Après la mise en place du mécanisme de la retenue à la source de l’IR pour les professions libérales, l’harmonisation graduelle de l’IS à 20% pour toutes les entreprises dont le résultat est inférieur à 100 millions de Dirhams, revenons cette fois sur une autre pépite de la Loi de Finances 2023, qui concerne le statut d’auto-entrepreneur.
Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d’Arché Consulting
En effet, concernant les auto-entrepreneurs, la LF 2023 autorise désormais l’Etat à taxer à hauteur de 30% tous les revenus qui dépassent 80.000 DH, réalisés avec un seul et même client sur une année.
L’argument mis en avant est celui de la protection du salariat. Puisque, selon les dires du gouvernement, certains employeurs demandent à leurs recrues de passer au statut d’auto-entrepreneur afin de pouvoir les faire travailler comme des salariés, mais avec les charges patronales en moins, et afin d’avoir plus de facilité pour s’en séparer, sans que cela ne donne lieu à de quelconques indemnités.
L’argument est certes audible, mais depuis quand recourt-on à la punition collective de tout un régime fiscal, à cause de la mauvaise foi de quelques-uns ? C’est d’ailleurs l’argument avancé par Zakaria Fahim, le fondateur de l’Union des auto-entrepreneurs “Bidaya”, pour qui cette mesure est tout simplement illogique et contre-productive.
De même, le gouvernement ne semble pas avoir acté la rupture technologique qui s’est opérée ces 30 dernières années. Puisque la nature des nouveaux métiers en rapport avec le digital, l’infographie et d’autres dimensions relatives au monde du digital et de l’Internet, n’est pas compatible avec les régimes fiscaux actuels, qui sont de fait obsolètes et limitatifs.
Est-ce qu’un jeune, brillant et talentueux dans le domaine de la programmation par exemple, doit être obligé de créer une SARL avec toutes les charges que cela implique, pour pouvoir créer des sites web pour ses quelques clients ? Et ce qui est valable pour la création de sites web, l’est tout autant pour l’infographie, la photo professionnelle, la création de contenus sur les réseaux...
Ces jeunes ont vu tout naturellement dans le statut d’auto-entrepreneur une sorte de compromis pour pouvoir, tout en étant dans la légalité, laisser libre cours à leur créativité et pouvoir en vivre, en espérant un jour pouvoir fonder une SARL lorsque le développement de leur activité le permettra.
Ces jeunes, et ça l’actuel gouvernement ne veut pas peut-être le voir, n’ont pas besoin d’un local. Leurs locaux, c’est leur chambre, le café du coin, la bibliothèque de l’université, ou tout simplement un banc dans un parc public. Son vrai local, c’est avant tout sa matière grise et son laptop, ou tout autre appareil indispensable à son métier (appareil photo,...). Ils sont les artisans 2.0, les artisans d’un nouveau monde, en permanente mutation.
Maintenant, faisons un peu de fiction économique, pour saisir ne serait-ce que partiellement, l’inadéquation d’une telle mesure et les dégâts qu’elle peut occasionner pour nos jeunes talents en devenir.
Imaginons que Steve Jobs ou Bill Gates soient marocains et nés au Maroc.
A l’âge de 20 ans, notre Steve que l’on va appeler Said, pour des raisons de conformité culturelle, décide, fort de sa créativité et de son génie, de convertir le garage de son père en atelier pour nous bricoler une nouvelle technologie qui va révolutionner le monde dans 10 ou 20 ans.
Premier obstacle auquel Saïd va être confronté, c’est le Muqaddam qui va frapper à la porte pour lui dire : “Chrif, as-tu une autorisation ? C’est un garage ça, pas un atelier”.
Said étant honnête mais relativement pauvre, se dit : “je n’ai pas les moyens pour créer et entretenir une SARL, et en plus, la nature de mon activité ne réclame pas cela. Je vais donc déposer un dossier pour obtenir le statut d'auto-entrepreneur. Comme ça, je pourrais facturer mes prestations avec mon premier client, et pouvoir financer mes travaux de recherche et de développement de mon activité”.
Une semaine plus tard, Saïd est content. Il a enfin obtenu ce statut tant convoité. Mais en rentrant chez lui, il reçoit une notification sur son téléphone. Il clique, et là, il découvre que désormais, si le chiffre annuel réalisé avec le même client sur une année dépasse 80.000 DH, soit quelque 6.500 DH/mois en moyenne, le surplus sera taxé de 30%. Et il apprend aussi que cette mesure a été décidée pour son bien, pour préserver le salariat.
Notre cher Saïd est désormais confronté à un dilemme : violer la loi en négociant des paiements en cash, ce qui est contraire à ses principes, ou abandonner ses rêves et ses projets de génie car désormais non rentables, pour intégrer le salariat, puisque notre bienveillant gouvernement lui dit que c’est pour son bien.
Voilà comment par une logique comptable, totalement déconnectée de la réalité et des transformations majeures de l’économie moderne, le gouvernement en vient à mettre des obstacles infranchissables à nos jeunes talents, là où il devrait, au contraire, les soutenir par tous les moyens possibles.
Mon père Allah yrahmou me disait souvent, quand il me parlait des jeunes latents livrés à eux-mêmes au Maroc, que “Si Mozart était né au Maroc, il jouerait de la ta3rija dans les fêtes de mariage”.
Une réalité qui, malheureusement, ne risque pas de changer avec ce type de mesures. Ces dernières sont de nature à encourager la fuite des cerveaux vers des horizons où l’herbe fiscale et économique est plus verte, et à mettre des freins au désir de voir émerger au Maroc de futures startups innovantes et performantes.