Sadiki: «Le développement de l’aval des filières agricoles demeure une priorité de Generation Green»

Sadiki: «Le développement de l’aval des filières agricoles demeure une priorité de Generation Green»

Dans l’interview qui suit, Mohamed Sadiki, ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, apporte un éclairage sur plusieurs problématiques, notamment les effets de la sécheresse, la guerre en Ukraine, le stress hydrique, les contraintes liées à la commercialisation des produits agricoles...

 

 

Finances News Hebdo : Le secteur agricole est impacté par la sécheresse et aussi la guerre en Ukraine. Quelles sont les marges de manœuvre de votre département pour en atténuer les effets ? 

Mohamed Sadiki : La problématique du changement climatique est l’un des défis les plus importants auxquels le Maroc, situé dans une localité géographique parmi les plus exposées, est confronté. Ses impacts négatifs sur les ressources en eau, particulièrement ressentis durant ces dernières années, sont caractérisés par des épisodes de sécheresse récurrentes. Pour faire face à cette problématique, les mesures déployées par le département de l’agriculture sont de deux catégories; celles entreprises pour gérer la conjoncture de la campagne en cours et celles structurantes d’ordre stratégique, notamment :

• L’adoption du Programme national d’économie de l’eau d’irrigation, qui a permis à aujourd’hui d’équiper près de 750.000 ha en irrigation localisée économe en eau; le programme d’extension de l’irrigation à l’aval des barrages et les projets de partenariat public-privé, notamment les projets de dessalement de l’eau de mer, combinés pour certains projets avec l’utilisation des énergies renouvelables, notamment l’éolien (projet de Dakhla);

• Ces programmes ont permis d’économiser et de valoriser l’équivalent de plus de 2 milliards de m3 d’eau d’irrigation par an;

• L’adoption du programme d’assurance multirisque climatique des céréales, légumineuses, oléagineux et d’arboriculture fruitière. Ce programme a permis de couvrir plus d’un million d’ha par an de céréales, de légumineuses et des oléagineux contre les risques climatiques;

• La reconversion des cultures vulnérables aux cultures à forte adaptabilité au manque de ressources en eau, telles que les oliviers, les palmiers, les arganiers, les amandiers, les figuiers, les caroubiers, câpriers…;

• Le développement et l’utilisation des variétés végétales génétiquement améliorées pour faire face à la sécheresse et à la rareté des ressources en eau, notamment pour les céréales et les légumineuses;

• La valorisation des résultats de la recherche agronomique à travers la réalisation de cartes des qualifications des terres agricoles, de la fertilité des sols, de la conservation et de la valorisation des ressources phyto génétiques, de la gestion et de la conservation des eaux et des sols...;

• L’encouragement de pratiques d’adaptation au déficit hydrique, notamment la technologie du semis direct et l’irrigation d’appoint;

• L’octroi des incitations aux agriculteurs dans le cadre du Fonds de développement agricole afin de faciliter l’accès aux technologies d’adaptation aux changements climatiques.

Il est à noter qu’au cours de cette année, la saison agricole est marquée par une baisse importante des précipitations, puisque la moyenne nationale des précipitations a atteint 160 mm jusqu’à fin mars, enregistrant un déficit de 40% par rapport à une saison normale. Cette situation climatique et hydrique a affecté négativement le déroulement de la saison agricole, notamment les cultures d’automne et la mise à disposition de pâturages pour le bétail. Dans ce contexte, et en application des hautes instructions royales, le gouvernement a mis en place un programme exceptionnel pour atténuer les effets du retard des pluies, réduire l’impact sur l’activité agricole et apporter un soutien aux agriculteurs et éleveurs concernés. Ce programme, qui a nécessité la mobilisation d’une enveloppe financière totale de dix milliards de dirhams, repose sur trois axes principaux :

• Le premier axe porte sur la protection du cheptel animal et végétal et la gestion de la rareté de l’eau, avec une enveloppe financière de trois milliards de dirhams. Selon ce programme exceptionnel, 7 millions de quintaux d’orge subventionnés seront distribués aux éleveurs et 400.000 tonnes d’aliments composés aux éleveurs de bovins laitiers, et pour vacciner et traiter 27 millions de têtes de moutons et de chèvres, 200.000 têtes de camelins et le traitement des abeilles. Cet axe comprend également la sécurisation de l’approvisionnement en bétail à travers l’aménagement et l’équipement de points d’eau, l’acquisition de citernes au profit des éleveurs et l’aménagement des pâturages. Concernant la protection du patrimoine végétal et la gestion de la rareté de l’eau, il s’agit de l’aménagement et de la réhabilitation de petites et moyennes installations hydrauliques, ainsi qu’une irrigation d’appoint pour pérenniser les vergers plantés dans le cadre de l’agriculture solidaire;

