Relance économique : du conjoncturel... au structurel

Relance économique : du conjoncturel... au structurel

Avec ce début de printemps, les réalités économiques avec leurs multiples paramètres pèsent de tout leur poids. Le Conseil de Bank Al-Maghrib, tenu le mardi 22 mars courant, vient de faire le premier point de la situation et des perspectives qui se présentent quant à l'activité économique d'ici la fin de l'année. Plutôt préoccupant. Ainsi, il est prévu un médiocre taux de croissance de 0,7% en 2022, après un chiffre historique de 6,9% en 2021 - sauf à préciser qu'il compte pratiquement une forte contraction de - 6,3 % en 2020, après deux années modestes de 2019 (+2,5%) et de 2018 (+ 3,1 %) avant donc la pandémie Covid -19, 2020 et 2021. Le déficit pluviométrique participe largement à cette situation avec un taux de remplissage des barrages de l'ordre de 33 % aujourd'hui, soit le chiffre historique le plus bas. La campagne céréalière chute lourdement à 25 millions de quintaux après celle exceptionnelle de 2021 qui a dépassé les 103 millions de quintaux. Autre indicateur : celui de l'augmentation sensible de l'inflation (4,7%) alors qu'elle a été de 1,4% l'année précédente.


Un potentiel de croissance entravé

Il s'en suit une forte baisse de la valeur ajoutée de l'agriculture de l'ordre de 20%, et globalement du secteur primaire et des multiples activités de commerce et d'industrie qui y sont liées, directement ou non. A noter encore le compte courant budgétaire qui va accuser un taux négatif de -5,5%, deux à trois points de plus par rapport à 2021 (-2,6%) et à 2020 (3,7%).
Comment, dans ces conditions, se présente le potentiel de croissance qui se trouve dès lors entravé dans l'année en cours ? Peut-on attendre une compensation de tous ces indicateurs déficitaires par un dynamisme des activités commerciales, industrielles et de services ? Pour l'heure, il semble bien que rien n'est acquis, d'autant plus que le gouvernement n’a pas encore décidé des inflexions à apporter à son programme décliné lors de l'adoption de la Loi de Finances 2022. Doit-il prioriser la demande intérieure et partant la consommation ainsi que l'investissement ?
Mais comment ?  L'érosion du pouvoir d'achat lié à une tension inflationniste générée par des facteurs exogènes - notamment l'envol des prix des matières premières et des cours des hydrocarbures - ne pousse pas vraiment dans ce sens. L'exportation ferait-elle mieux l'affaire ? Dans le contexte international actuel, la relance avec la demande des marchés extérieurs ne pourra qu'être finalement limitée. Voici trois semaines, le Porte-parole du gouvernement a écarté une Loi de Finances rectificative demandée par certains parlementaires. Pourra-t-on en faire l'économie au vu de l'état des lieux, sauf à continuer à exécuter un budget du 1er janvier  2022 de plus en plus décalé par rapport à de nombreuses données objectives !

Ce qui a été fait en 2020-202I peut inspirer Aziz Akhannouch et son équipe. Même si le précédent cabinet était dirigé par Saâd Eddine El Otmani, secrétaire général de la formation islamiste du PJD, avec un bilan largement sujet à caution, le nouveau chef de l'exécutif peut invoquer que c'est un ministre RNI, Mohamed Benchaâboun, en charge du département de l'Economie et des Finances, qui avait la haute main sur toutes les mesures imposées par la pandémie Covid-19. Référence est faite à la mise en place du «Fonds Covid 19»  dès mars 2020, suivie par celle du «Pacte pour la relance de l'emploi». Des dispositifs qui ont permis de limiter l'effondrement de l'appareil productif et l'ampleur de la crise sociale. Une batterie de mesures d'ordre conjoncturel qui ont porté leurs fruits. 

Le risque à éviter c'est de continuer dans cette seule voie, celle du conjoncturel, sans se préoccuper d'une approche plus structurelle prenant en compte les nouvelles données existantes en même temps que les axes stratégiques retenus par le nouveau modèle de développement (NMD). En somme, des politiques publiques éligibles à une stratégie de développement allant jusqu'à la fin de la présente législature en 2026 et même au-delà, jusqu'à l'horizon 2035. L'«Etat social» a été érigé en référentiel. C'est là une vision Royale affirmée bien avant les élections du 8 septembre dernier qui ont conduit à la formation du cabinet actuel. Elle se fonde sur un système général de protection sociale à long terme. Unique et le plus avancé au Maghreb, dans le monde arabe et dans le continent. Son articulation repose sur les domaines suivants : généralisation de l'assurance - maladie obligatoire (AMO) et des allocations familiales; retraite pour la population active; indemnité pour perte d'emploi (IPE),... C'est là, comme l'a souligné le rapport du NMD, «la singularité du Royaume où l'institution monarchique est porteuse de la vision de développement et des chantiers stratégiques de temps long et du suivi de leur exécution en faveur des citoyens».

