La fin d’année 2025 marque un tournant stratégique pour le tourisme national. Organisée au Maroc, la CAN 2025 coïncide avec les fêtes de fin d’année et place le secteur dans une configuration exceptionnelle. Ce double rendez-vous, à la fois sportif et économique, renforce l’attractivité du Royaume et met en lumière les atouts et la résilience du secteur. Entretien avec Said Tahiri, économiste et opérateur touristique.
Propos recueillis par Ibtissam. Z.
Finances News Hebdo : Comment analysez-vous l’état des lieux du secteur touristique marocain en cette fin d’année ?
Said Tahiri : Les indicateurs sont clairement au vert. Le tourisme marocain aborde cette fin d’année sur une dynamique très solide et une performance historique. À fin novembre 2025, le Maroc avait déjà accueilli 18 millions de visiteurs, dépassant le chiffre total de toute l’année 2024, qui était de 17,4 millions, et enregistrant une progression d’environ 13,5% par rapport à l’année précédente, elle-même record. Avec la CAN et les vacances de fin d’année, nous sommes en passe de dépasser pour la première fois de notre histoire la barre symbolique des 20 millions de touristes et nous réaliserons certainement plus de 130 milliards de dirhams de recettes en devises. Mais audelà des chiffres et des volumes, l’enjeu est désormais qualitatif. En effet, il s’agit de mieux capter la valeur, d’augmenter les dépenses par visiteur, la durée de séjour et de diversifier les expériences, tout en soutenant l’investissement dans l’hébergement et l’animation.
Les dispositifs publics ainsi que l’amélioration de la connectivité et de l’accessibilité de notre destination joueront un rôle d’accélérateur, à travers la rénovation et la création de nouvelles offres, notamment des services point à point. Les perspectives restent favorables, l’objectif implicite étant de transformer cette performance en croissance plus inclusive, mieux répartie entre territoires et saisons et davantage créatrice d’emplois. Le tourisme représente plus de 7% du PIB national, un poids significatif dans l’économie marocaine, avec des effets multiplicateurs importants sur l’emploi, l’aérien, l’hôtellerie et les services et le commerce. Ces indicateurs montrent non seulement une reprise robuste, mais aussi une trajectoire ascendante qui place le Maroc sur une dynamique de compétitivité internationale, favorable à l’atteinte de l’objectif de 26 millions de visiteurs à l’horizon 2030.
F. N. H. : Dans quelle mesure la CAN peut-elle être considérée comme un levier stratégique pour renforcer l’attractivité touristique du Maroc, en particulier durant la période de fin d’année ?
S. T. : La CAN 2025 constitue un levier stratégique majeur pour plusieurs raisons. D’abord, il s’agit d’une période stratégique, car la CAN se déroule en pleine haute saison touristique, coïncidant avec la période des fêtes de fin d’année, traditionnellement favorable à la demande touristique. Cette synchronisation améliore l’attractivité du Maroc comme destination combinant événements sportifs et tourisme de loisir. Ensuite, l’événement attire un grand nombre de visiteurs internationaux. Nous estimons que la CAN devrait attirer entre un million et un million et demi de fans de football, avec des durées de séjour plus importantes que la moyenne classique, générant des dépenses directes significatives en hébergement, restauration, transport et loisirs. L’événement a également un effet d’exposition médiatique globale, car la CAN envoie un signal fort sur la capacité organisationnelle internationale du pays, valorisant l’image du Maroc auprès des marchés européens, africains et moyenorientaux. Enfin, les infrastructures et investissements durables générés par cet événement renforcent l’attractivité touristique au-delà de la période événementielle. Les investissements dans les infrastructures sportives, y compris les stades, les transports et l’hôtellerie, améliorent l’offre globale et constituent un moteur pour le tourisme futur. La CAN agit ainsi non seulement comme un moteur de trafic direct, mais aussi comme un catalyseur d’image globale et de renforcement des capacités du secteur.
F. N. H. : Quel impact anticipez-vous des offres touristiques combinant les célébrations du nouvel An et la CAN, en termes de stimulation de la demande et de création de valeur pour les opérateurs du secteur ?
S. T. : Les professionnels du tourisme au Maroc ont atteint une maturité telle qu’ils sont capables de gérer la combinaison du sport avec les festivités du nouvel An et de proposer une offre intégrée à forte valeur ajoutée. Ces offres permettent de prolonger les séjours, d’augmenter les dépenses par touriste, que ce soit en hébergement, en restauration ou en événements, et d’attirer des segments premium. Les tours opérateurs, les hôteliers et les agences de voyages peuvent capitaliser sur des produits packagés combinant matchs, hébergement et activités festives, ce qui permet d’augmenter les taux d’occupation en haute saison, de proposer des tarifs plus élevés grâce à la valeur ajoutée et d’inciter à la réservation anticipée, réduisant ainsi l’effet de saisonnalité. De plus, ces offres créent un effet multiplicateur économique, car l’augmentation des flux touristiques pendant ces périodes favorise la création d’emplois saisonniers, la dynamisation des petites et moyennes entreprises locales et l’accroissement des recettes en devises.
