Principaux points de divergence entre le gouvernement et les centrales syndicales : le recul de l’âge de départ à la retraite, la baisse des pensions et l’augmentation des cotisations.
Les différents régimes font face à des enjeux relatifs à leur pérennité financière.
Par D. William
La réforme du système de retraite est dans les bacs. C’est la patate chaude du gouvernement pour cette législature. A voir ce qui se passe en France, l’on se doute bien que l’Exécutif aborde ce dossier, qui peut s’avérer être une véritable bombe sociale, avec beaucoup d’appréhension, pour ne pas dire de crainte, tant les enjeux socio-économiques sont importants. Cette réforme globale a été pendant longtemps esquivée par les précédents gouvernements. Mais celui d’Akhannouch compte bien la boucler définitivement cette année.
Récemment au Parlement, la ministre de l'Economie et des Finances, Nadia Fettah Alaoui, reconnaissait qu'«il n'y a pas de solutions faciles», soulignant que «le système de retraite était déjà sur la table des gouvernements précédents pendant des années, et les mesures prises n'ont pas permis d'aboutir à une solution». L’objectif de l’Exécutif est, selon elle, de clore ce dossier d'ici l'été ou septembre prochain. C’est pourquoi ce dossier brûlant est au cœur du dialogue avec les partenaires sociaux.
La ministre de l’Economie et des Finances avait ainsi présidé, le mercredi 5 octobre 2022, au siège de son département, la première réunion de la Commission chargée de la réforme de retraite, dont la création s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre des conclusions de l’Accord social et de la Charte nationale du dialogue social, conclus le 30 avril dernier entre le gouvernement, les centrales syndicales et les organisations et associations professionnelles des employeurs.
Pour la pérennité du système
Une première réforme paramétrique du régime des pensions civiles a été initiée en 2016, après les rapports alarmistes publiés par des institutions comme la Cour des comptes (CC) ou encore le Conseil économique, social et environnemental (CESE), voire les pressions d’institutions comme le Fonds monétaire international. Elle visait à donner à Caisse marocaine de retraite (CMR), dont les indicateurs de soutenabilité se dégradaient considérablement et menaçaient l’équilibre des finances publiques, un peu de répit en attendant une réforme plus globale qui puisse assurer la pérennité du système.
L’enjeu de cette réforme se trouve à ce niveau. D’autant que, selon le point fait par Alaoui au Parlement, en février 2022, sur l’état du régime des pensions civiles après la réforme paramétrique, il est ressorti que le système épuisera ses réserves (70 Mds de DH) d'ici 2028. Aussi, poursuitelle, pour faire face à ses obligations par la suite, la CMR aura besoin d'environ 14 Mds de DH par an afin de financer le déficit du système. «Le niveau actuel du taux de cotisation (28%) et l'âge légal de départ à la retraite (63 ans) ne laissent qu'une faible marge pour adopter une nouvelle réforme paramétrique», a-t-elle fait remarquer à ce propos. D’où l’importance de la réforme systémique, qui devrait permettre de pallier la portée limitée des réformes paramétriques apportées principalement au régime des pensions civiles de la CMR et au régime collectif des allocations de retraites (RCAR) en 2021.
Conformément aux recommandations de 2013 de la Commission nationale chargée de la réforme de retraite, elle devrait aboutir à deux pôles : public (CMR et RCAR) et privé (CNSS et CIMR), avant de converger à terme vers un système national unifié. Dans un avis publié récemment, le CESE recommande l’instauration d’un régime national de retraite unifié, basé sur trois piliers, dont le premier est un régime obligatoire de base, géré en répartition, réunissant les actifs des secteurs public et privé et les non-salariés, unifiés sous un plafond de cotisation déterminé comme multiple du salaire minimum.
Le second est un régime complémentaire obligatoire contributif pour les revenus supérieurs au plafond. Le CESE recommande, à ce titre, «d’examiner la possibilité de transformer la CIMR en organisme complémentaire de la CNSS, avec cotisation à partir du plafond de la CNSS». Le troisième pilier est un régime individuel facultatif en capitalisation qui relèverait de l’assurance privée, à titre individuel ou collectif. Enfin, le Conseil préconise d’instaurer un «revenu minimum vieillesse», qui ne soit pas inférieur au seuil de pauvreté, au bénéfice des personnes qui ne bénéficieront pas de pension de retraite dans le cadre de la réforme globale des régimes de retraite et du système de protection sociale en général.
