En politique comme en économie, si l’on devait retenir un concept pour définir le mode de fonctionnement de notre gouvernement, c’est bien celui de l’hétérotélie. Ce mot assez alambiqué qui nous vient du grec (eteros signifie autre, et telos signifie fin ou objectif) désigne pour le dire simplement, le fait d’obtenir systématiquement un résultat différent, voire contraire, de celui qu’on avait initialement. C’est un peu la pensée de l’apôtre Paul qui disait : «je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas». Pour saisir là où je veux en venir, penchons- nous un bref instant sur l’une des mesures phases du PLF 2023, à savoir celle concernant la réforme de l’impôt sur les sociétés (IS).
Il y est préconisé le fait que dans un horizon de 4 ans, nous devrons passer d’un régime de l’IS fondé sur les 3 tranches actuelles de bénéfice net (inférieur ou égal à 300.000 DH, de 300.000 à 1.000.000 DH et supérieur à 1.000.000 DH, avec des taux d’imposition respectif de 10%, 20% et 30%), à un nouveau régime fondé sur 3 nouvelles tranches (inférieur à 100.000.000 DH, égal ou supérieur à 100.000.000 DH, et les établissements de crédit et organismes assimilés, avec des taux respectifs de 20%, 35% et 40%).
Restons un bref instant sur la première nouvelle tranche, puisqu’il s’agit de dire que toutes les entreprises dont le résultat net serait inférieur à 100.000.000 DH, feront l’objet du même niveau d’imposition de l’IS, qu’il s’agisse d’une start-up, d’une petite PME, d’une grande entreprise ou d’une multinationale. Si le leitmotiv est celui de l’égalité, alors bravo, c’est réussi. Si c’est celui de l’équité, l’actuel gouvernement devrait dans ce cas revoir sa copie. Car si en apparence les deux termes sont assez proches, ils peuvent être très souvent diamétralement opposés. Puisqu’au nom de l’égalité, le gouvernement décide ainsi de priver David de sa fronde dans son combat contre Goliath. Prenons pour illustrer nos propos un exemple très simple.
Une PME et une multinationale font chacune un résultat net de 600.000 DH pour la première, et de 20.000.000 DH pour la seconde. Le taux d’imposition de l’IS étant le même, à savoir 20%, la première devra payer à l’Etat 120.000 DH, la deuxième 4.000.000 DH. En valeur absolue, la multinationale paye infiniment plus que la pauvre petite PME. Mais en valeur relative, la différence est largement au détriment de la PME. C’est un peu comme un pauvre et un riche qui partagent la moitié de leur bout de pain. Pour le premier, c’est la moitié de tout ce qu’il possède, pour le second, il s’agit d’une miette en comparaison avec son immense fortune. On me dira que je devrais prendre un peu de hauteur, et intégrer dans ma grille de lecture que le gouvernement, dans sa grande mansuétude, désire en guise de compensation réduire l’impôt sur le revenu (IR). Pas cette année probablement, mais peut-être l’année prochaine. Ne dit-on pas que c’est l’intention qui compte ?
Soit, cela est peut-être vrai, quoique permettez-moi d’en douter. Mais je rétorquerai que ce que le gouvernement donnera peut-être d’une main, il le reprend déjà de l’autre. Le célèbre effet des vases communicants, puisque la logique budgétaire du gouvernement est au final un jeu à somme nulle. Comme le dit un vieux proverbe, il vaut mieux avoir un sac de mouches dans la main, que dix aigles dans le ciel !
Autre objection : quel sera l’impact réel d’une hypothétique baisse de l’IR ? Une augmentation des revenus des ménages ? Là encore, permettez-moi d’émettre quelques doutes. Puisque vu la conjoncture actuelle d’inflation élevée, de marasme économique et de chômage élevé, cela risque de produire l’effet l’inverse. Car bon nombre d’entreprises y verront l'occasion, en ce qui concerne les nouveaux recrutements, de négocier les salaires nets à la baisse proportionnellement dans le meilleur des cas à la baisse de l’IR.
Ainsi, PLF après PLF, l’Etat ou en l’occurrence le gouvernement stratège, cède la place au gouvernement jongleur, qui tend à réduire la politique qui, à la base, est un concept noble, en un simple jeu de vases communicants et d’arbitrage à court-terme entre des intérêts opposés. Les deux grands perdants demeurent la classe moyenne si tantôt elle existe encore, et les PME, une espèce de plus en plus menacée d’extinction. Nous finirons notre cri de colère avec la célèbre phrase attribuée à Bernard de Clairvaux : «Le chemin vers l’enfer est pavé de bonnes intentions».
Rachid Achachi,
Chroniqueur, DG d'ARKHÈ Consulting