F. N. H. : Comment l’articulation entre politiques publiques, investissement privé et marketing territorial peut-elle maximiser les retombées économiques de la CAN sur le tourisme marocain ?
S. T. : Pour maximiser l’impact de la CAN, une approche intégrée est essentielle. Cela commence par une politique publique ciblée, incluant des facilités pour les visas, des campagnes de promotion à l’international et une coordination logistique entre les ministères, tels que ceux de l’Intérieur, du Tourisme et des Transports. Il est également nécessaire de renforcer les investissements privés par des incitations fiscales et des partenariats public-privé pour développer l’hôtellerie, les loisirs, les services et l’événementiel. Cela permet d’optimiser l’offre et d’absorber les pics de demande. Le marketing territorial doit être fort, avec une stratégie adaptée aux différents segments, tels que les familles, les passionnés de sport, le luxe et la diaspora. Les campagnes doivent cibler les marchés émetteurs prioritaires, notamment la France, l’Espagne, l’Allemagne, les États-Unis et l’Afrique subsaharienne. L’utilisation des canaux numériques et des influenceurs internationaux contribue également à renforcer la visibilité mondiale du Maroc. La CAN sera un véritable laboratoire d’innovation touristique, capable de stimuler l’économie locale et de contribuer à faire du Maroc une destination touristique plus résiliente et compétitive. La période premium de la CAN, du 21 décembre 2025 au 18 janvier 2026, coïncide avec la haute saison, ce qui permet d’absorber les pics de demande et de renforcer l’image du Maroc comme pays sûr et moderne. L’impact sur l’hôtellerie dans les villes concernées est déjà significatif, avec une forte tension positive sur les réservations.
F. N. H. : Ces offres intégrées peuvent-elles favoriser une prolongation significative des séjours, et quels effets économiques cela pourrait-il générer sur l’ensemble de la chaîne touristique ?
S. T. : Effectivement, ces offres intégrées combinant la CAN et les festivités du nouvel An ont un fort potentiel pour prolonger la durée des séjours. En packageant les matchs, l’hébergement, la restauration et les animations festives, les opérateurs peuvent inciter les visiteurs à rester plusieurs jours de plus, ce qui génère une augmentation directe des dépenses touristiques. Pour l’hôtellerie et la restauration, cela se traduit par un taux d’occupation plus élevé et une hausse de la valeur moyenne par client. Pour les agences de voyages et les tours opérateurs, les produits combinés permettent de créer des offres premium et d’améliorer la rentabilité. Pour l’économie locale, l’afflux prolongé de touristes favorise la création d’emplois saisonniers, dynamise les petites et moyennes entreprises et renforce les recettes en devises. En somme, ces stratégies permettent de capter davantage de valeur sur l’ensemble de la chaîne touristique tout en soutenant une saisonnalité plus équilibrée.
F. N. H. : Ces événements peuvent-ils devenir un levier stratégique pour repositionner le Maroc sur le tourisme événementiel et sportif à forte valeur ajoutée, tout en renforçant l’attractivité des destinations et la compétitivité touristique du Royaume ?
S. T. : Absolument ! La CAN constitue un véritable laboratoire pour tester de nouvelles approches en matière de tourisme événementiel et sportif à forte valeur ajoutée. Elle permet d’expérimenter des offres packagées combinant sport, loisirs et culture, des stratégies de marketing territorial ciblées sur des segments premium et internationaux, ainsi qu’une coordination logistique renforcée entre acteurs publics et privés afin d’absorber des pics de demande. Mis à part les villes hôtes, ces événements peuvent également avoir un impact structurant sur les destinations non organisatrices, grâce à la mise en place de circuits touristiques thématiques entre deux rencontres. Par exemple, les visiteurs présents à Tanger peuvent être incités à découvrir Tétouan et Chefchaouen, ceux de Fès à explorer Meknès et Ifrane, tandis que les publics de Marrakech et Agadir peuvent prolonger leur séjour vers Ouarzazate et le grand Sud.
Cette approche favorise une meilleure répartition des flux touristiques et crée de la valeur sur l’ensemble du territoire. Ces événements contribuent ainsi à la valorisation des destinations marocaines en mettant en avant les infrastructures modernes et la capacité organisationnelle du pays, en générant une exposition médiatique internationale qui renforce l’image du Maroc comme destination sûre, innovante et diversifiée, et en encourageant les visiteurs à découvrir plusieurs régions au cours d’un même séjour. Sur le long terme, ces stratégies renforcent la compétitivité touristique du Royaume, attirent des segments à forte valeur ajoutée, prolongent la durée moyenne des séjours et génèrent des retombées économiques plus durables pour l’ensemble de la chaîne touristique. La CAN devient ainsi un modèle de tourisme événementiel capable de créer de la valeur économique, tout en consolidant l’image internationale du Maroc et en favorisant un développement touristique plus équilibré et inclusif.