• Le deuxième axe vise l’assurance agricole en mobilisant un milliard de dirhams de la couverture totale au profit des zones affectées des céréales et légumineuses;

• Le troisième axe vise à financer l’endettement en allégeant les charges financières des agriculteurs et des professionnels, en attribuant six milliards de dirhams du total des liquidités financières allouées au financement du programme. Pour la déclinaison de ce programme, le ministère a mis en place une gouvernance dédiée aux niveaux central, régional et local pour l’exécution et le suivi des actions, et adopté plusieurs mesures et procédures d’organisation pour accélérer les processus d’approvisionnement du marché, contrôler les processus de distribution à travers les guichets agréés et pour le transport vers les centres des collectivités territoriales. Concernant les zones sinistrées dans lesquelles les cultures céréalières sont assujetties à l’assurance, il convient de noter qu’avec la Mutuelle agricole marocaine d’assurance (MAMDA), l’opération d’indemnisation des terres endommagées déclarées sinistrées a démarré la première semaine d’avril. Par ailleurs, et dans le cadre de la stratégie Generation Green, plusieurs mesures sont prévues pour améliorer la résilience du secteur agricole à la sécheresse et assurer une agriculture durable, et ce à travers :

• La poursuite des programmes de gestion et de maîtrise de l’eau d’irrigation, tout en s’alignant au «Programme national d’approvisionnement en eau potable et en eau d’Irrigation 2020-2027», notamment les programmes d’économie de l’eau, de modernisation et de réhabilitation des réseaux d’irrigation et de partenariat public-privé, notamment les projets de dessalement de l’eau de mer. Ces programmes d’irrigation, prévus dans le cadre du programme prioritaire, portent sur près de 510.000 ha additionnels au profit de 160.000 agriculteurs pour un objectif de dédoublement de l’efficacité hydrique.

• La poursuite des programmes de plantation par des espèces plus résistantes à la sècheresse, ce qui permettra d’améliorer le potentiel de séquestration du carbone par le secteur agricole; • Le développement de l’agriculture biologique, des produits de terroir et de l’agriculture de conservation;

• La transition énergétique vers le renouvelable par l’encouragement de l’utilisation des énergies renouvelables en irrigation, notamment l’énergie solaire pour couvrir près de 20% de la superficie irriguée en 2030;

• La diffusion des techniques de conservation des sols;

• La poursuite de la levée des fonds climatiques auprès des bailleurs de fonds climat, notamment à travers l’accès direct de l’ADA aux ressources financières du Fonds vert pour le climat et du Fonds d’adaptation;

• La poursuite du programme d’assurance agricole;

• L’adoption et la diffusion de la Green Tech et le développement de la digitalisation agricole. Concernant le conflit de la Russie et l’Ukraine, bien que les deux pays ne soient pas de grands fournisseurs du Maroc pour le blé tendre et l’huile alimentaire (l’Ukraine est le 4ème fournisseur de céréales au Maroc et la Russie le 7ème fournisseur), plusieurs éléments ont contribué à l’augmentation de la facture de l’approvisionnement du Maroc pour ces denrées de base, largement exportées par les pays en conflit.

Pour mieux cerner l’impact de cette guerre sur le Maroc, une analyse sommaire des échanges avec ces deux pays s’impose. Ainsi, le Maroc importe de la Russie pour 1,3 milliard de DH, essentiellement du blé tendre (3,3 millions de quintaux en moyenne/712 millions de DH), de l’alimentation animale (pulpe de betterave/380 millions de DH) et des oléagineux (98 millions de DH/ huile brute de tournesol et du soja). A partir de l’Ukraine, le Maroc importe presque 3,5 milliards de DH de produits agricoles, essentiellement des céréales (blé tendre, maïs et orge/12 millions de quintaux). Les tourteaux de tournesol représentent 17% des importations de ce pays, soit 587 millions de DH. En termes d’exportation agricole, le marché russe est relativement important pour le Maroc, les exportations marocaines se chiffrant en moyenne (2018-2020) à presque 2,13 milliards de DH. 61% de ces exportations sont des agrumes, soit 1,3 milliard de DH, alors que les tomates représentent 33%, soit 700 millions de DH. Ces exportations sont menacées pour les prochaines campagnes étant donné les sanctions internationales sur la Russie.

