Partenariat Maroc - Chine : «Des mesures et mécanismes visant à préserver le tissu industriel local paraissent impératifs»

Partenariat Maroc - Chine : «Des mesures et mécanismes visant à préserver le tissu industriel local paraissent impératifs»

Equilibrage des flux commerciaux, coopération dans plusieurs secteurs stratégiques et investissements…, le Maroc et la Chine ont décidé de tirer pleinement profit de la complémentarité de leurs chaînes de valeurs. Une véritable opportunité qui laisse toutefois entrevoir des zones d’ombre que souligne le professeur en économie à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’Agadir, Hassan Edman.

 

Propos recueillis par Désy M.

Finances News Hebdo : Ces annonces commerciales Maroc-Chine traduisentelles un rééquilibrage réel des échanges bilatéraux ou confirment-elles une relation toujours marquée par un déficit commercial structurel pour le Maroc ?

Hassan Edman : Les annonces de la 7ème Commission mixte confirment la persistance d'un déséquilibre commercial marqué en faveur de la Chine. L'Office des changes révèle qu'en 2024, sur un déficit global de 305 milliards de dirhams, celui avec la Chine représente 86,3 milliards (28,29% du total), en augmentation de 13,8 milliards par rapport à 2023 et en détérioration continue depuis 2011. À titre comparatif, le déficit avec l'Espagne, premier partenaire européen, n'atteint que 18,2 milliards, et 66,5 milliards avec les États-Unis. Le rééquilibrage des échanges semble encore éloigné, malgré les intentions affichées qui paraissent plus déclaratives qu'opérationnelles. Ce déséquilibre structurel s'explique principalement par la prédominance des exportations chinoises et l'accès limité des produits marocains au marché chinois. Néanmoins, ces annonces constituent un signal encourageant : la reconnaissance mutuelle de ces déséquilibres offre au Maroc une opportunité stratégique pour diversifier ses exportations vers la Chine à moyen et long terme. Cela exigera des mesures actives de soutien aux exportations, une valorisation du tissu productif et des négociations stratégiques. L'engagement chinois à faciliter l'accès de certains produits marocains (notamment agroalimentaires ou à valeur ajoutée spécifique) représente une opportunité à exploiter, appuyée par des initiatives concrètes comme le renforcement des capacités des producteurs marocains face aux normes chinoises, et le développement de circuits logistiques et commerciaux adaptés. Ces engagements devront se concrétiser par des résultats mesurables sur la balance commerciale.

 

F. N. H. : Dans un contexte de montée en puissance des investissements chinois, comment le Maroc peutil attirer des capitaux productifs sans fragiliser ses industries locales face à une concurrence chinoise souvent subventionnée et très compétitive ?

H. E. : Je vous rejoins pleinement sur le fait que malgré les opportunités qu'offrent les investissements chinois au Maroc, ils soulèvent aussi des enjeux sérieux pour la compétitivité des opérateurs nationaux. C'est toujours bénéfique d'attirer des capitaux productifs tout en surveillant la concurrence pour les industriels locaux, particulièrement ceux aux capacités compétitives limitées. Les investissements chinois au Maroc ont connu une évolution remarquable, avec des projets majeurs et structurants dans l'infrastructure et l'industrie. Je cite à titre d'illustration les deux unités de textile Sunrise, avec un investissement considérable de 2,3 Mds de DH, générant 7.000 emplois directs et 1.500 indirects, ainsi que l'usine Boway Alloy à Nador créant 1.000 emplois directs. La coentreprise COBCO, lancée en 2025 et spécialisée dans la production de batteries et composants pour véhicules électriques, représente un investissement de 20 Mds de DH et plus de 3.600 emplois directs et indirects. Sans oublier le groupement chinois composé de United Energy Group et China Three Gorges, sélectionné par le Comité de pilotage du programme national d'investissement d'hydrogène, avec quatre autres investisseurs, pour développer des projets d'hydrogène et d'ammoniac verts au Maroc. Les entreprises chinoises sont également des partenaires majeurs des grands projets d'infrastructures, notamment dans le ferroviaire (extension LGV Tanger-Marrakech, études pour Agadir).

