Finances News Hebdo : Le 28 mai 2021, une convention de partenariat a été signée par l’Université Mohammed 1er d’Oujda et le collectif des Associations pour le développement de l’Oriental Europe dont vous êtes le président. Parlez-nous de ce partenariat qui a été vivement salué par Nezha El Ouafi, ministre déléguée chargée des Marocains résidant à l’étranger ?
Abdelkhalek Hassini : Ce partenariat audacieux et porteur d’espoir a été signé en visioconférence, depuis Paris, Oujda et Rabat par le CADOriental Europe et l’Université Mohammed 1er d’Oujda, le vendredi 28 mai 2021, en présence de plusieurs personnalités de plusieurs domaines. L’objectif est de mobiliser les Marocains du monde (MDM) et les impliquer dans les efforts de développement du pays, et aussi mettre à disposition de l’UMP Oujda le savoir-faire des MDM via un transfert de technologie et d’expertise dans divers domaines (aéronautique, recherche scientifique, formation, neurosciences, oncologie et maladies neurodégénératives, gériatrie, énergies renouvelables, écologie, promotion de genre…).
La signature de cette convention porte essentiellement sur un projet d’exception intitulé Elektropostal Afrique, qui s’avère révolutionnaire et prometteur. Il s’inscrit dans un projet global de développement du secteur de l’aérien dans la région de l’Oriental. Ce partenariat vise à consolider les liens entre les Marocains d’ici et d’ailleurs et dessine un projet ambitieux qui associe toutes les forces vives des 2 rives à participer pleinement dans le développement de la région de l’Oriental en particulier, et du Maroc en général. Cette convention souligne un fort engagement et une ferme volonté pour la contribution au développement de la nation, en particulier dans le contexte actuel de la mise en œuvre du nouveau modèle de développement (2035) et du Schéma régional de l’aménagement du territoire (2045).
F.N.H. : Quel peut être l'apport des Marocains du monde dans le nouveau modèle de développement ?
A. H. : Le nouveau modèle de développement (NMD) accentue la place de choix des MDM, qui constituent une force et un atout précieux dans le processus de développement du pays. D’où la nécessité de les impliquer directement dans la stratégie de développement du Maroc. La diaspora représente environ 15% de la population marocaine (plus de 5 millions). C’est dire que la migration des Marocains, parmi la population migrante à l’échelle internationale, est surreprésentée. Elle représente à peu près 2,5% de la population migrante mondiale, alors que la population marocaine ne représente que 0,5% de la population mondiale. C’est un immense potentiel et une grande richesse pour le Maroc qu’il faut capitaliser en créant des passerelles qui lui permettent d’être un acteur clé du changement et un levier essentiel pour l’amorçage du modèle et pour sa mise en œuvre. Ce capital humain est un impératif et demeure une force vive qu’il faut valoriser et mieux préparer pour propulser le Maroc dans la voie du développement et du progrès grâce à l'économie du savoir et de la connaissance. Les Marocains du monde constituent un gisement immense de compétences.
Cette diaspora, passerelle entre le pays d’origine et celui d’accueil, contribue certes au rayonnement et à l’émergence du Maroc. Mais elle a des demandes qui lui sont spécifiques; d’où l’intérêt de l’écouter, de recueillir sa vision et de solliciter son point de vue pour pouvoir co-construire et contribuer directement à l’élaboration de ce nouveau modèle de développement auquel aspire le Royaume. Le Maroc avance et il avancerait encore mieux en impliquant davantage tous les Marocains là où ils sont. L’ambition reste très forte : le nouveau modèle de développement se veut un projet fédérateur qui permettrait, justement, d’avoir cette plaque tournante et qui porterait notre ambition plus loin pour un Maroc de demain, «un Maroc des compétences, prospère, inclusif et audacieux». Je suis persuadé que chacun, de par sa condition, peut contribuer à l’essor du Maroc en gardant le transfert de cette dynamique active, que ça soit en termes de réseautage ou de portage de projets ou de contribution.
F.N.H. : Quelle est la place de la culture dans le NMD et comment les Marocains du monde peuventils apporter leur contribution personnelle ?
A. H. : Le Maroc se distingue par une diversité et une pluralité culturelle unique au monde. La culture marocaine, riche de sa diversité et de son patrimoine tant matériel qu’immatériel, doit être un levier de développement et de croissance économique. Cette culture doit passer essentiellement par l’éducation, et ce dès l’enfance. L’éducation comme un investissement et non plus comme une forme de consommation. Il faut une culture pour tous, largement diffusée, pas seulement réservée à l’élite. Une culture sur tous les lieux et avec l’utilisation du numérique pour toucher les lieux les plus reculés. L’homme a besoin de la culture, elle lui permet de s'élever au-dessus de lui-même. De ce fait, il est essentiel de construire les humains pour mieux participer au développement du pays. L’économie du savoir s’impose au monde entier et le Maroc doit mettre le capital humain au centre de ses priorités, élaborer et mettre effectivement en œuvre leur stratégie pour atteindre ses objectifs de développement des ressources humaines.