 

Des séquences et des priorités

C'est dire que le nécessaire basculement du conjoncturel vers le structurel commande une appréhension conséquente des mesures et des réformes à décider et à entreprendre. Des séquences bien sériées pour les quatre années restantes de la présente législature; en même temps, des priorités année par année traduisant bien l'inscription de l'action gouvernementale non plus de manière sectorielle- département par département- mais avec une feuille de route de nature à entraîner l'adhésion des citoyens et des opérateurs économiques locaux et étrangers. De la visibilité et de la lisibilité, donc une communication appropriée pour conforter la confiance qui reste encore à l'ordre du jour...

A grands traits, que faire ? Accentuer la valorisation du capital humain et de la R& D. Le taux de chômage s'est aggravé à hauteur de 12,3% en 2021, tranchant avec une tendance baissière observée en 2019 et 2020; le total des sans-emplois dépasse désormais les 1.500.000 personnes. Il atteint 17% des femmes et 3% des femmes; il frappe davantage les diplômés universitaires (20%) et les zones urbaines (17%) contre 5% dans les zones rurales. Le programme «Awrach» a été élargi à l'ensemble du territoire national depuis le 1er mars. Il concerne l'octroi d'une subvention pour l'intégration des catégories ciblées pour une période minimale de deux ans. Il porte sur des chantiers publics temporaires. Mais qu'en sera-t-il après, en 2024 et au-delà ? Un autre programme «Forsa» s'adresse aux jeunes porteurs d'idées d'entrepreneuriat. Il a été lancé le 15 mars courant. Une enveloppe de 1,25 milliard de DH lui est dédié : formation en e-learning, incubation de 2 mois et demi, prêt d'honneur d'un montant maximal de 100.000 DH avec une subvention de 10.000 DH.

 

Financement et endettement

Autre piste : celle du financement. Ce qui pose cette question sans cesse répétée par le wali de Bank Al-Maghrib, gardien sourcilleux de l’orthodoxie des grands équilibres et économiques : celle de la soutenabilité des finances publiques. Jusqu'où optimiser celles-ci ? Les réserves de change à la fin février étaient de 332 milliards de DH en incluant les financements extérieurs prévus, soit une hausse de 8% et une couverture des besoins de 6 mois et demi. Mais le taux d'endettement global a grimpé de trois points en se situant à hauteur de 93,2%. Quant au taux d'endettement du Trésor, il est de 78,5% par rapport au PIB, 60% pour la dette intérieure et 18,5% pour celle de l'extérieur. Y aura-t-il encore de la marge dans ce domaine ? Du côté de Bank Al-Maghrib et du département de l'Economie et des Finances, l'on répond de manière affirmative : «Tous les pays, même les plus développés, n'ont pas d'autre choix que l'endettement» . Et d'ajouter : «La notation du Maroc et le risque pays sont positifs, eu égard à la maîtrise des équilibres macroéconomiques, à  la crédibilité et à la signature du Maroc ainsi qu'à ses chantiers de réformes structurelles...»
Cela dit, il manque à l'action gouvernementale actuelle au moins deux paramètres. Le premier, c'est d'enjamber une politique sectorielle en «silos», chaque département avec le nez sur le seul guidon de son secteur avec une approche par trop «technocratique». Il faut du «collectif» portant et incarnant des réformes, pas du «perso»...

Le second a trait à la nécessité d'une grande mobilisation des intervenants nationaux - publics et privés, associatifs aussi, c'est le problème d'un Pacte national pour le développement recommandé dans les conclusions du rapport du NMD. SM le Roi l'a instamment appelé de ses vœux. Il semble bien qu'il soit devenu une simple référence sans pouvoir prendre forme et contenu. Question éminemment politique. Le cabinet Akhannouch est-il en mesure de s'y atteler et de présenter, aux acteurs du développement et à l'ensemble des forces vives dans leur pluralité, un projet pouvant entraîner leur adhésion ? Un grand test...

 

 

Par Mustapha SEHIMI
Professeur de droit, politologue 

 

 

 

 

 

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