En matière de réforme, les décisions prises dans l’urgence ne sont pas très souvent dictées par la logique du long terme. Le récent pack retraite du gouvernement en est une parfaite illustration.
Initier des réformes est consubstantiel à l’action politique qui doit être guidée par le bien-être des populations. A l’inverse, aussi paradoxal soit-il, il est généralement admis que les réformes les plus utiles, voire nécessaires ne sont pas celles qui sont les plus populaires aux yeux de l’opinion publique. Pour cause, le citoyen lambda a l’impression parfois que l’on exige de lui trop de sacri-fices. Au Maroc, la réforme des retraites ô combien nécessaire était une sorte de patate chaude que les gouver-nements qui se succédaient jusque-là se refilaient de peur de susciter l’ire des syndicats et des travailleurs. Et c’est pourtant au gouvernement Benkirane que l’on doit la pose de la pierre du grand édifice de la réforme des retraites au Maroc. «La réforme des pensions civiles était absolu-ment nécessaire, même s’il est regrettable qu’elle ait pris autant d’années de retard», confie Khalid Cheddadi, PDG de la Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite (CIMR). Et d’ajouter : «En matière de retraite, dès lors qu’un régime est déficitaire, l’absence de réforme complique la situation davantage». Pour rappel, en juillet dernier, la Chambre des représentants avait adopté l’arsenal législatif afférent à la réforme des retraites. Il s’agit de quatre projets de loi portant sur le régime des pensions civiles, l’âge de départ à la retraite des fonctionnaires, le régime des pensions militaires et la hausse de la pension minimale du régime collectif d’allocation de retraite (RCAR). En gros, les changements de taille qu’il convient de relever ici concernent, entre autres, le relèvement de l’âge de départ à la retraite (passage de 60 à 63 ans). Ce relèvement est échelonné sur 6 ans, soit 6 mois par an. La pension mini-male devrait passer progressi-vement de 1.000 à 1.500 DH. Toujours au chapitre des faits saillants de cette nouvelle réforme appelée à se pour-suivre, soulignons que les coti-sations des salariés et de l’Etat ont été revues à la hausse de l’ordre de 4 points.
Le diktat de l’urgence
Si la réforme paramétrique des pensions civiles per-met de parer au tarissement imminent des réserves pour quelques années seulement, force est d’admettre qu’elle a été initiée sous le coup de l’urgence. Faudrait-il rappeler que l’accroissement des rangs des retraités affiliés au régime civil par rapport au nombre de cotisants et le vieillissement de la population marocaine ont été quelque part à l’origine des multiples difficultés finan-cières que rencontre la CMR, soumise actuellement à une commission d’enquête parle-mentaire. Le caractère impérieux de cette réforme est corroboré par cer-taines prévisions qui montrent que le Royaume dénombrera en 2050 pas de moins de dix millions de personnes âgées de plus de 60 ans. L’autre paramètre de nature à précipiter la décision réformiste du gouvernement est le défi-cit proéminent de la Caisse, jusque-là dirigée par feu Mohamed Alaoui Abdellaoui. D’après les prévisions, le défi-cit était appelé à se creuser progressivement pour culminer à 23 Mds de DH en 2022, échéance du tarissement des réserves. Partant, au regard de l’ampleur de ce déséqui-libre, il était difficile pour le gouvernement de rester passif, d’autant plus que l’épuisement du Fonds de réserve de la CMR (estimé à plus de 85 Mds de DH) a inéluctablement des conséquences fâcheuses sur la mobilisation de l’épargne à long terme et le niveau des investissements publics, crucial au développement et à la croissance du pays.
Une réforme systémique en perspective ?
Après le signal fort envoyé par le gouvernement Benkirane au sujet des réformes des retraites, dossier pour le moins clivant, le tout est de savoir si celui-ci ira promptement vers un toilettage conséquent du système des retraites par le truchement d’une réforme systémique. Rappelons que le pack de retraite proposé par la majorité a en ligne de mire la création de deux pôles public et privé, ce qui permettrait de déboucher sur leur unification. Il ne serait pas exagéré de relier cet objectif à l’épuise-ment programmé (en l’absence de réforme) des réserves de la CNSS (à partir de 2029) et du RCAR (2050). «Sur le long terme, il est judicieux de se doter d’un système de base unifié, géré par la CNSS à la fois pour les salariés des sec-teurs public et privé, avec trois régimes complémentaires pour les deux secteurs précités et les travailleurs non-salariés», suggère le patron de la CIMR, qui regrette le long chemin à parcourir pour y arriver. Cela dit, se lancer dans une réforme systémique à même de garantir la pérennité du système des retraites au Maroc suppose de facto la résolution des ques-tions de fond inhérentes à la coexistence des systèmes de répartition et capitalisation, au degré de générosité des régimes (solidarité) et à l’inté-gration des travailleurs infor-mels, qui pourraient constituer un réel ballon d’oxygène pour le nouveau système. A en croire Cheddadi, pour résoudre durablement les problèmes du système des retraites du pays, il faudra fata-lement revoir les paramètres-clefs en tenant compte des limites économiques et sociales. Parmi ces paramètres, il y a lieu de citer l’augmentation de l’âge de départ à la retraite et des cotisations, la baisse du rendement ou encore la mise en place d’un système de sub-vention pour aider le régime. ■
La pérennité de la CIMR
Interrogé par nos soins sur la pérennité de la CIMR, Khalid Cheddadi reste catégorique. «Notre caisse n’affiche aucun déficit visible. Bien au contraire, nos prévisions, validées entre autres, par le Bureau international du travail (BIT) et la Banque mondiale, attestent de la pérennité de la CIMR. Pour rappel, la caisse a connu de profondes réformes induites par la nouvelle loi 64-12 ayant créé la nou-velle Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS). En vertu de ce dispositif législatif, la CIMR s’est transmuée en une société mutuelle de retraite, avec l’ouverture du régime sur les adhésions individuelles, de nature à pérenniser l’activité. «Cette nouveauté est cruciale pour notre régime car dans le système de répartition, le paramètre démographique constitue un élément moteur», conclut le patron de la CIMR.
M. Diao