“Si ce gouvernement doit tomber à cause de la réforme des retraites, eh bien qu’il tombe !».
Celui qui s’exprime ainsi n’est pas un adversaire de la réforme, mais bel et bien son plus farouche défenseur, Abdelilah Benkirane. Ce dernier est plus que jamais déterminé à faire passer sa réforme avant les élections législatives, n’hésitant pas à mettre dans la balance le gouvernement qu’il dirige depuis 4 ans. Le Chef de gouvernement s’exprimait à l’occasion d’un discours prononcé devant la commission nationale du PJD cette semaine.
Quelques jours avant cette sortie, A. Benkirane adoptait le même ton de fermeté, et réaffirmait son intention de faire passer la réforme, contre vents et marées : «combien de personnes m’ont conseillé de reporter la réforme après les élections d'octobre ? Il n’y aura pas de report. La réforme passera cette année. Et c’est dans l’intérêt des fonctionnaires». Bref, du côté de la primature, le ton est à la fermeté, et rien ne semble pouvoir le faire fléchir. Pas même les principales centrales syndicales qui promettent de paralyser le pays à l’occasion de la grève générale du mercredi 26 février.
Mieux, en campant sur sa position, ce n'est ni plus ni moins qu’un véritable défi que leur lance A. Benkirane. Il leur reproche, entre autres, de prendre en otage la réforme, et de fuir leur responsabilité. «Les syndicats ont décidé la grève générale sous prétexte que j’ai transmis le projet de réforme des retraites au Parlement. Nous les avons bien rencontrées (fin janvier, ndlr) et elles m’ont demandé de retirer le projet de réforme le temps de trouver un accord», argumente-t-il. Hors de question donc pour le Chef de gouvernement de retirer les 5 projets de loi en question du circuit législatif et de les ramener de nouveau sur la table des négociations. Si le texte doit être changé, c’est seulement par la voie des amendements.
Quatre années de tergiversations
En réalité, A. Benkirane s’impatiente. «Cela fait quatre ans que nous discutons cette réforme. Les syndicats ne veulent pas endosser la responsabilité de son adoption. Je leur dis qu’ils sont dans l’erreur», a-t-il notamment déclaré. Pour lui, il est plus que temps de passer à l’acte après des années de débats, ponctuées par plusieurs études comme celles du Bureau international du travail, des actuariats ou encore du Conseil économique, social et environnemental. «Cette réforme est nécessaire. Comment faire quand les experts me disent que ce retard, dont j’assume la responsabilité, a déjà coûté aux caisses de l’Etat 10 milliards de DH ? :1 milliard de DH la première année, 3 la seconde et 6 la troisième. Et cette hausse croît à un rythme exponentiel. Le montant total des réserves du régime des pensions civiles est de 80 milliards de DH. D’ici à 2021, et au plus tard 2023, ces réserves seront épuisées. Il n’y aura plus un seul dirham pour payer les prestations de retraite des fonctionnaires», répète-t-il inlassablement.
S’il se montre intransigeant, il se défend pour autant d’être borné : «Si j’ai tort et que l’on me le prouve, je suis prêt à faire marche arrière». Mais il faut croire qu’il n’a pas été convaincu par les contre-propositions des syndicats. «Ces derniers, et vous pouvez consulter leur mémorandum, n’apportent pas de solutions alternatives. Ils proposent par exemple que l’âge de départ à la retraite, au-delà de 60 ans, soit facultatif. Ce sont des solutions incomplètes», juge A. Benkirane. «Je n’ai pas d’autres choix que d’appliquer la réforme telle qu’elle est aujourd’hui», conclut-il. D’ailleurs, il reconnaît que c’est une réforme douloureuse. A ses yeux, la seule chose positive qu’elle permet, outre le sauvetage du régime des pensions civiles, c’est de relever un tant soit peu le niveau des petites retraites, passant de 1.000 à 1.500 DH. Le Chef de gouvernement semble même disposé à lâcher du lest sur certaines propositions, comme l’augmentation des allocations familiales. Une mesure qui pourrait coûter 1 milliard de dirhams sur la base d’une augmentation de 100 DH par enfant.
Le front antiréforme s’élargit
Face au mur Benkirane, le front antiréforme se durcit. Les centrales syndicales les plus représentatives du pays ont été rejointes par les syndicats sectoriels affiliés à la Fédération démocratique du travail, certains ingénieurs de l’Etat, et les salariés de la Samir. Un autre allié de poids vient s’ajouter à la liste des contestataires : il s’agit du mouvement «Justice et Bienfaisance» (Jamaât Al Adl wal Ihsan) qui a annoncé que son aile syndicale se rallierait à la grève générale.
Ce front demande toujours le retrait de la réforme du circuit législatif, et qu’elle soit inscrite comme un point du dialogue social, parmi d’autres points tels que la hausse générale des salaires et des pensions de retraite ou la baisse de la pression fiscale sur les salaires. Mais on l’aura compris : pour le gouvernement, la réforme des retraites n’est pas négociable.
Il devra néanmoins faire avec d’autres blocages, plus institutionnels. En effet, l'examen des projets de loi sur la réforme des retraites a déjà été reporté à deux reprises en Commission des finances, faute de quorum…
Amine El Kadiri