Ryad Mezzour: «Les génériques représentent aujourd’hui 40% des médicaments vendus au Maroc»

Ryad Mezzour: «Les génériques représentent aujourd’hui 40% des médicaments vendus au Maroc»

Le ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, met la lumière dans cette interview sur la vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI en ce qui concerne la souveraineté sanitaire au Maroc.

Développement de l’industrie pharmaceutique, production de médicaments génériques, importance du made in Morocco, fabrication de vaccins… sont, pour le ministre, autant de leviers sur lesquels il faudrait jouer pour moins dépendre de l’étranger. Entretien. 

 

Propos recueillis par F. Ouriaghli & A. Najib

Finances News Hebdo :Conformément à la vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Maroc est engagé sur la voie de la souveraineté sanitaire. L’industrie pharmaceutique aura un rôle important à jouer dans ce sens. Quel bilan peut-on faire de ce secteur actuellement et comment compte-t-il accompagner la vision royale ?

Ryad Mezzour : D’abord, il faut savoir que nous avons un secteur pharmaceutique  qui est l’un des plus performants du continent africain. C’est un secteur qui a permis de répondre aux enjeux de la pandémie de manière extrêmement efficace et qui a permis au Maroc d’avoir une certaine autonomie depuis quelques décennies. Aujourd’hui, nous sommes à 50% de capacité propre à produire des médicaments. C’est aussi un secteur important au niveau industriel : il emploie plus de 55.000 personnes, avec un chiffre d’affaires qui avoisine les 15 milliards de DH.  Ainsi, il joue un rôle majeur dans l’écosystème de notre industrie, avec des laboratoires qui exportent et dont nous pouvons être fiers. Évidemment, il y a des challenges à relever. Le premier est d’assurer notre souveraineté sanitaire. Parce que si l’on maîtrise la partie formulation et la partie finition du médicament, pour parler de manière simple, on ne maîtrise pas beaucoup les principes actifs. Ces principes relèvent bien entendu plus de l’industrie de la chimie que de l’industrie du médicament. Et c’est sur ce volet-là que nous voulons être performants pour compléter et renforcer notre souveraineté. Le deuxième challenge est d’accompagner cette industrie pharmaceutique pour qu’elle puisse répondre aux enjeux du grand projet royal de la couverture sociale généralisée. Celle-ci va, selon nos estimations, engendrer un triplement de la consommation de médicaments  : nous allons donc passer de 350 millions de boîtes à plus d’1 milliard de boîtes par an. Ce qui va renforcer aussi l’immunité et la santé de nos concitoyens. Cette croissance attendue, et qui va être très rapide avec la généralisation de l’assurance maladie obligatoire à tous les Marocains, exige que nous accompagnions encore plus fortement le secteur pour qu’il puisse, pour le moins conserver ses parts de marché, et au mieux les renforcer. Il s’agit aussi d’utiliser ce développement comme levier de croissance pour répondre à la demande nationale et renforcer de manière substantielle les exportations.

 

F.N.H. : Surtout que le Maroc est aujourd’hui un hub multisectoriel pour l’Afrique…

R. M. : Exactement. Le Maroc doit jouer son rôle et il le joue. Et il a encore un rôle plus important à jouer et sur le continent et en tant que hub international de la région, au niveau de la Méditerranée et l’Europe. Parce qu’il  faut le savoir, le Maroc exporte aussi des médicaments vers l’Europe. Nous avons donc des opportunités exceptionnelles pour cette industrie, avec un savoir-faire indéniable depuis plusieurs décennies et un marché local qui est en forte croissance. Tous les ingrédients sont réunis pour que ce secteur puisse se développer de manière exponentielle.  

 

F.N.H. : Les médicaments génériques sont d’un enjeu capital dans cette quête de souveraineté sanitaire. Où en est le Maroc dans la fabrication de génériques et y a-t-il des mécanismes qui vont être déployés pour en favoriser la production ?

R. M. : Les médicaments génériques représentent aujourd’hui 40% des médicaments vendus au Maroc. Ce qui est intéressant, c’est qu’aujourd’hui, quand on fait la comparaison entre les princeps et les médicaments génériques, on se rend compte qu’il n’y a pas beaucoup d’écarts de prix. Les laboratoires qui fabriquent les princeps se sont adaptés au marché. Ainsi, d’une manière générale, les médicaments génériques permettent aussi à nos laboratoires d’avoir la propriété exclusive de leurs formules et de leurs médicaments. Cela leur permet aussi de ne pas payer des royalties, ce qui est important. Mais, il ne faut pas oublier que nous avons des laboratoires internationaux qui ont une présence variable dans notre pays  : ils ont été très forts, ils le sont un peu moins, et ils ont des intentions pour renforcer leur production. Mais, aujourd’hui, ce qui est le plus important, c’est d’assurer l’équilibre entre la disponibilité du médicament, son prix et l’équilibre aussi de la couverture médicale. Dans ce sens, la demande devrait tripler en volume. Normalement, les prix devraient légèrement baisser pour accompagner cette couverture sociale.