S’agissant de l’Ukraine, les exportations du Maroc sont très faibles, de l’ordre de 9 millions de DH. Tenant compte de ces éléments, on peut dire qu’en dépit de la situation internationale compliquée (crise sanitaire, économique et politique), le Maroc, à travers ses stratégies agricoles et à travers sa politique commerciale agricole qui prône la diversification des fournisseurs et clients, est mieux armé pour faire face à cette situation. Dans un souci de sauvegarde du pouvoir d’achat des consommateurs, le gouvernement a pris des mesures fiscales et de subvention à l’importation des blés pour maintenir les prix à leur niveau habituel. Dans ce cadre, il a été procédé, en plus de la suspension des droits de douane sur le blé tendre et le blé dur (depuis novembre 2021), à la mise en place d’une prime forfaitaire appliquée au blé tendre panifiable au profit des importateurs afin de préserver le prix du blé tendre et dérivés à leur niveau normal, et maintenir ainsi le prix de la farine et du pain sans changement et à ses niveaux d’avant crise.

 

F. N. H. : Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a relevé dernièrement que la flambée des prix des produits agricoles est due en grande partie à la présence d’intermédiaires à plusieurs niveaux. Quelles sont les mesures envisagées par votre Département pour remédier à ce dysfonctionnement ?

M. S. : Depuis plusieurs années, notre pays a lancé différents grands chantiers, programmes et plans pour améliorer les conditions de commercialisation des produits agricoles, mais qui restent entravés par plusieurs contraintes, dont notamment l’intervention excessive des intermédiaires. En effet, comme le relève le CESE (Conseil économique, social et environnemental), les intermédiaires constituent un maillon non négligeable de la chaîne de valeur, mais insaisissable et informel : des collecteurs, des courtiers, des ramasseurs, des organismes de stockage frigorifiques, des détaillants, des semi- grossistes..., qui certes facilitent l’écoulement de la production des petits agriculteurs et producteurs, mais, en revanche, ils renchérissent le prix de vente final aux consommateurs et perturbent le fonctionnement des chaînes de valeur.

Dans ce contexte, et compte tenu de la nécessité d’améliorer les circuits et les conditions de commercialisation, notamment des fruits et légumes en gros et des produits agricoles et agroalimentaires, une réduction du recours aux circuits parallèles ou informels, une limitation du nombre d’intermédiaires, une meilleure transparence des transactions et des prix mieux maîtrisés, une promotion des liens directs entre producteurs et acheteurs et une qualité préservée des produits s’imposent. Et dans un objectif de poursuivre les efforts entrepris par le Plan Maroc Vert, notamment en matière d’amélioration des conditions de valorisation et de commercialisation des produits agricoles et agroalimentaires et d’intégration des filières de l’amont à l’aval, la nouvelle stratégie de développement du secteur agricole «Generation Green 2020-2030», lancée en février 2020 par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Que Dieu Le glorifie, prévoit dans son second fondement la modernisation des circuits de commercialisation et de distribution des produits agricoles et l’amélioration des conditions de mise sur le marché. Et ce, à travers la réforme et la modernisation des marchés de gros des fruits & légumes, la mise en place d’une centaine de marchés hebdomadaires ruraux, ainsi que le renforcement des canaux de distribution et des plateformes de stockage.

Ainsi, et face aux dysfonctionnements qui entravent l’efficacité du réseau des marchés de gros des fruits et légumes au Maroc (infrastructures rudimentaires, conditions de salubrité et d’hygiène inadaptée, couverture non optimale du territoire, multiplicité des intervenants…), un schéma de réforme ambitieux a été préconisé. Il prévoit la mise en place de marchés de gros de fruits et légumes de nouvelle génération, avec des infrastructures modernisées et disposant de plateformes multi-produits (fruits et légumes, produits carnés, autres produits alimentaires) et multi-activités. Cela induit un nouveau mode de gouvernance associant les Collectivités territoriales à des opérateurs publics/privés, à travers la création d’une Société de développement local (SDL) et un système de rémunération basé sur l’abandon de la taxe sur le chiffre d’affaires et sa substitution par d’autres sources de revenus déconnectées des ventes (droits de 1ère occupation, loyers et péages à l’entrée). La mise en place de ces projets de nouvelle génération va permettre de :

• Renforcer l’attractivité des marchés de gros;

• Optimiser les circuits de vente en gros au niveau national;

• Créer une offre alternative efficace permettant de réduire les pratiques informelles;

• Améliorer la chaîne de valeur depuis le producteur jusqu’au consommateur final.

