Publicité mensongère : A quand la loi pour combler le vide juridique ?

Publicité mensongère : A quand la loi pour combler le vide juridique ?

 

Le scandale Bab Darna devrait accélérer la conception d’un nouveau texte de loi plus contraignant.

Le Maroc peut s’inspirer des expériences réussies à l’international, tout en prenant en considération les spécificités locales.

 

Par Charaf Jaidani

 

L'affaire Bab Darna qui défraie la chronique est considérée comme la plus grosse arnaque immobilière de l'histoire du Maroc. Si le scandale a été possible c’est en grande partie à cause de la complicité d'un notaire, mais aussi à cause d'une publicité mensongère à grand budget, faisant appel à des artistes de renom pour faire la promotion des projets. Les campagnes de com’ ont sévi pendant deux ans sur plusieurs canaux, notamment audiovisuels à des heures de grandes écoutes pour attirer les clients avec, comme argument de taille, une offre défiant toute concurrence : «A l'achat de deux appartements, le troisième est gratuit».

«Dès le lancement de ces annonces, nous avons tiré la sonnette d'alarme, estimant qu'il y a anguille sous roche», affirme Driss Nokta, vice-président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI). Arguant sa parfaite maîtrise du métier, notre interlocuteur estime qu'il est impossible de lancer une telle offre. 

Car il existe des paramètres qu'il faut prendre en considération pour pouvoir proposer dans le pack un troisième appartement gratuit. Pour y parvenir, il faut dégager une marge d’au moins 50 à 60%. Avec des prix de vente de Bab Darna déjà faibles par rapport au marché, et des coûts de production en perpétuelle progression, l'équation est intenable. L'acte de publicité mensongère est bien fondé. Si certains moyens de prévention et de dissuasion existaient, plusieurs centaines de victimes auraient pu être épargnées.

Notons que la FNPI, dont le président Taoufik Kamil est député et président du groupe parlementaire RNI, n'a pas hésité à porter l'affaire devant le Parlement. Il a, une nouvelle fois, insisté sur la nécessité d’instaurer un statut du promoteur qui doit répondre à certains critères bien précis en matière de solvabilité et de compétence pour pouvoir exercer, afin d’écarter les intrus.

 

Vide juridique

Pour revenir à la question de la publicité mensongère, il faut rappeler que le parti de l'Istiqlal avait proposé en mars 2019 un projet de loi pour faire face à ce phénomène. Après l’éclatement du scandale Bab Darna, les formations politiques sont revenues à la charge pour accélérer la promulgation d’un cadre juridique dédié.

«Nous voulons accélérer l’adoption pour que ce texte prenne forme et soit opérationnel le plus tôt possible. Il existe un vide juridique important qu'il faut combler et le Maroc devait se doter d'un cadre moderne et efficace pour protéger les consommateurs qui sont devenus la cible de personnes avides de gain facile au détriment des règles d’éthique», explique Mohamed Madiane, président du groupe istiqlalien à la Chambre des députés. 

Mais encore faut-il que le texte de loi soit en adéquation avec l’environnement socioéconomique marocain.

«Pour bien lutter contre le phénomène de la publicité mensongère, il faut le cerner sur le plan juridique et législatif à travers une définition précise. Elle peut englober toutes les informations erronées destinées au public et pas seulement les publicités de produits de consommation. On peut citer par exemple les enquêtes de sondage qui peuvent influencer un scrutin ou une affaire d'opinion publique», nous précise Hicham Mellati, directeur des Affaires pénales et Grâces au ministère de la Justice.

Pour se prononcer, le juge doit faire référence à un texte précis pour que les jugements soient similaires à l'image de ce qui existe dans d'autres pays. Dans ces cas de figure, la responsabilité des supports d'annonces publicitaires serait-elle engagée ? À ce niveau, la loi marocaine reste imprécise, alors que dans d'autres pays comme la France, les supports ont un droit de regard sur le contenu.

Dans le cas de Bab Darna, le principal accusé a opté pour la deuxième chaîne, très suivie par la population des MRE, pour communiquer sur son offre mensongère. Il a choisi précisément le mois de Ramadan et le prime-time pour s'assurer du maximum d'audience.

«Pour établir une loi sur la publicité mensongère, il faut s'inspirer des expériences réussies à l'international tout en prenant en considération les spécificités marocaines. Sa conception n'est pas une affaire de juristes seulement, il faut associer également tous les acteurs concernés, notamment la société civile et surtout les associations de protection des consommateurs. Les sanctions doivent être dissuasives pour diminuer au maximum les tentations», explique Mellati.

Les textes existants actuellement ont pris un sérieux coup de vieux et relèvent du code du commerce et du code pénal. «Il n'existe pas un texte stipulant explicitement la publicité mensongère, mais on parle souvent de fausses annonces, de déclarations biaisées pouvant induire en erreur», souligne notre interlocteur. Le plus souvent, la sanction reste dérisoire par rapport aux préjudices subis. Dans l'affaire Bab Darna, certaines victimes ont avancé l'épargne de leur vie. 

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