Une question d’âge
Pour l’Exécutif, l’équation se résume en l’augmentation du taux des cotisations, la baisse des pensions et, surtout, le recul de l’âge de départ à la retraite à 65 ans, tous secteurs confondus. Ce à quoi les syndicats s’opposent farouchement. Pour Miloudi Moukharik, secrétaire général de l'Union marocaine du travail (UMT), «la réforme de la retraite ne peut se faire au détriment des travailleurs. Tout projet imposé par le gouvernement, sans concertation avec les syndicats, ne peut donner des résultats probants. Nous rejetons la vision de l’Exécutif basée sur la hausse obligatoire de l’âge de la retraite, la baisse des pensions et l’augmentation des cotisations. C’est un lourd fardeau à supporter par la classe ouvrière». Et de préciser que «dans les quatre caisses marocaines, seule la CMR présente des risques majeurs pour le moyen terme, et ce pour des raisons de mauvaise gouvernance. Alors que les projections pour les autres, à savoir le RCAR, la CNSS, et la CIMR ne prévoient de déficit qu’à partir de 2052».
Miloudi Moukharik propose ainsi d’«adopter une approche participative dans ce dossier et de prendre en considération la pénibilité des métiers», estimant que «la hausse de l’âge de départ à la retraite ne doit pas être obligatoire». S’il concède à lâcher du lest en ce qui concerne la hausse des cotisations, avec une «augmentation sur la base des deux tiers de la part patronale et un tiers de la part salariale», il refuse cependant catégoriquement toute baisse des pensions. «Déjà, elles sont faibles pour la plupart des retraités, en plus du renchérissement du coût de la vie à cause de l’inflation», argumente-t-il.
Pendant ce temps-là… Alors que le gouvernement et les syndicats n’arrivent toujours pas à s’accorder, les différents régimes font face à des enjeux relatifs à leur pérennité financière. C’est ce que démontrent les résultats des projections financières des régimes de retraite réalisées par l’ACAPS sur un horizon de 60 ans, sur la base des données de l’exercice 2021 et des hypothèses de projection déduites des évolutions démographiques, économiques et financières propres à chaque régime. Selon l’Autorité, ces résultats montrent l’importance des engagements cumulés de ces régimes, en particulier ceux de base, envers leurs affiliés. «En effet, pour le régime CMR-RPC, l’intégration des enseignants contractuels des AREF a permis, du fait de la tarification favorable du régime, une amélioration de ses indicateurs d’équilibre à long terme. Cependant, les flux de trésorerie générés par ces nouvelles affiliations n’induiraient pas d’amélioration significative de la viabilité du régime sur le moyen terme du fait de l’horizon réduit d’épuisement de ses réserves (de 5 à 6 ans).
Les engagements non couverts du régime sur un horizon de 60 ans atteindraient un montant de 237,9 milliards de dirhams en conséquence de l’importance des droits acquis avant sa réforme paramétrique de 2016», explique l’ACAPS. Pour le RCAR-RG, d’un côté, le transfert des AREF au régime des pensions civiles a impacté négativement les indicateurs de trésorerie en réduisant les flux des cotisations futures du régime, conduisant ainsi au rétrécissement des horizons d’épuisement des réserves et d’enregistrement du premier déficit. D’autre part, le régime a connu la mise en place d’une réforme paramétrique, qui a principalement introduit un changement du calcul du taux annuel de revalorisation des pensions servies et du taux de revalorisation des salaires de carrière pour les nouvelles liquidations de pensions, fait savoir la même source.
«Cette réforme a permis d’atténuer la sous tarification des droits acquis dans le régime et par cela de réduire le niveau de ses engagements non couverts qui se sont situés à 83,1 milliards de dirhams contre 187,3 milliards une année auparavant», indique l’ACAPS. Quant à la CNSS, les projections actuarielles de la branche long terme montrent une dégradation de ses indicateurs de pérennité par rapport à leur niveau d’avant crise, notamment la réduction de l’horizon d’épuisement des réserves de huit années (2038 au lieu de 2046) et du taux de couverture des engagements du régime sur les soixante prochaines années, note l’ACAPS, soulignant que «les engagements non couverts du régime se sont, toutefois, établis à 459,2 milliards de dirhams au lieu de 520,2 milliards en 2020». S’agissant de la CIMR, le régime continuerait à enregistrer un solde global excédentaire et à accumuler des réserves sur toute la période de projection, prévoit l’ACAPS.