l’ombre des complots insidieux. Il faut que tous les fils du Maroc soient donc unis et fassent bloc autour du Souverain face à cette menace sournoise.
Je ne vous demande pas de vous ranger derrière le Chef de gouvernement que je suis, mais juste que l’on puisse parfois avoir des dialogues constructifs et utiles au pays», lança-t-il fièrement.
- Je salue ta démarche. Mais cela dit, tu m’as menti. On devait être quatre non ?, fit remarquer sèchement Ilyas El Omari.
- Hchouma; j’ai dit en principe, ce qui peut être 4 personnes, moins ou plus. Détends-toi, ne sois pas agressif, répliqua Benkirane.
- Ssi Benkirane, ne joue pas avec les mots. Même à moi tu as parlé de 4 personnes. Tu sais bien que si tu avais dit qu’il y aurait ces personnes autour de la même table, la plupart ne seraient pas venues. Bref, du moment qu’on est là, essayons au moins de rentabiliser au mieux ce temps, renchérit Hamid Chabat.
- Moi qui observe la scène politique de loin, je vois que ça vole parfois bien bas. Vous pouvez ne pas avoir en partage la même idéologie ni la même vision dans la conduite des affaires du Royaume, mais ça ne justifie nullement de s’insulter et de se manquer de respect publiquement, releva d’une voix calme Majidi, éprouvé par deux jours de fiesta à la suite du sacre en championnat de l’équipe qu’il préside, le FUS, qui a remporté samedi dernier son premier titre en 70 ans d’existence.
S’ensuivit un petit silence durant lequel El Omari pointait l’index en direction de Benkirane, comme pour dire que c’est le chef de gouvernement qui a régulièrement les insultes au bout de la langue. Silence interrompu par l'appel à la prière qui annonça le moment de la rupture du jeûne. Après la prière, les visages devinrent moins crispés. Ils mangèrent en silence. Un quart d’heure plus tard, Benkirane se tourna vers El Omari :
- Tu vois, c’est ce que je n’aime pas chez toi Ssi Ilyas. Tu me pointes du doigt d’un air narquois et hautain comme si j’étais n’importe qui. Simplement parce que tu as de l’argent. Argent dont tu ne veux jamais dire la provenance. Dès qu’on en parle, tu montes sur tes grands chevaux. Sache que l’ivresse finit toujours par trahir quelqu’un qui se cache pour boire. Un jour, on finira par savoir l’origine de tes six milliards qui te rendent si nerveux.
- Finalement, tu as un problème avec l’argent. Ton parti a un problème avec l’argent. Vous en voulez, mais vous n’en avez pas. Vous criez sur tous les toits vos soi-disant grands principes (lutte contre la corruption, la rente…), mais en réalité c’est un combat d’aigris. Laissez les hommes d’affaires faire du business et prospérer. Il faut comprendre une chose Abdelilah : tout le monde ne peut pas être riche dans un pays.
Il y a des gens comme toi, tellement passionnés par la politique qu’ils oublient de gagner de l’argent. Une fois au pouvoir, ils se rendent compte que, finalement, ils n’ont rien d’autre que le salaire que leur donne le contribuable. Logiquement, ils sont frustrés.
A côté, il y a des gens comme moi, qui savent faire fructifier l’argent et qui profitent aussi des nombreux avantages que vous, politiciens, mettez à notre disposition. Et quand tu as de l’argent, c’est fichtrement plus facile de faire de la politique. Bon, ça tu le sais déjà.
Et puis il y a le reste, la masse qui trime pour gagner sa vie. Et c’est tout cela la richesse d’un pays, répondit El Omari.
Enfin, il faut arrêter de parler de moi à chacune de tes sorties médiatiques, comme si j’étais ton fonds de commerce. Je crois que je vais te nommer président de mon fans’club, lança le patron du PAM en riant.
- C’est ça. Tu sais faire fructifier l’argent ou plutôt en perdre ? Qu’est devenu ton groupe de presse avec tes nombreux médias lancés en grande pompe à coups de millions et qui sont presque tous en faillite ? Réponds !, dit Benkirane qui commençait visiblement à s’énerver.
- Ecoute, c’est un interrogatoire ou quoi ? Je ne suis pas venu ici pour parler de mes affaires. Et puis, il faudrait demander à tes services de bien faire leur boulot, parce que si tu étais bien renseigné, tu aurais su que j’ai cédé mes parts dans Akhir sa3a depuis plus d’un mois, pour éviter toute confusion entre le PAM, le groupe de presse et moi. C’est désormais mon frère Fouad qui est directeur de publication, fit remarquer El Omari, interrompu par Chabat.
- Ssi Benkirane, Ssi Ilyas a raison : tu as un problème avec l’argent, mais aussi avec la presse. Tu as tout le temps des embrouilles avec les journalistes. La dernière fois, c’était à Skhirate. Tu as lancé à un journaliste du site qushq.com, qui fait partie du groupe de presse de El Omari : «je ne te donnerai aucune déclaration, tu représentes un portail ennemi». Et tu as eu la même attitude avec une journaliste de Radio Plus. Un Chef de gouvernement doit savoir se mettre au-dessus de la mêlée : ce n’est pas parce que tes rivaux politiques te mettent des bâtons dans les roues que tu dois te venger sur de pauvres journalistes qui ne font que leur boulot.
En réalité, tu es très rancunier. Et je me demande même si ton ombre ne plane pas sur le procès intenté par le ministre de l’Intérieur contre le directeur du journal de notre parti, Bakkali. Pour un édito dénonçant l’impartialité de l’autorité, en particulier les walis, lors des élections des membres de la Chambre des conseillers, le voilà poursuivi en Justice.
- Je ne peux te laisser dire ça Ssi Hamid. Le Chef de gouvernement n’a rien à voir avec cette affaire. Quand il y a diffamation, c’est tout à fait normal que la personne qui s’estime lésée este en justice. Et puis, ces derniers temps, il y a une certaine presse qui outrepasse les limites, en dehors de toute déontologie. Peut-être même que c’est une erreur d’avoir supprimé les peines privatives de liberté du nouveau Code de la presse, coupa net Khalfi.

