Le président de la Fenagri, Abdelmounim El Eulj, met la lumière sur les défis à relever et les opportunités à saisir pour promouvoir les produits agroalimentaires marocains sur la scène internationale. Il nous livre également sa vision sur le développement du «Made in Morocco» dans l’industrie agroalimentaire.
Finances News Hebdo : Tout d’abord, quelle appréciation faites-vous du Made in Morocco dans le secteur agroalimentaire ?
Abdelmounim El Eulj : L’industrie agroalimentaire marocaine est un secteur stratégique pour notre pays. D’ailleurs, la conjoncture mondiale et nationale actuelle montre à quel point la souveraineté alimentaire est d’une importance majeure pour nos concitoyens. Le développement d’une industrie agroalimentaire compétitive représente un enjeu majeur et un potentiel de croissance économique indéniable. Le nouveau modèle de développement place notre industrie agroalimentaire au cœur du développement socioéconomique de notre pays. Il fait du Made in Maroc un marqueur de qualité, de compétitivité et de durabilité et un levier substantiel d’approfondissement de nos partenariats internationaux, de positionnement stratégique à l’échelle régionale et internationale et de consolidation de la place et du rôle joué par le Maroc à l’échelle internationale. Nous sommes convaincus que la mise en place d’une nouvelle feuille de route pour le développement des industries agroalimentaires donnera davantage de visibilité aux opérateurs et aux investisseurs pour aller de l’avant dans le développement de cette industrie, sachant que le contrat-programme actuel est achevé. Notre ambition est que cette nouvelle feuille de route mette davantage en avant des mesures appropriées liées notamment au renforcement de la notoriété du «Made in Maroc» au niveau du marché local et à l’export. Et ce, afin de favoriser le meilleur ancrage de nos produits agroalimentaires qui sont confrontés à une forte concurrence sur le marché local et à l’export.
F. N. H. : Au niveau de la Fédération, comment encouragez-vous la production et la promotion des produits agroalimentaires marocains ?
A. E. E. : Il est à rappeler que la Fédération nationale de l’agroalimentaire «Fenagri» est le premier réseau d’entrepreneurs agroalimentaires du Maroc et représente l’industrie agroalimentaire marocaine. De ce fait, elle se penche sur les thématiques transverses à travers 6 commissions permanentes réunissant des professionnels et travaillant sur les intérêts identifiés comme prioritaires pour l’amélioration de l’environnement de cette industrie. Il s’agit notamment de la formation, de l’intégration amont-aval, de la promotion à l’export, de la dimension du développement durable et de la saine alimentation, etc. Conscient de l’importance de cette industrie, la profession et l’Administration ont convenu de doter les industries agroalimentaires d’une vision stratégique traduisant la convergence de la stratégie agricole du «Plan Maroc Vert» et celle industrielle du «Plan d’accélération industrielle», matérialisée par la mise en œuvre du contrat-programme pour le développement de cette industrie pour la période 2017-2021 (CP-IAA). Depuis l’entrée en vigueur du CP-IAA, les industries agroalimentaires ont connu une bonne dynamique d’investissement et de création d’emplois, matérialisée par la réalisation de plusieurs projets d’investissement couvrant la majorité des filières de production et des régions de notre pays.
F. N. H. : Vous avez réalisé une étude sur le développement du sourcing local. Quels en sont les principaux enseignements ?
A. E. E. : Les industries agroalimentaires (IAA) disposent de tous les atouts afin de répondre aux enjeux liés à la souveraineté alimentaire nationale, à travers notamment le renforcement de son intégration pour améliorer sa compétitivité et accroitre sa contribution dans la valeur ajoutée de l’économie marocaine. Et ce, dans un contexte marqué par une intégration modérée de ce secteur. Dans ce cadre, la Fenagri a réalisé une étude sur les opportunités de sourcing local des intrants manufacturés, qui a révélé que les IAA utilisent annuellement l’équivalent de 10 milliards de DH d’intrants manufacturés importés. Cela constitue un gisement d’opportunités de substitution de ces importations ou du moins une partie sous forme de nouveaux projets d’investissement au niveau local, ce qui est de nature à renforcer l’intégration locale de ce secteur et également sa compétitivité, sans l’oublier l’impact sur la création d’emplois. Selon cette étude, ces projets d’investissement à déployer au niveau local totaliseraient un montant d’investissement prévisionnel de 680 millions DH et permettraient la création, à terme, de plus de 7.000 emplois directs.
F. N. H. : Pour renforcer l’intégration locale, 4 conventions ont été signées en juin 2022 entre le ministère de l’Industrie et plusieurs fédérations professionnelles du secteur. Cela est-il suffisant pour un secteur qui génère plus de 26% du PIB industriel ?
