Tourisme : «Le Maroc doit impérativement explorer de nouveaux marchés émergents»

Tourisme : «Le Maroc doit impérativement explorer de nouveaux marchés émergents»

Après des efforts de longue haleine au sortir de la pandémie Covid-19 et la mise en place d’une feuille de route stratégique 2023-2026, le Maroc a réussi à attirer 17,4 millions de visiteurs à fin 2024. Entretien avec Zoubir Bouhoute, expert et chercheur en tourisme.

 

Propos recueillis par Désy M.

Finances News Hebdo : Le Maroc a atteint un record exceptionnel en 2024. Quelles sont les initiatives ayant permis ce succès ?

Zoubir Bouhoute : Le Maroc a multiplié les actions stratégiques pour consolider sa place parmi les grandes destinations touristiques mondiales, en misant sur l'innovation, la promotion ciblée et l'amélioration de l'accès. Lors de l’Expo 2020 de Dubaï, le pavillon marocain, récompensé par le prestigieux Golden Award pour son design intérieur, a offert une immersion dans le patrimoine et les innovations du Royaume, renforçant son rôle dans les dialogues interculturels. Lancée en 2022, la campagne internationale «Maroc, terre de lumière» a ciblé 20 pays, mettant en avant la diversité des paysages et la richesse culturelle. Accompagnée d’une tournée stratégique dans des villes clés comme Paris, Londres et New York, cette initiative a permis de renouer avec les marchés post-Covid, consolidant la position du Maroc sur la scène touristique mondiale. Parallèlement, l’introduction du visa électronique en juillet 2022 a simplifié l’accès au pays, réduisant considérablement les délais pour les voyageurs et augmentant l'attractivité du Royaume. L’impact mondial des Lions de l’Atlas lors de la Coupe du monde 2022 a également amplifié l’intérêt pour le Maroc, avec une hausse de 400% des recherches liées à la culture et au tourisme marocains. Cet engouement a propulsé l’image du Maroc comme une destination dynamique et accueillante. Pour soutenir cette croissance, l’ONMT a misé sur des partenariats stratégiques lors de salons internationaux comme Fitur ou WTM, et sur des collaborations avec des agences de luxe. En parallèle, des initiatives novatrices sur des plateformes numériques, comme TikTok, ont visé à capter l’attention des jeunes générations.

 

F. N. H. : Quels sont les défis à relever pour diversifier les marchés, augmenter les recettes ainsi que la dépense moyenne par visiteur ?

Z. B. : Le secteur touristique marocain se trouve aujourd'hui à un moment charnière dans son développement. Si le Maroc bénéficie d'un afflux touristique soutenu, il reste cependant fortement dépendant de quelques marchés européens. En 2024, près de 80% des arrivées touristiques proviennent de l'Europe, principalement de la France, de l'Espagne et du RoyaumeUni. Cette situation expose le pays à des risques liés aux fluctuations économiques ou politiques de ces régions. Par exemple, toute crise économique ou instabilité politique en Europe pourrait entraîner une diminution significative du nombre de visiteurs. Pour assurer la pérennité du secteur et éviter une trop grande vulnérabilité, le Maroc doit impérativement diversifier ses sources de touristes en explorant de nouveaux marchés émergents, tout en consolidant ceux qui sont déjà bien établis. Les marchés d'Amériques et d'Asie représentent des opportunités considérables pour le tourisme marocain. Les ÉtatsUnis et le Canada, bien que sous-représentés à l'échelle des arrivées touristiques, possèdent un potentiel de croissance certain, notamment en raison de leur population à fort pouvoir d'achat. En 2024, les États-Unis ont enregistré une augmentation de 6% des arrivées, avec près de 351.000 visiteurs, tandis que le Canada a enregistré +17% avec environ 126.000 visiteurs. Ces deux pays recherchent des destinations offrant des expériences de luxe, culturelles et authentiques, des critères qui s'alignent parfaitement avec ce que le Maroc a à offrir. Par ailleurs, le Brésil a vu sa fréquentation croître de 7% en 2024, signalant une demande croissante pour des offres liées au tourisme d'aventure. En Asie, les marchés chinois et indien connaissent également un développement rapide. Le nombre de visiteurs chinois a bondi de 78% en 2024, tandis que l'Inde a enregistré une croissance de 43%, attirant une clientèle jeune et dynamique à la recherche d'expériences exotiques et de découvertes culturelles. Le Japon et la Corée du Sud, bien que modestes en volume, représentent également des segments intéressants à capter, en particulier pour le tourisme haut de gamme. Pour capter ces nouvelles clientèles, une stratégie d’accès direct est indispensable.

Le Maroc doit ouvrir davantage de lignes aériennes directes vers des villes stratégiques des marchés émergents. L'absence de liaisons aériennes directes est souvent un frein majeur au développement du tourisme international, et l'ouverture de lignes vers des destinations comme Pékin, Shanghai, Mumbai, Delhi, New York, Los Angeles, Sao Paolo, Tokyo ou Seoul, pourrait considérablement faciliter les déplacements. Ces liaisons réduiraient les coûts de transport, rendraient le Maroc plus accessible et renforceraient sa compétitivité face à d’autres destinations touristiques. L'optimisation de l'infrastructure aérienne doit être accompagnée d'une offre touristique de qualité supérieure, afin de répondre aux attentes élevées de ces nouveaux visiteurs. En outre, le Maroc devrait envisager de développer des hubs dans ses principales villes touristiques afin de capter encore plus efficacement ces marchés en pleine croissance. Le renforcement des infrastructures touristiques et la diversification de l’offre sont également déterminants pour attirer une clientèle exigeante. En particulier, le Maroc doit investir dans le secteur du luxe, un créneau qui représente un enjeu stratégique pour attirer des touristes à fort pouvoir d’achat.