Ces investissements créent des emplois qualifiés, favorisent le transfert de compétences et d'expertise nécessaires pour accompagner le Maroc dans sa vision de devenir une puissance économique émergente et un hub industriel compétitif en Afrique et vers l'Europe. Ils contribuent également à la diversification du tissu industriel marocain, particulièrement dans des secteurs à forte valeur ajoutée et à fort potentiel exportateur. Cependant, malgré ces avantages, il faut mettre en place un cadre protecteur pour les industriels nationaux face à une concurrence désavantageuse, considérant que de nombreuses industries chinoises bénéficient de subventions d'État leur permettant de proposer des produits à bas coût difficiles à concurrencer pour les entreprises locales. Des mesures et mécanismes visant à préserver le tissu industriel local paraissent impératifs. Il faudrait sélectionner les projets chinois productifs, à forte valeur ajoutée et capacité d'emploi, mais également capables de renforcer les industries locales plutôt que de les remplacer ou les écraser. Il convient de privilégier les capitaux chinois qui peuvent aider l'industrie marocaine à s'insérer correctement dans des chaînes de valeur mondiales, sans omettre le renforcement de l'écosystème industriel national par des procédures antidumping, un soutien ciblé aux PME industrielles, l'encouragement de joint-ventures réellement intégrées et le renforcement des capacités locales (formations, financement, recherche et développement).

 

F. N. H. : Les secteurs prioritaires annoncés comme l’automobile, l’aéronautique et les nouvelles technologies sont-ils réellement armés pour capter des investissements chinois créateurs de valeur locale, ou risquent-ils une intégration limitée aux chaînes de valeur dominées par Pékin ?

H. E. : J'ajouterais également le secteur textile, qui démontre une résilience notable avec une croissance de 7% en 2024 par rapport à 2023, représentant 15% des exportations industrielles marocaines et employant 190.000 personnes (10% de la main- d'œuvre industrielle nationale), après avoir traversé des périodes difficiles. Pour répondre à votre question, l'écosystème industriel marocain attire effectivement des investissements chinois créateurs de valeur locale et d'emplois qualifiés. L'exemple de Tianyouwei Electronics, leader mondial en électronique automobile établissant une filiale 100% marocaine avec un investissement de 65 millions d'euros, illustre parfaitement cette tendance. Cela témoigne de l'évolution du Maroc au-delà du simple assemblage vers une production à plus forte valeur ajoutée. Les collaborations sino-marocaines dans les batteries pour véhicules électriques et d'autres projets dans les technologies numériques et l'électromobilité confirment cette orientation.

Cette dynamique n'en est qu'à ses débuts, sachant qu'historiquement, les industries exportatrices marocaines ont connu une intégration limitée aux chaînes de valeur mondiales. Les multinationales implantées au Maroc ont généralement maintenu les acteurs locaux dans des fonctions secondaires (assemblage, sous-traitance), sans accès aux segments plus productifs. Un obstacle majeur à une intégration véritablement créatrice de valeur ajoutée réside dans la dépendance technologique des industriels marocains. La Chine conserve encore la maîtrise d'une grande partie des technologies, sans véritable transfert, notamment dans les domaines des batteries, des semi-conducteurs et des technologies vertes. La promotion de joint-ventures sino-marocaines constitue une approche efficace pour favoriser l'intégration réussie de l'industrie marocaine dans l'écosystème mondial. Pour rappel, une joint-venture est un partenariat stratégique où plusieurs entreprises mutualisent leurs ressources et compétences pour un projet spécifique, partageant coûts, profits et risques, tout en préservant leur indépendance juridique. C'est notamment le cas de Maroc Huashuo Industrial Park, société sino-marocaine récemment créée pour développer la zone industrielle de Bni Ykhlef dans la province de Khouribga. L'opportunité majeure réside dans cette transition de simples soustraitants vers des producteurs et fournisseurs de produits hautement qualifiés, formant des pôles d'innovation générateurs de valeur locale, en interaction productive avec les projets chinois implantés au Maroc.

 

F. N. H. : Quelles barrières structurelles le Maroc doit-il lever en urgence pour renforcer son attractivité face à la Chine par exemple sur le foncier, la logistique, la fiscalité ou les compétences, sans tomber dans une course au moins-disant réglementaire ou social ?