A ce titre, les Marocains du monde, en tant que connecteurs du Maroc dans les pays d’accueil, constituent une grande chance à saisir pour le rayonnement international du Maroc à travers le monde pour la diffusion, à l’étranger, de la culture marocaine. Il faut donc consolider et renforcer davantage les liens culturels avec la communauté marocaine à l’étranger à travers une mise à disposition de tous les outils leur permettant de mieux connaître le patrimoine culturel diversifié de leur pays d’origine. Cette richesse doit être davantage mise en valeur pour promouvoir la diplomatie culturelle marocaine. Dans ce cadre, les MDM participent activement au rayonnement culturel du Maroc à l’étranger et au renforcement des liens culturels avec le Maroc et en s’ouvrant sur les cultures du monde. On voit que la politique culturelle actuelle est souvent limitée à certaines composantes, notamment au capital immatériel comme la gastronomie, le folklore, la musique. Il serait plus intéressant de développer une offre qui réponde aux Marocains du monde, dans leur diversité et complexité, et essayer d’exploiter les nouvelles technologies et avancées digitales pour une meilleure transmission de valeurs culturelles.
Les MDM jouent un rôle essentiel dans la diplomatie culturelle et participent activement au rayonnement culturel du Maroc à l’étranger en s’ouvrant sur les cultures du monde. La culture, c’est quelque chose de fondamental, c’est l’ADN de la nation et le Maroc a la possibilité de rester dans cette posture privilégiée grâce à sa richesse culturelle, à son histoire millénaire et aux qualités de ses hommes et de ses femmes qui sont là, sans doute, pour participer d’une manière inconditionnelle à l’élaboration de ce nouveau modèle de développement.
F.N.H. : La société civile des MDM est très active dans plusieurs domaines. Comment la diaspora marocaine peut-elle participer au rayonnement du pays dans le cadre du nouveau modèle de développement ?
A. H. : Effectivement, le Maroc dispose d’une société civile à l’étranger active et dynamique dont les compétences doivent être consolidées, reconnues et mieux accompagnées. Pour favoriser la mise en œuvre de ce NMD, il faut être à l’écoute à la fois de cette société civile et lui donner du pouvoir et la possibilité de pouvoir se réaliser et aussi expérimenter. La société civile des MDM est devenue aujourd’hui un acteur incontournable dans le développement du Maroc et de son rayonnement à l’étranger. Elle représente un potentiel important qu’il faut mobiliser pour le développement du pays, tous secteurs confondus. Une société civile qui se procure, elle-même, les moyens d’agir sur les deux rives parce qu’elle se sent concernée et essaie de créer des formes de solidarité et de développement de son pays d’origine. La société civile des MDM est susceptible d’agir en tant qu’acteur du changement, y compris sur les aspects sociaux, politiques et environnementaux.
Sur la base de ces constats, plusieurs pistes stratégiques peuvent être tracées pour recentrer l’apport de cette société civile de la diaspora sur le développement et les dynamiques internes des sociétés d’origine. La réalité sur le terrain montre les réelles capacités des associations de la société civile marocaine à l’étranger qui leur permettent de jouer pleinement leur rôle dans la mise en œuvre de l’Initiative nationale de développement humain (INDH). L’objectif central est de mieux identifier les besoins et les potentialités de la société civile des MDM pour cibler plus efficacement la politique des actions politiques publiques dans les pays d'origine et de destination, et ce autour de trois axes qui consistent à mieux accompagner les associations MDM, soutenir leurs initiatives et impliquer plus largement les collectivités locales et la gouvernance des MRE.
F.N.H. : Le fonds MDM Invest a pour finalité de promouvoir les investissements des MDM. En tenant compte de la 1ère édition des «Invest days» qui s’est déroulée à Dakhla le 9 juillet 2021, quelle lecture faites-vous de ce fonds ?
A. H. : A l’heure de la crise économique, suite à la situation pandémique, le Maroc souhaite s’appuyer davantage sur les MDM dans le processus de relance économique du Maroc. Cette 1ère édition des «Invest days», qui s’est déroulée à Dakhla le 9 juillet 2021, cherche à attirer les investissements au profit des entreprises marocaines et inciter les MDM à s’impliquer directement dans la stratégie de développement du Maroc. Les MDM présentent un fort potentiel de développement socioéconomique pour le Maroc. Certainement, c’est judicieux de capitaliser sur le savoir-faire des MDM pour assurer une relance économique, mais avant cela, il faudra restaurer ce pacte de confiance fragile entre décideurs politiques et économiques face à ces compétences découragées. Il faudra d’abord les rassurer et sécuriser leurs projets d’investissement. On ne peut pas les mobiliser sans leur redonner confiance.