 

F.N.H. : Comment le ministère accompagne-t-il les industriels pour développer le «made in Morocco» et limiter les importations de médicaments ?

R. M. : Cette question est fortement liée à trois choses. La première, c’est la production du générique qui est aujourd’hui exemptée de droits, par nature. C’est un médicament développé ici, qui n’est pas sous licence, donc purement made in Morocco. Le deuxième aspect, c’est l’intégration en profondeur. C’est-à-dire que le principe actif, qui est extrêmement capitalistique, commence à être fabriqué au Maroc pour que nous ayons de la valeur ajoutée afin de ne pas continuer à importer des principes actifs comme nous le faisons aujourd’hui. Ce sera toujours le cas, mais nous en importerons de moins en moins, comme nous le faisons aujourd’hui des pays asiatiques, à l’instar de l’Inde et de la Chine, qui sont des pays très performants en matière de production de principes actifs. Concernant le troisième volet, il faut aller chercher des relais pour mieux participer et mieux contribuer à la recherche et développement. Il y a évidemment plusieurs étapes, mais ça commence par d’abord faciliter les essais cliniques. Dans ce sens, nous travaillons avec le ministère de la Santé et de la Protection sociale, qui est en train de réaliser une réforme extraordinaire avec la mise en place de l’Agence du médicament. Aujourd’hui, nous avons tout un processus mis en place pour renforcer notre capacité d’innovation, tout en fluidifiant la capacité des laboratoires à mettre des médicaments sur le marché, ce qui permettra aussi à nos opérateurs d’être plus agiles pour répondre à la demande des marchés extérieurs. Tout cela va dans le sens de répondre à notre autonomie et de participer de manière rapide à la recherche et développement et, finalement, d’exporter davantage nos médicaments made in Morocco.

 

F.N.H. : Les professionnels du secteur déplorent les retards dans la délivrance des autorisations de mise sur le marché des médicaments et des dispositifs médicaux, mais aussi la baisse continue des prix des médicaments au moment où les prix des matières premières et les coûts logistiques au niveau mondial connaissent une flambée. Que leur répondez-vous ?

R. M. : D’abord, il faut savoir que pour changer le prix public d’un médicament, il faut une circulaire assez précise. Ce n’est pas du tout aussi simple que de changer le prix de la tomate. Il est vrai que les prix n’ont pas forcément évolué malgré le fait que les intrants soient plus chers. Ce qui fait que les laboratoires, pour la plupart, ont encaissé le coup. La deuxième chose à savoir est que les autorisations de mise sur le marché (AMM) prennent du temps. Nous parlons de médicament, quelque chose que l’on ingurgite, que l’on met dans le corps humain. Nous devons donc prendre des précautions. Il faut aussi garder en tête que les dossiers des AMM sont énormes. Ils doivent être vérifiés papier par papier pour qu’on s’assure que ce médicament n’est pas dangereux pour la santé et qu’il a un effet bénéfique sur le patient. C’est là une lourde responsabilité du ministère de la Santé, et qui va être prise par l’Agence du médicament qui sera bientôt mise en place. C’est beaucoup de travail. Mais le ministère de la Santé travaille, dans le cadre du contratprogramme que nous avons signé ensemble, pour que ce processus soit digitalisé. Cela va permettre l’évaluation de certaines thèses et de certains points plus rapidement.

 

F.N.H. : Enfin, le Maroc, sous l’impulsion du Souverain, a fait du partenariat sud-sud une priorité. L’usine de fabrication de vaccins anti Covid-19 et autres vaccins sise à Benslimane devrait ainsi assurer la souveraineté vaccinale du Royaume et du continent africain dans son ensemble. Où en sommes-nous actuellement en termes de production ?

R. M. : Cette unité de fabrication des vaccins, lancée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu le Glorifie, est une véritable fierté. En moins d’un an, l’usine est prête. Elle commence déjà à tourner : elle produit des lots tests et est en finalisation des certifications. On commence déjà à négocier et à prendre des licences pour pouvoir fabriquer les vaccins. Nous sommes partis d’un terrain vierge à proximité de l’aéroport de Benslimane et tout a été monté de manière extraordinaire, grâce à la mobilisation de tout le monde. Il s’agit là d’une mobilisation d’une bonne dizaine de ministères et de quelques opérateurs privés marocains qui se sont adjoints à un expert technique étranger pour mettre sur pied cette usine en un temps record. Il faut savoir que c’est la plus grande unité de fabrication de vaccins en Afrique, avec une capacité de production de plus de 100 millions de doses par an. Ce qui va renforcer non seulement notre souveraineté nationale, mais aussi notre souveraineté continentale. 

 

 

 

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