L'extension de l’offre dans le domaine des hôtels 5 étoiles, des complexes de bien-être, des spas et des expériences exclusives est déterminante pour séduire une clientèle en quête de confort et d’exclusivité. Par ailleurs, la diversification de l’offre touristique ne doit pas se limiter à l’hébergement et aux loisirs. Le développement des infrastructures pour le tourisme d’affaires, avec des centres de conférences, des palais des congrès et des hôtels haut de gamme dédiés, est tout aussi essentiel. Le Maroc a un potentiel considérable dans ce domaine, en particulier dans ses grandes villes comme Casablanca et Marrakech, qui accueillent déjà une clientèle internationale pour des événements d’envergure. Le développement d’une offre ciblée, en phase avec les attentes des touristes d'affaires et des organisateurs d’événements internationaux, est un levier stratégique pour encourager des séjours prolongés et des dépenses plus élevées. Enfin, pour renforcer sa position sur les marchés internationaux et répondre aux exigences d'une clientèle de plus en plus sophistiquée, le Maroc doit également investir dans des programmes de formation et de certification pour les professionnels du tourisme. L’amélioration de la qualité de service et l’adoption de standards internationaux permettront d’accroître la compétitivité du secteur. La mise en place de stratégies de marketing ciblées, adaptées aux spécificités de chaque marché, doit aussi être un axe prioritaire. Les campagnes de promotion doivent mettre en avant les atouts distinctifs du Maroc, tels que son patrimoine culturel unique, ses paysages diversifiés et son hospitalité légendaire. Les initiatives de communication devront se concentrer sur l’expérience authentique et immersive que le Maroc peut offrir, tout en soulignant les caractéristiques de destination de luxe, de bien-être et de tourisme d’affaires. Une approche globale combinant diversification des marchés, développement des infrastructures et communication ciblée permettra au Maroc de maintenir sa place parmi les destinations touristiques incontournables et de garantir la pérennité du secteur à long terme.

 

F. N. H. : Comment le Maroc peut-il attirer davantage d’investissements étrangers dans les régions moins explorées, tout en garantissant un développement touristique durable ?

Z. B. : La Charte de l'investissement, adoptée en juillet 2022, s'inscrit comme une initiative stratégique visant à dynamiser le secteur privé au Maroc, tout en mettant l'accent sur la création d'emplois durables et le développement harmonieux des territoires. L'objectif est de renforcer la contribution du secteur privé à l'économie nationale, secteur dont la participation reste sous-exploitée malgré un taux d’investissement relativement élevé. Dans le cadre de la feuille de route du tourisme 2023-2026, l’une des initiatives majeures pour la modernisation du secteur est le lancement du programme «Cap Hospitality». Ce programme vise à moderniser l'hébergement touristique pour répondre aux exigences des grands événements sportifs à venir, notamment la Coupe d'Afrique des nations 2025 et la Coupe du monde 2030. À travers une convention entre plusieurs ministères et la Société marocaine d'ingénierie touristique (SMIT), le gouvernement met en place un mécanisme de financement innovant pour la mise à niveau des établissements touristiques existants. Les établissements éligibles, dans le cadre de cette initiative, peuvent bénéficier d’un crédit à taux zéro pour financer des rénovations, l’acquisition de matériel et des projets d'efficacité énergétique. L'objectif est d’ajouter 25.000 chambres au parc hôtelier marocain, avec un investissement global de 4 milliards de dirhams. Cap Hispitality représente un levier stratégique pour préparer le pays à accueillir une clientèle internationale de plus en plus exigeante et soucieuse de l'impact environnemental des établissements où elle séjourne.

À travers ce programme, le Maroc cherche à améliorer la qualité de son offre touristique tout en restant compétitif face à d'autres destinations. Parallèlement à cette initiative, le programme Go Siyaha soutient le développement de projets touristiques diversifiés à travers toutes les regions du Maroc. Ces projets, qui incluent des activités liées aux sports nautiques, des gîtes écotouristiques et des initiatives d'hébergement insolite, sont conçus pour dynamiser l'animation touristique tout en répondant aux besoins spécifiques des différentes régions. Les projets ont été soigneusement sélectionnés afin de garantir leur viabilité économique et leur impact positif sur le développement local. Go Siyaha ambitionne de soutenir 1.700 entreprises touristiques d'ici 2026, avec un investissement global de 720 millions de dirhams. En soutenant ces initiatives, le programme cherche à renforcer l'attractivité du Maroc en tant que destination touristique diversifiée, capable de répondre aux attentes d'une clientèle variée. Enfin, la création de la Banque de projets tourisme, lancée par le ministère du Tourisme et la SMIT, constitue un autre levier pour stimuler l'investissement dans le secteur. Cette plateforme numérique offre un catalogue de plus de 200 projets types, avec l'objectif d'en atteindre 600 d'ici quelques années. Ces projets couvrent divers secteurs du tourisme et incluent des informations détaillées sur l'investissement nécessaire, la rentabilité attendue et les emplois créés. Cette plateforme simplifie l'accès aux subventions de l'État et offre un accompagnement personnalisé aux investisseurs, ce qui est crucial pour faciliter l'implantation de nouveaux projets. Elle met également un accent particulier sur l'innovation et la durabilité, en soutenant des projets respectueux de l'environnement et en phase avec les nouvelles attentes des consommateurs. En favorisant la jeunesse et l'innovation, la Banque de projets tourisme s'inscrit comme un outil majeur pour encourager l'investissement privé dans le secteur touristique marocain et aider à sa transformation. Cette plateforme joue ainsi un rôle essentiel dans le développement d'une offre touristique variée et adaptée aux défis actuels. 

 

 

 

 

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