H. E. : Parfaitement exprimé de votre part : concilier attractivité et maintien des standards réglementaires et sociaux constitue un défi majeur. L'enjeu est considérable. La solution réside dans une transformation structurelle du modèle d'attraction, au-delà des atouts traditionnels du Maroc (coûts, stabilité politique et sécuritaire, position géographique). Il s'agit d'éliminer les obstacles structurels sans compromis réglementaires et sociaux préjudiciables à long terme. Le Maroc doit d'abord surmonter des freins structurels internes. La question du foncier industriel reste cruciale : rareté de terrains bien équipés, prix parfois excessifs, procédures administratives complexes et absence de visibilité à long terme découragent les investisseurs. S'ajoutent des contraintes logistiques en dehors des grandes plateformes comme Tanger Med, particulièrement dans le transport intérieur, l'intermodalité et la logistique industrielle de proximité, qui alourdissent les coûts.

Sur le plan fiscal, l'enjeu n'est pas tant de réduire davantage les taux que d'assurer stabilité, transparence et équité du système fiscal, en évitant les modifications fréquentes et les traitements différenciés générateurs d'incertitude. Parallèlement, l'attractivité durable du Maroc exige un investissement substantiel dans les compétences et la productivité. Le manque de profils techniques intermédiaires, d'ingénieurs spécialisés et de compétences managériales industrielles freine l'évolution qualitative des filières locales. Plutôt que de rivaliser avec la Chine sur les coûts salariaux, le Maroc doit privilégier la qualité du capital humain, l'innovation, une formation professionnelle adaptée aux besoins industriels et une meilleure synergie entre universités, centres de recherche et entreprises. C'est en renforçant l'efficacité institutionnelle, la fiabilité des infrastructures et la densité de son écosystème industriel que le Maroc peut améliorer son attractivité, tout en préservant ses normes sociales et son autonomie économique.

 

F. N. H. : À l’heure du repositionnement mondial des chaînes de valeur et de l’influence croissante de la Chine en Afrique, quels risques géopolitiques et économiques le Maroc doit-il anticiper pour préserver sa souveraineté industrielle et commerciale ?

H. E. : Préserver la souveraineté industrielle nationale oui, mais également les parts de marché africaines. Le Maroc ambitionne également de jouer un rôle plus déterminant dans les flux logistiques et industriels africains, tirant pleinement profit de sa situation stratégique en tant que carrefour entre l'Europe, l'Atlantique et l'Afrique subsaharienne. La concurrence, notamment des fournisseurs chinois, est féroce et menace sérieusement l'offre marocaine sur le marché local et africain. L'heure est, comme vous le dites, d'anticiper ces risques géopolitiques et économiques sur trois volets. D'abord, la dépendance économique et le déséquilibre commercial, ensuite les vulnérabilités économiques structurelles, puis la rivalité croissante de la Chine, mais également des USA et de l'Europe sur le continent africain. La balance commerciale est fortement déséquilibrée au profit de Pékin, en valeur et en qualité. Les importations marocaines sont composées massivement de biens manufacturés, tandis que les exportations vers la Chine restent limitées à des matières premières de très faible valeur ajoutée. Cela réduit le Maroc à un simple fournisseur de matières premières. Le risque est de taille : celui de la dépendance aux chocs de la demande chinoise et aux choix politiques de Pékin.

Deuxième risque majeur à anticiper : la vulnérabilité et la fragilité de l'industrie marocaine qui, bien qu'ayant démontré une certaine capacité de résilience face aux chocs externes, reste exposée aux risques macroéconomiques globaux, particulièrement sur les marchés d'approvisionnement mondiaux. Cette forte dépendance évoquée ci-dessus, ainsi que l'exposition des exportations aux volatilités de la demande extérieure, sont préoccupantes. Cette même dépendance et le volume trop élevé des importations chinoises masquent une insuffisance de la production industrielle locale et la domination de produits à faible valeur ajoutée. Enfin, le Maroc en tant que hub régional, doit se positionner sur le marché africain où la confrontation avec la Chine, voire les USA et l'Europe, n'est plus seulement une priorité économique, mais également un instrument d'alignement politique et géopolitique. Toute pression politique excessive d'un des rivaux limite l'autonomie stratégique du Royaume. D'un autre côté, le Maroc peut jouer la carte de la neutralité et du partenaire stratégique de ces blocs rivaux pour maximiser ses intérêts commerciaux et économiques et conquérir d'autres segments ou niches du marché africain.

 

 

 

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