Ainsi, afin de réussir l’implémentation de ce schéma, les départements concernés (Agriculture, Industrie, Intérieur) ont opté pour la réalisation de projets pilotes, et ce en concertation avec les collectivités territoriales concernées. Le premier marché de gros (MDG) nouvelle génération à réaliser est celui de Rabat, qui est actuellement en cours de construction et ouvrira en 2023. Quatre autres MDG de nouvelle génération seront réalisés à l’horizon 2025. Il s’agit des marchés de gros de Meknès, Berkane, Marrakech et Agadir. En parallèle, le ministère de l’Agriculture a mis en place la loi 37-21 édictant des mesures particulières relatives à la commercialisation directe des fruits et légumes produits dans le cadre de l’agrégation agricole, publié au Bulletin officiel du 29 juillet 2021. Cette loi permettra aux agrégateurs des filières des fruits et légumes de commercialiser directement leurs productions sans l’obligation de passage par les marchés de gros. Ce nouveau cadre juridique permettra de créer davantage de facteurs de réussite de l’agrégation agricole à travers l’optimisation des liens entre l’amont productif et le marché. Il permettra également d’optimiser les coûts logistiques entre la production et le marché, réduire l’intervention des intermédiaires, moderniser les circuits de distribution des fruits et légumes, offrir des produits de bonne qualité aux consommateurs et d’améliorer et sécuriser les revenus des agriculteurs. Concernant les filières animales, Generation Green prévoit l’organisation des circuits de commercialisation à travers la réforme et la modernisation des abattoirs et le renforcement des contrôles et de la traçabilité. Enfin, le mode de gouvernance des marchés de gros et des abattoirs doit être complètement revu pour le professionnaliser.

 

F. N. H. : L’agrégation a montré sa pertinence en assurant une bonne intégration entre l’amont et l’aval agricole. Quels sont les volets sur lesquels il faut capitaliser pour consolider ce système ?

M. S. : Les opérateurs de l’aval agricole et agro-industriel sont souvent confrontés à l’irrégularité d’approvisionnement en matières premières tant sur le plan quantitatif que qualitatif; une situation due principalement au manque d’intégration entre l’amont et l’aval agricole. Aussi, depuis le lancement du Plan Maroc Vert et dans le cadre de la nouvelle stratégie Generation Green 2020- 2030, l’agrégation agricole est la solution de choix pour contourner cette problématique et permettre aux agrégateurs et aux agrégés de bénéficier des avantages multiples de ce mode d’organisation, notamment la sécurisation de l’approvisionnement des unités de valorisation pour les agrégateurs et l’amélioration des rendements et de la qualité de la production ainsi que l’accès aux financements pour les agrégés, tout en limitant l’intervention des intermédiaires. Il faut aussi rappeler que cette forme d’organisation repose sur un partenariat gagnant-gagnant entre l’amont productif et l’aval commercial et industriel et ce, sur la base de contrats définissant clairement les engagements des deux parties dans le cadre de projets d’agrégation agricole bien identifiés. En effet, l’Etat a veillé, depuis le lancement du Plan Maroc Vert, à créer les conditions juridiques, incitatives et institutionnelles pour le développement de l’agrégation agricole. Ces différentes mesures ont permis de mettre en place des projets d’agrégation pour un investissement global prévu à terme de 14 milliards de dirhams, qui concernent à ce jour une superficie de 190.000 Ha et un effectif de cheptel de 126.000 têtes au profit de 58.000 agrégés, dont 80% exploitent des superficies moins de 5 ha.