A. E. E. : Dans le cadre du déploiement des conclusions de l’étude susmentionnée sur le sourcing local et afin de créer des synergies et des partenariats win-win avec les autres écosystèmes industriels (industrie chimique, industrie des emballages, industrie mécanique et métallurgiques, etc.), il a été procédé à la signature de conventions de partenariat entre le ministère de l’Industrie et du Commerce et la profession concernée de l’écosystème alimentaire national. Ces conventions de partenariat, qui ont été signées le 20 juin 2022 lors d’une cérémonie présidée par le ministre de l’Industrie et du Commerce, constituent une première ayant réuni l’ensemble des acteurs professionnels de l’écosystème de l’industrie alimentaire. Actuellement, les pouvoirs publics et la profession se penchent sur le suivi de l’exécution de ces conventions afin de concrétiser les projets d’investissement identifiés. Le nouveau contrat programme des industries agroalimentaires à l’horizon 2030 va donner une grande priorité aux filières d’intrants manufacturés.
F. N. H. : Dans ce secteur stratégique, le taux d’intégration se situe aujourd’hui entre 15 et 20% en moyenne. Quelles sont les actions à entreprendre pour atteindre les 70% espérés à horizon 2030 ?
A. E. E. : L’industrie agroalimentaire dispose d’un potentiel de croissance important sur le marché local et à l’export : • Le PIB agricole représente entre 12% et 14% du PIB national, alors que le PIB des IAA ne représente que 5% du PIB national : dans les pays industrialisés, le PIB agricole et le PIB des IAA sont à des niveaux similaires; • La consommation des produits transformés reste faible comparée à celle de nos pays voisins; • En matière d’export, nos exportations ne représentent que 15% des exportations industrielles. Les principales filières agroalimentaires exportatrices sont la transformation des fruits & légumes, les pâtes & couscous, les viandes rouges et blanches, les huiles d’olive, les biscuiteries, chocolateries et confiseries, et le lait & ses dérivés. Les performances d’exportation diffèrent d’une filière à l’autre. Cela est dû à plusieurs facteurs, dont essentiellement le degré d’intégration et d’organisation de la chaîne de valeurs de chacune de ces filières.
La nouvelle stratégie «Génération Green» ambitionne de porter ce taux de transformation à 70% à l’horizon 2030. Le tissu industriel actuel dispose de la capacité requise afin d’atteindre ce taux, sans oublier les mesures importantes mises en place concernant la promotion de l’investissement dans le cadre du Fonds de développement agricole et du Fonds de développement industriel et des investissements. Cela permettra la mise en place de nouvelles unités industrielles et l’extension de celles existantes. Toutefois, l’atteinte de ces objectifs de transformation suppose la satisfaction de certains préalables, dont notamment : • L’amélioration de l’offre et de la qualité des produits agricoles destinés à la transformation; • L’amélioration et l’organisation des circuits de commercialisation; • Le développement de l’agrégation agricole; • Le renforcement de l’accompagnement de l’Etat des industriels exportateurs dans la consolidation des marchés historiques et la prospection de nouveaux marchés internationaux; • Le lancement de campagnes de communication d’envergure pour sensibiliser le consommateur local de l’intérêt de consommer le produit transformé local.
F. N. H. : Selon vous, quels sont les défis et les opportunités actuels pour le développement et la promotion du «Made in Morocco» dans votre secteur ? Et quel rôle vous y jouez ?
A. E. E. : La conjoncture actuelle a ouvert l’opportunité à l’industrie agroalimentaire marocaine de se repositionner en allant vers le renforcement de l’intégration locale. Il s’agit de mettre en place une banque de projets d’investissement de substitution des importations des produits manufacturés par de la production locale dans le but de renforcer notre souveraineté industrielle. Le recours à la production locale est la priorité des industriels agroalimentaires. Toutefois, il serait nécessaire de garantir la quantité et la qualité requise du produit agricole concerné, moyennant une bonne intégration tout au long de la chaîne des valeurs de chacune des filières de production. L’amélioration de l’organisation des filières de production est le mot clé de la réussite cette intégration.
F. N. H. : Quels sont les projets futurs de la Fenagri pour renforcer l’impact du «Made in Morocco» et promouvoir davantage le sourcing local ?
A. E. E. : La Fenagri se penche actuellement sur la finalisation de la mise en place du nouveau contrat-programme 2024-2030, qui constituera la nouvelle feuille de route de développement des IAA. Le contexte actuel, marqué par la flambée des cours de l’énergie et des matières premières, l’inflation, un contexte géopolitique mondial tendu et tourmenté, ainsi que les conditions climatiques difficiles ayant caractérisé les dernières campagnes agricoles, milite pour la mise en œuvre de cette nouvelle vision de développement axée principalement sur : • L’amélioration de son intégration et sa compétitivité; • La garantie de la souveraineté nationale en priorisant les filières; • L’adaptation aux nouvelles tendances internationales et à la réglementation; • Le renforcement de la considération des leviers horizontaux liés à la digitalisation, le développement durable, la logistique, la formation, la recherche & développement et l’innovation, etc
Chiffres clés des IAA (hors TPM)