F.N.H. : Le fonds MDM Invest est une opportunité pour les futurs investisseurs MRE. Est-ce suffisant ou faut-il réfléchir à une stratégie nationale globale et ciblée en faveur des MDM ?
A. H. : Tout d’abord, les MDM sont toujours prêts à partager leur expertise, leur expérience et leur savoir-faire au bénéfice du développement de leur pays. Je pense qu’il faudra réfléchir à une stratégie nationale globale et ciblée en faveur des MDM, car il y a un réel potentiel scientifique et novateur inexploité de cette communauté qu’il faudra valoriser, à juste titre, et encourager activement à créer des projets au Maroc via une politique globale qui les rassure et garantit leur investissement. Il faudra des partenariats gagnant-gagnant entre les acteurs économiques, les universités et les instituts de recherche et de formation au Maroc et la diaspora marocaine également. Avec les transferts d’argent qu’ils effectuent vers le Maroc, ils représentent une manne financière stratégique qui pèse environ 7% du PIB. Il faut ainsi mettre en avant le rôle capital de cette communauté dans le développement économique du Maroc.
Néanmoins, il faut rompre avec cette logique de transaction qui «place les MDM dans une position de pourvoyeur de devises, et opter pour une approche gagnant-gagnant ». Le plus gros problème, à mon sens, qui décourage les MDM à investir massivement, est le manque de confiance et aussi le manque d’éducation financière. Il faut dire aussi que «les règles du jeu n’inspirent pas confiance auprès des épargnants marocains». Le défi est que ces flux financiers des MDM se transforment en investissements pour créer de la valeur ajoutée et de l’emploi. Il faut une réelle prise en considération des attentes et des besoins des MDM, avec une approche multidimensionnelle vis-à-vis de cette frange de la population, qui intègre les questions d’investissement, de développement territorial et économique, les expertises, les partenariats, etc.
F.N.H. : La mobilisation des compétences des MDM est plus que jamais à l’ordre du jour. Comment peut-on intensifier leur contribution aux différents chantiers de développement initiés par le Roi Mohammed VI ?
A. H. : Force est de constater que la diaspora marocaine, grandissante, hétérogène et dynamique représente une ressource majeure pour l’économie marocaine. Ces Marocains du monde font partie intégrante de la société marocaine et sont des citoyens à part entière très attachés à leur mère patrie, à sa culture, à sa civilisation et prêts à amplifier leur apport aux différents chantiers de développement initiés par le Roi Mohammed VI. Mobiliser les compétences et les talents de ces personnes pour le développement de leur pays d’origine suppose de mieux les connaître et de mieux cerner leurs aspirations, leurs besoins et leurs attentes. Il faut les soutenir et essayer de trouver des solutions réalistes et réalisables aux problèmes qu’ils rencontrent dans les deux rives. Ainsi, dans un monde de mondialisation, de plus en plus concurrentiel, repenser l’intégration des MDM dans le développement du Maroc est un enjeu essentiel pour l’avenir de notre pays. Reste à capitaliser et à gratifier les compétences des MDM, en particulier celles des nouvelles générations, pour le développement et le rayonnement du Maroc.
Le rapport de la CSMD souligne que «malgré l’existence des dispositifs institutionnels dédiés aux MDM, on assiste actuellement à une gouvernance éclatée qui ne favorise pas forcément la conjonction des efforts. Les politiques publiques dédiées aux MDM ne sont pas toujours efficaces, car elles sont peu structurées et limitées». Il faut composer avec les MDM dans leur diversité et dans leur pluralité en mettant en œuvre une stratégie adaptée à leur réalité. C’est un élément crucial pour l’optimisation et pour le succès des politiques qui leur sont dédiées. De ce fait, les MDM peuvent jouer un rôle capital dans la construction d’un Maroc de demain avec un nouveau modèle de développement. Les contributions des compétences marocaines du monde à ce beau projet fédérateur est une valeur ajoutée indéniable de par leur haute qualification, leur expertise dans des domaines divers et leurs expériences dans la conception et la gestion des politiques publiques à différents niveaux. Pour conclure, il serait important que les Marocains d’ici et d’ailleurs s’approprient ce nouveau modèle de développement et s’impliquent entièrement à sa mise en œuvre. 2035, c’est demain !