La crise hydrique qui sévit au Maroc prend des proportions alarmantes, exacerbée par des années de sécheresse et les effets dévastateurs du changement climatique. Avec une baisse drastique des ressources en eau, la politique agricole du pays est remise en question.
Par D. William
La crise hydrique qui frappe le Maroc est amplifiée par des années de sécheresse et les effets dévastateurs du changement climatique. Selon le ministre de l'Équipement et de l'Eau, Nizar Baraka, les températures en hausse ont entraîné une évaporation accrue, affectant directement le niveau des barrages, avec une perte quotidienne de 1.500.000 mètres cubes d'eau.
Ainsi, il y a une baisse alarmante de la moyenne annuelle des ressources hydriques, qui se situait à 7 milliards de mètres cubes au cours des dix dernières années, et à seulement 5 milliards de m3 entre 2017 et 2023. Au 23 avril 2024, le taux de remplissage des barrages du Royaume se situe à 32,79%, avec un volume de retenue de 5,28 milliards de m3 . Selon la situation journalière des barrages du Maroc établie par le ministère de l’Equipement et de l’Eau, ces chiffres sont en retrait par rapport à ceux enregistrés à la même période de l’année dernière (33,58% pour 5,41 milliards de m3. Ils cachent aussi beaucoup de disparités, certains barrages étant au bord du tarissement, faute d’apport en eau.
Or, la construction de barrages, au cœur de la stratégie gouvernementale, a été pendant longtemps considérée comme une solution miracle. D’ailleurs, une vingtaine de gros ouvrages sont en cours de construction, et certains d’entre eux devraient être achevés cette année, notamment «M’dez», dans la province de Sefrou, «Ghiss», dans la province d'Al Hoceima, et «Koudiat El Berna», dans la province de Sidi Kacem. Ils viendront compléter les 153 barrages d’une capacité qui avoisine les 20 milliards de m3 . Mais dans un contexte de raréfaction tendancielle des ressources hydriques, est-il judicieux de continuer à investir massivement dans ces infrastructures ?
Pour l'économiste Najib Akesbi, cela relève du non-sens. «A quoi sert un barrage s’il est vide ? C’est le cas aujourd’hui de la quasitotalité des infrastructures. C’est une catastrophe. Le plus grave encore, c’est qu’on continue à en construire. Pourquoi faire ? Sur quelles bases de quantités d’eau à stocker est-on en train de les construire ?», s’interroge-t-il. Et de souligner qu’«il faut faire la distinction entre les aléas climatiques, qui sont dans le court et moyen terme, et les tendances lourdes. Et nous sommes sur une tendance lourde». Quid de la politique agricole ?
L'agriculture se retrouve au cœur de la crise hydrique à laquelle est confronté le Maroc, puisqu’elle capte, selon les données du haut-commissariat au Plan, 87% des ressources en eau disponibles. Aujourd’hui, face à la raréfaction de l’eau et devant une déficit hydrique devenu structurel, il semble impératif de repenser fondamentalement le modèle agricole. Autrement dit, mettre fin à une politique agricole vorace en eau, axée sur une production intensive et peu durable.
Pour Akesbi, «l’on continue une politique agricole complètement contre-productive, et je dirais même masochiste. Parce qu’on développe des modèles agricoles ultra intensifs, productivistes et donc destructeurs de ressources, à commencer par l'eau. Nous sommes en train de subventionner avec des deniers publics, entre autres du matériel d’irrigation, pour permettre à quelques gros exploitants agricoles (les petits agriculteurs sont rarement concernés) de produire des denrées hydrovores, qui sont de surcroit destinées à l’export».
Ce modèle, axé sur une production à grande échelle destinée principalement à l'exportation, est non seulement insoutenable sur le plan environnemental, mais il contribue également à aggraver la crise hydrique en épuisant les ressources en eau disponibles. C’est pourquoi Akesbi préconise de réorienter les choix de production et leur localisation, en tenant compte d’objectifs plus larges de préservation des ressources naturelles et de promotion de la souveraineté alimentaire.
«Nous sommes arrivés à un stade où les choix de production, avec leur localisation, doivent être subordonnés à l'état des ressources, c'est-à-dire qu’on ne peut plus produire n’importe quoi, n’importe où», note-t-il. Mais repenser la politique agricole ne se limite pas à des ajustements techniques. Cela implique également un changement de paradigme plus profond, en adoptant notamment une stratégie intégrée de la gestion de l'eau et en mettant fin à une approche basée uniquement sur la maximisation des rendements et des profits, au détriment de la durabilité environnementale et de la sécurité alimentaire.