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- Mais tu joues à l’avocat du diable maintenant !? Benkirane est devant moi, il peut se défendre. De quoi je me mêle ?, dit Chabat visiblement irrité, tout en interpelant Miftah.
- Vous à la Fédération, vous êtes trop passifs. Au lieu de vous occuper convenablement de votre profession pour la tirer vers le haut, vous vous tirez des balles dans les pieds. Et vous faites l’affaire de tous ceux qui veulent vous voir divisés.
- Pas du tout. La défense de l’intérêt des journalistes est l’essence même de la Fédération. Et nous travaillons avec le gouvernement dans un cadre concerté. Mais Khalfi a quand même raison : ce n’est pas parce que l’on est journaliste que l’on doit tout se permettre. Nous avons une responsabilité envers nos lecteurs, envers l’opinion publique. La course aux scoops ne doit pas nous autoriser à faire des allégations infondées.
- En tout cas, renchérit Majidi, vous devez mettre de l’ordre au sein de la Fédération qui a d’ailleurs mis du temps à réagir à l’information erronée donnée par le site Goud selon laquelle j’aurais demandé une saisie des comptes de la Fédération. C’est une information diffamatoire.
- Dans ce cas, porte plainte comme tu as l’habitude de le faire, lança ironiquement Benabdallah. Les juges t’accorderont encore une fois de plus 500.000 DH en guise de dédommagements, comme dans tes deux précédents procès avec Goud et Media ten.
- Ecoutez, avança timidement El Haïté, vous ne faites que vous critiquer depuis que nous sommes ici. Toute cette discussion est loin d’être constructive.
- Le lustre a parlé, s’esclaffa alors Benkirane. Ne le prends pas mal, je plaisante Lalla Hakima.
- Une plaisanterie de bien mauvais goût, l’interrompit El Omari. Tu n’as pas à dire ça. C’est vrai qu’elle est sortie de l’ombre à cause de la COP22, mais El Haïté fait du bon boulot. J’ai appris que depuis qu’a été prise la décision d’organiser la COP22 au Maroc, elle ne dort que 2 heures par jour. Pourtant, son travail est loin d’être mis en avant et ce sont les autres qui lui ont ravi la vedette. Néanmoins Lalla, ça tombe bien que tu parles de «constructif», parce que toute la presse parle du scandale de tes trois villas construites, semble-t-il, en milieu rural, à Skhirate. Le ministre de l’Urbanisme, étiqueté Mouvement Populaire (MP) comme toi, aurait fait pression pour que tu obtiennes tes fameuses autorisations de construire. Il faut donner les bons exemples aux citoyens, n’est-ce pas Ssi Nabil ?
- Ecoute El Omari, déjà tu parles au conditionnel. Ensuite, je suis ministre de l’Habitat et de la Politique de la ville, je ne m’occupe guère d’urbanisme encore moins de campagne.
- Bon, cela dit, il faut que tu aies plus de respect et de considération pour les femmes de ce pays Benkirane, reprit El Omari. Elles sont le socle sur lequel le Maroc bâtit son développement. Ton masochisme mal placé n’a pas justement sa place dans ce Maroc qu’est en train d’ériger le Souverain.
- Chouf, n’abuse pas. Déjà, j’ai permis au diable de franchir le seuil de ma porte, de s’installer dans mon salon et de prendre mon ftour. Je ne vais pas en plus te permettre de m’insulter dans ma maison. Sinon, on va régler ça tout de suite entre homme.
- C’est un moment dont je rêvais depuis longtemps, lança El Omari qui se leva brusquement pour empoigner Benkirane.
C’est finalement Chabat et Benabdallah qui les ont séparés. En moins d’une minute, c’était la pagaille. Les injures fusaient de partout. Les esprits ont commencé à se calmer à l’appel à la prière d'Al-Ishâa. Mais nous n’avons même pas pu finir ce ftour suite à cet incident regrettable. Tout le monde est parti après, sans même se dire au revoir pour certains.
Bref, voilà ce qui s’est passé. Et je tiens à ce que tu restes fidèle à ce que je t’ai raconté, sans rajout», avertit ma source.
C’est ce que j’ai essayé de faire en retranscrivant le déroulé de ce ftour croustillant. Je me suis juste permis d’ajouter une seule chose : cette histoire est une pure fiction (sic !).

David William

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