Transports urbains : «Le Maroc s'engage résolument vers une mobilité urbaine durable»

Transports urbains : «Le Maroc s'engage résolument vers une mobilité urbaine durable»

Le transport et la mobilité urbaine représentent un gros challenge pour le Maroc. Il s’agit d’un tournant décisif dans le développement du secteur.

Entretien avec Ali El Moutea, fondateur du groupe City Bus Transport & vice-Chair Maghreb de l’Union internationale des transports publics.

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Tout d’abord, quel état des lieux faites-vous du transport urbain ?

Ali El Moutea : Le transport urbain au Maroc est à la croisée des chemins, marqué par des avancées significatives mais aussi par des défis persistants. Les grandes villes telles que Casablanca et Rabat ont bénéficié de la modernisation avec l’introduction de tramways et de bus modernes, reflétant une volonté de transformation profonde. Cependant, la congestion, la pollution et les inégalités d'accès demeurent des problématiques majeures. Sous la vision éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Maroc s'engage résolument vers une mobilité urbaine durable, intégrée et respectueuse de l'environnement, mettant en avant les valeurs de progrès et de développement inclusif.

F. N. H. : Quel rôle jouent l’État et les collectivités territoriales pour équilibrer le financement de ce secteur vital ?

A. E. M. : L'État et les collectivités territoriales jouent un rôle fondamental dans le financement et le développement du transport urbain. Ils interviennent à travers des subventions directes, des partenariats public-privé et des mécanismes de financement innovants. Cet aspect de financement étatique est déterminant pour l’équilibre financier des contrats de gestion déléguée, et de ce fait sur la qualité du service offerte aux usagers. On peut voir cet impact de manière évidente lorsque l’on compare la qualité du transport offerte à Casablanca en comparaison à celle à Marrakech (2 villes opérées par le même acteur), ou encore Fès. Depuis fin 2019, Casablanca a bénéficié de plus de 1,4 milliard de DH de subventions d’investissement public comparées à zéro pour la majorité des villes comme Fès et Marrakech. D’un autre côté, Casablanca a versé au délégataire plus de 1,6 Md de DH de subventions d’exploitation depuis 2019. D’après les déclarations du ministre de tutelle, c’est plus d’un million de DH par jour qui est accordée aux opérateurs de Casablanca et Rabat. Les autres villes qui ont reçu moins de 5% (équivalent) de cette somme ne peuvent malheureusement pas procurer la même qualité de service que ces dernières aux usagers. Une équité dans les subventions d’investissement et d’exploitation permettrait à toutes les villes d’opérer au même niveau qualitatif. Elle permettrait également d’évaluer de manière équitable la capacité et les compétences de tous les opérateurs du secteur, leur procurant une égalité de réussite et d’excellence, indépendamment de leur taille ou nationalité.

Cependant, le ministre de l’Intérieur a annoncé récemment, devant la Chambre des représentants, que l’Etat marocain allait remédier à cette situation en mobilisant près de 10 Mds de DH pour l’acquisition de plus de 3.500 bus entre 2024 et 2027. Le ministre, que nous félicitons, a également exposé la réalité du déséquilibre des contrats de gestion déléguée existant et s’est engagé à les rééquilibrer rapidement au vu de l’impossibilité d’améliorer la qualité de service des opérateurs quand ces derniers font face à des situations financières critiques. Cette action s’inscrit dans une vision holistique visant à promouvoir le développement économique, social et environnemental du pays. Cette approche intégrée permet de bâtir des infrastructures modernes et résilientes, en ligne avec les directives royales pour un Maroc prospère et inclusif.

F. N. H. : Concernant la Stratégie nationale de mobilité urbaine, une feuille de route nationale a été élaborée pour une mobilité durable à l’horizon 2040. A votre avis, quels en sont les enjeux ?