Des réalisations qu’il faut renforcer davantage pour faire face aux nouveaux défis liés à la commercialisation et la valorisation dans le cadre de la nouvelle stratégie agricole. Une évaluation a été réalisée de l’expérience d’agrégation, dont les résultats ont été présentés au séminaire national sur l’agrégation agricole organisé en 2018. Cet évènement a constitué une étape importante qui a permis d’identifier non seulement les clés du succès des projets déjà entrepris dans le cadre du Plan Maroc Vert, mais aussi de repérer l’ensemble des points susceptibles de ralentir la mise en place de nouveaux projets d’agrégation dans les différentes filières agricoles, tels que la lenteur des procédures d’approbation des projets d’agrégation et d’octroi des subventions, les seuils d’éligibilité jugés élevés pour certaines filières, la fluctuation des prix causée par la forte intervention des intermédiaires et les difficultés rencontrées pour l’instauration de confiance entre l’agrégateur et les agrégés. Sur la base des recommandations dudit séminaire, il a été proposé de réviser les arrêtés d’application de la loi sur l’agrégation agricole, qui visent essentiellement à simplifier et à assouplir les procédures d’approbation des projets d’agrégation et d’octroi des subventions de l’Etat liées à l’agrégation. En effet, ce nouveau dispositif réglementaire permettra la mise en place de projets d’agrégation de nouvelle génération dans le cadre de la nouvelle stratégie «Generation Green 2020-2030», qui prévoit, au niveau de son premier fondement relatif à la priorisation de l’élément humain, le lancement d’une nouvelle génération d’organisations agricoles, à travers notamment l’essaimage de nouveaux modèles d’organisation, de coopératives agricoles et d’agrégation combinant offre de valeur économique et sociale.

La confiance entre l’agrégateur et ses agrégés est un élément clé pour la réussite de ce mode d’organisation, comme toute relation bipartite. En effet, l’expérience a montré que cette confiance dépend de plusieurs paramètres d’ordre social, territorial et économique, ce qui explique la réussite de l’agrégation dans certaines régions et filières beaucoup plus que dans d’autres. Ainsi, dans le cadre de la stratégie «Generation Green 2020-2030», l’Etat mettra en œuvre un accompagnement plus rapproché aux projets d’agrégation qui prendront en considération les spécificités de chaque région et de chaque filière, notamment en matière de communication pour l’instauration d’un climat de confiance entre les agrégateurs et les agrégés et l’opérationnalisation effective du rôle des organes de médiation collégiaux prévus par la loi 04-12 sur l’agrégation agricole. La réussite de l’agrégation agricole est tributaire de l’implication active de l’ensemble des parties prenantes, notamment les interprofessions, afin de consolider les efforts entrepris par l’Etat pour encourager ce mode d’organisation des agriculteurs et d’intégration amont-aval.

 

F. N. H. : Le secteur agroalimentaire, fleuron de l’industrie nationale, a pris un nouvel élan dans le cadre du Plan Maroc Vert. Quelles sont les dispositions prises dans «Generation Green» pour donner une nouvelle impulsion à l’activité ?  

M. S. : Le développement de l’aval industriel et commercial des filières agricoles demeure une priorité de la nouvelle stratégie agricole Generation Green, qui prévoit le dédoublement du PIB agricole et des exportations à l’horizon 2030 et le développement de la valorisation des produits pour atteindre 70% de la production agricole nationale transformée à l’horizon 2030. Ces objectifs ambitieux seront atteints à travers la poursuite et le renforcement des aides financières du FDA pour l’encouragement de l’investissement en unités de valorisation et la promotion des exportations, la poursuite de la complémentarité d’intervention entre le FDA et le FDII, la modernisation des circuits de commercialisation des produits agricoles, la poursuite des actions de R&D et innovation et la poursuite de la mise en œuvre des agropoles. Ainsi, parallèlement aux efforts déployés pour le développement de l’amont agricole, et depuis son avènement en 2008, le Plan Maroc Vert a accordé une attention particulière au développement de l’aval industriel des filières, et ce vu l’importance que jouent les industries agroalimentaires dans l’économie nationale et leurs impacts sur l’investissement, l’emploi, le développement local et les revenus des agriculteurs.