A. E. M. : La Stratégie nationale de mobilité urbaine est une initiative ambitieuse qui s’attaque à plusieurs enjeux cruciaux. Elle vise à répondre à la croissance démographique et à l'urbanisation rapide, tout en minimisant l'impact environnemental. Les enjeux incluent la réduction de la congestion urbaine, l'amélioration de la qualité de l'air et l'encouragement des modes de transport durables tels que les véhicules électriques. La stratégie intègre également des technologies intelligentes pour optimiser les réseaux de transport. Un autre enjeu clé est la formation et le développement des compétences locales pour assurer une gestion autonome et efficace des systèmes de transport urbain, renforçant ainsi notre souveraineté nationale. Aujourd’hui, le Maroc est l’un des rares pays d’Afrique à bénéficier d’un secteur privé expérimenté et performant. Tout cela revient à la vision éclairée de Feu Sa Majesté Hassan II qui avait décidé en 1985 de créer ce métier au Maroc pour privatiser les sociétés étatiques défaillantes. En 39 ans, tout cela a conduit à une réelle expertise privée qui n’existe dans aucun pays du Maghreb. Le Maroc peut se targuer, aujourd’hui, d’un savoir-faire réel à travers des sociétés marocaines trentenaires, à l’instar de la France, de l’Espagne et du Royaume-Uni qui dominent le marché au niveau mondial. Les opérateurs marocains doivent se renforcer et se diversifier sur le marché africain et asiatique.

F. N. H. : Comment expliquez-vous la domination des entreprises étrangères sur le transport urbain, problématique qui d’ailleurs a été soulevée par le ministre marocain de l’Intérieur ?

A. E. M. : Cette vision est exacte au niveau du transport urbain par tramway, mais inexacte au niveau du transport par autobus. La domination récente du marché d'une entreprise étrangère dans le secteur du transport urbain par autobus s'explique par les appels d’offres les plus importants pour Casablanca et Rabat remportés en 2019 par cette même société anglaise (Alsa). Historiquement, le Maroc a fait appel à cette entreprise pour pallier les lacunes locales en termes de compétences et de ressources. D’autres expériences avec des opérateurs étrangers d’envergure ont cependant échoué, à l’instar de Veolia à Rabat en 2011 (actuel Transdev) ou RATP (opérateur technique de Casablanca de 2004 à 2019) qui ont coûté des milliards de DH aux deniers publics. Toutefois, sous l'impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Maroc a évolué et les entreprises marocaines se sont améliorées depuis la fin des années 2000 pour concurrencer les entreprises étrangères sur tous les marchés publics. Actuellement, vous avez des sociétés marocaines qui opèrent correctement comme le groupe Foughal bus, le groupe Karama bus, ou encore le groupe Citybus. Les sociétés marocaines ont le mérite d’investir dans des politiques audacieuses pour promouvoir l'innovation locale, la recherche et développement et renforcer les capacités des entreprises nationales. Un des groupes marocains à travers la création de son centre de recherche en 2016 a créé un premier autobus électrique 100% marocain, doté des technologies les plus avancées. Il est actuellement en cours d’homologation en Europe. Une usine d’industrialisation pour la fabrication de ces véhicules destinés au marché européen et marocain est en cours de développement au niveau de la province de Benguérir. Cela dévoile le potentiel marocain et l’espoir de son développement continental et international. Le transfert du savoir-faire et les partenariats stratégiques (principalement le tramway) deviennent des leviers essentiels pour une autonomie accrue et une maîtrise locale des technologies de transport.

F. N. H. : Quels sont les principaux défis auxquels le Maroc est confronté dans la gestion autonome de son système de transport urbain, et comment les acteurs locaux envisagentils de les surmonter ?

A. E. M. : Le Maroc fait face à plusieurs défis dans la gestion autonome de son système de transport urbain, notamment le financement durable et l’insuffisance des infrastructures. Le ministre a répondu à ces deux éléments critiques. D’abord, par l’accompagnement financier étatique susmentionné. Ensuite, par le développement d’infrastructures de qualité (Busway) dans de nouvelles villes comme Marrakech, Agadir et Tanger. Les opérateurs locaux doivent continuer dans leur politique de développement continu et de mise à niveau en phase avec les développements internationaux. J’ai été honoré récemment par ma nomination en tant que vice-président Maghreb de l’Union internationale des transports publics, organisation qui rassemble les plus grands opérateurs mondiaux, ainsi que les autorités organisatrices représentant tous les continents. Ceci nous permet de collaborer sur de nombreuses thématiques, et de travailler ensemble afin d’améliorer ce service pour toutes les parties concernées. L’objectif étant de diminuer l'écart qualitatif entre les différentes géographies.

F. N. H. : Quelles innovations technologiques ou méthodologies marocaines sont actuellement mises en œuvre ou en développement pour améliorer l'efficacité et la durabilité du transport urbain dans le pays ?

A. E. M. : Le Maroc est en pleine effervescence technologique, avec plusieurs innovations en cours de développement. Les systèmes de gestion intelligente du trafic, les applications de mobilité intégrée et les solutions de paiement sans contact sont déjà en place pour améliorer la fluidité et l’efficacité des transports. Nous allons introduire avant la fin de l’année la vente directe par carte de crédit dans le bus pour rajouter une option et nous éloigner progressivement du paiement par cash. Des projets de véhicules électriques et de transports propres, tels que les bus électriques susmentionnés, sont également en développement, soutenus par des initiatives locales et des partenariats avec des centres de recherche. Ces innovations montrent notre engagement envers une mobilité durable et une gestion intelligente de nos villes, en harmonie avec les aspirations de Sa Majesté pour un Maroc vert et connecté. L’Europe est très fortement engagée dans le plan de mobilité électrique, à travers notamment l’établissement d’un plan zéro émission pour les autobus urbains neufs à compter de 2030. Sa Majesté a toujours été un pionnier de l’écologie et la green tech. Grâce à sa vision éclairée, le Maroc avait établi la plus grande centrale solaire au monde en 2015. Sans parler de l’hydrogène vert et des projets d’éoliennes. Il serait judicieux que le Maroc soit également précurseur dans la mobilité électrique. Avec les 10 Milliards de DH d’investissement prévu en 5 ans pour remplacer tout le parc d’autobus au Maroc, il serait opportun qu’un minimum de 50% des introductions des nouveaux bus soit électrique. La durée de vie d’un bus est de 15 ans, si nous ratons cette opportunité, le Maroc sera condamné à voir circuler dans ces villes des bus diesel polluant d’ici à 2040 au minimum.

F. N. H. : Comment les entreprises marocaines du secteur du transport urbain collaborent-elles avec les autorités locales et les autres parties prenantes pour garantir une infrastructure de transport moderne et résiliente ?

A. E. M. : Les entreprises marocaines du secteur du transport urbain collaborent étroitement avec les autorités locales à travers des partenariats public-privé, des consultations régulières et des projets communs. Elles souhaiteraient cependant participer à des comités de planification stratégique pour aligner leurs initiatives avec les objectifs nationaux de mobilité. Des forums et des plateformes de discussion facilitent l’échange de connaissances et la coordination des efforts. Cette collaboration est essentielle pour garantir que les infrastructures de transport soient modernes, résilientes et répondent aux besoins de la population. En suivant la vision royale, nous entendons bâtir un réseau de transport urbain exemplaire, capable de soutenir notre développement économique et social.

F. N. H. : Quels exemples récents de success stories marocaines en matière de transport urbain démontrent la capacité du pays à gérer et à développer ce secteur de manière indépendante ?

A. E. M. : Parmi les succès récents, le projet dissolution et de busway de Casablanca se distinguent par leur réalisation exemplaire. Conçus et exécutés avec une forte participation de compétences marocaines, ces projets illustrent la capacité marocaine à mener à bien des infrastructures de transport urbain complexes. Ces succès reflètent non seulement notre expertise technique, mais aussi notre détermination à promouvoir des solutions de mobilité verte et innovante pour nos villes. Ils incarnent la vision royale d’un Maroc moderne et souverain, prêt à devenir un leader régional en matière de transport urbain, avec une perspective tournée vers l'Afrique et le développement de solutions adaptées à notre continent. Aujourd’hui, le secteur est à l’aune d’un changement drastique positif, qui est l’aboutissement des efforts conjoints de l’Etat et des opérateurs pendant plus de 30 ans. Toute évolution ne peut être atteinte que par une accumulation de succès et d’échecs. Le Maroc, comme annoncé par le ministre de l’Intérieur, a besoin d’opérateurs nationaux forts et expérimentés. Le Royaume dispose de cette expérience. Il y a de la place pour tous, et mon souhait est que des PME puissent également y trouver leur place et pas seulement les multinationales et grandes entreprises.

 

 

 

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