Dans ce cadre, plusieurs chantiers visant le développement des capacités de valorisation des produits agricoles ont été lancés par le ministère, notamment l’élargissement des incitations octroyées dans le cadre du Fonds de développement agricole (FDA) aux différentes types d’unités de valorisation, le renforcement des infrastructures de valorisation dans le cadre des projets pilier I et pilier II du PMV, la mise en œuvre de l’arsenal juridique relative à la sécurité sanitaire des aliments et l’adoption de l’agrégation comme modèle de l’intégration entre l’amont et l’aval des filières agricoles, … Par ailleurs, la mise en œuvre des mesures du contrat-programme pour le développement des industries agroalimentaires, signé en 2017, a créé une dynamique importante en matière d’investissement en unités de valorisation des produits agricoles, avec plus de 300 projets d’unités de valorisation présentés. Cette dynamique a été enregistrée notamment grâce au renforcement des incitations financières instaurées dans le cadre du FDA pour la création des unités de valorisation et pour la promotion des exportations (incitation entre 10 et 30% du coût d’investissement, avec des plafonds allant jusqu’à 21 millions de DH; incitations entre 500 à 6.000 DH/tonne exportée des produits agricoles, …). La mise en œuvre de ce contrat-programme a adopté une complémentarité et une synergie d’intervention entre les départements de l’agriculture et de l’industrie, respectivement à travers FDA et le FDII.

Le ministère a également lancé la mise en œuvre d’un réseau de 7 agropoles au niveau des principaux bassins de production agricole pour accueillir les projets d’investissement dans la valorisation des produits agricoles, à savoir Meknès, l’Oriental, Tadla, Souss, Haouz, Gharb et Loukkos. L’objectif de ces projets structurants est de renforcer la compétitivité des entreprises du secteur agroalimentaire et d’accroître l’investissement dans le secteur, ce qui permettra d’offrir un cadre approprié pour l’intégration de l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur agro-industriel et d’augmenter sa productivité. Ces projets de partenariat public-privé présentent une offre de valeur complète intégrant un parc agro-industriel pour accueillir les activités de transformation et de support, des plateformes logistiques et de services, et ce en mettant à la disposition des investisseurs des lots de terrain pour réaliser leurs projets. Le taux de commercialisation des agropoles de Meknès, Berkane, Tadla et Souss a atteint 60% de la superficie cessible, soit 150 ha, correspondant à 288 projets.

Ces projets concernent les domaines de transformation, de conditionnement, de support et de logistique. Concernant l’agropole du Loukkos, le lancement des travaux d’aménagement du projet est prévu en 2022. Pour les agropoles du Gharb et du Haouz, les sites d’implantation des projets sont validés et l’étude de faisabilité pour la mise en place du projet du Gharb est déjà réalisée, et celle du projet du Haouz est en cours de lancement. En termes d’impacts socioéconomiques, ces agropoles permettront à terme d’atteindre des objectifs importants en matière d’augmentation du taux de valorisation des produits agricole, d’augmentation de la valeur ajoutée générée au niveau des régions concernées, d’accroissement de l’investissement dans le secteur agroalimentaire et les services liés et de création d’emploi. Aussi, et afin d’accompagner les acteurs de ces agropoles dans leurs efforts d’amélioration de la productivité et de la compétitivité, le ministère a prévu la mise en place d’un Qualipole alimentation au sein de chaque agropole. Ce Qualipole est constitué de laboratoires de Morocco Foodex, de l’ONSSA et de l’INRA ainsi que des espaces communs (centre d’accueil, salle de conférences, zone d’hébergement et restaurant). La convergence des efforts précités du gouvernement a permis d’enregistrer une augmentation de plus de 35% des capacités de valorisation des produits agricoles et un taux de valorisation global de 40% de la production agricole nationale.

 

F. N. H. : La disponibilité des ressources hydriques est l’un des principaux défis à relever par l’agriculture nationale. Quelles sont les pistes à investir par votre département pour trouver des solutions pertinentes à cette problématique ?

M. S. : Depuis plus de trois décennies, l’agriculture irriguée au Maroc est confrontée à une raréfaction grandissante des ressources en eau, sous les effets conjugués de la succession des années de déficit hydrique d’une part, et de l’augmentation de la demande en eau des autres secteurs de développement résultant de la croissance démographique, du développement socioéconomique et de l’évolution des modes de consommation, d’autre part. Les aléas climatiques et les déficits pluviométriques, comme ceux qu’a connus le Maroc ces dernières années, viennent accentuer la pression sur les ressources hydriques déjà fragiles, entraînant des réductions des apports d’eau aux barrages et la baisse de la recharge des réserves des nappes phréatiques.

Dans ce contexte, l’agriculture reste de loin le secteur le plus impacté par le déficit hydrique, comme c’est le cas ces dernières années du fait des faibles réserves d’eau dans les barrages d’une part, et de l’accroissement de la demande des villes et de la priorité accordée à l’approvisionnement en eau potable, d’autre part. L’adaptation au déficit hydrique et l’atténuation de ses effets ont toujours été des priorités des stratégies agricoles, et le ministère s’est fortement investi et impliqué dans ce chantier, notamment ces dernières années caractérisées par un déficit hydrique exceptionnel. Les stratégies agricoles de ces dernières décennies impulsées sous les orientations éclairées de SM le Roi (Plan Maroc Vert 2008-2020, Generation Green 2020-2030) ont constitué un tournant historique dans la manière de gérer l’eau en agriculture. Quatre programmes structurants ont été adoptés et mis en œuvre pour assurer la transition de l’agriculture irriguée vers une agriculture éco-efficiente et résiliente aux changements climatiques, en l’occurrence :

• Le programme national d’économie et de valorisation de l’eau en irrigation, qui consiste en la reconversion massive aux techniques d’irrigation économes en eau;

Le programme d’extension de l’irrigation, qui consiste en l’équipement de nouvelles  structures associées aux barrages en réseaux d’irrigation et en techniques d’irrigation efficientes pour permettre la valorisation des ressources en eau mobilisées par les barrages;

• Le programme de partenariat publicprivé en irrigation qui consiste à mobiliser l’expertise et le savoir-faire du secteur privé pour le cofinancement, la construction et l’exploitation des réseaux d’irrigation;

• Le programme de la petite agriculture irriguée qui consiste à restaurer et à réhabiliter les périmètres de petite et moyenne hydraulique répartis sur l’ensemble des zones agro écologiques du Maroc et qui concerne une agriculture vivrière et de subsistance dans des régions de montagne, de piémont et d’oasis souvent vulnérables.

Des avancées remarquables ont été enregistrées durant la dernière décennie, avec notamment plus de 750.000 ha de terres équipées en irrigation localisée, soit plus de 45% des surfaces irriguées au niveau national contre moins de 10% seulement en 2008. Un vaste chantier de modernisation des infrastructures d’irrigation dans les périmètres irrigués a été lancé pour augmenter l’efficience des réseaux et améliorer le service de distribution d’eau, et ainsi faciliter la reconversion des exploitations à l’irrigation goutte à goutte. Les résultats sont très encourageants, avec des valorisations de l’eau qui ont plus que doublé et des améliorations substantielles des revenus des agriculteurs. De même, le département a mis en place deux grands projets de dessalement de l’eau de mer, selon une approche de gouvernance innovante en partenariat public-privé, à savoir :

• Le projet PPP de Chtouka dans le bassin du Souss, exposé à un déficit hydrique structurel. Grâce à ce projet, les ressources en eau de ce bassin seront renforcées à partir de cette année, ce qui a permis non seulement la sauvegarde du potentiel de production national en primeurs dans la zone maraichère de Chtouka sur 15.000 ha, mais également de sécuriser l’eau potable du grand Agadir.

• Le projet de dessalement de l’eau de mer de Dakhla en exploitant cette fois-ci l’énergie éolienne en cours de lancement à Dakhla. Il permettra de développer l’irrigation des primeurs sur 5.000 Ha dans la zone et créer des emplois. Grâce à ces efforts, nous pouvons constater que malgré les conditions hydriques difficiles de ces dernières années, qui coïncident avec la pandémie du Covid-19, le marché intérieur est approvisionné de manière régulière et dans de bonnes conditions en produits agricoles frais tels que les fruits, les légumes et le lait, et à des prix à la portée des consommateurs. De même, les exportations agricoles de fruits et légumes ont enregistré des augmentations significatives.

Ces efforts seront poursuivis avec détermination dans le cadre de Generation Green 2020-2030, dans l’objectif de doubler l’efficacité hydrique et faire de l’agriculture un levier de développement humain et de développement durable. Les investissement prévus portent notamment sur (i) la poursuite de la modernisation des systèmes d’irrigation pour atteindre un million d’hectares sous irrigation localisée à l’horizon 2030, (ii) la poursuite des efforts d’extension des périmètres irrigués, notamment au niveau de la plaine du Saïss et de la zone sud-est de la plaine du Gharb (iii), le développement de nouveaux projets d’irrigation par dessalement de l’eau de mer couplés aux énergies renouvelables, notamment à Guelmim, Laâyoune et Casablanca (iv), et la poursuite du programme de développement de la petite agriculture irriguée dans les zones défavorisées et fragiles, notamment dans les oasis et zones de montagne.

 

 

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