Deux ans après la généralisation de l’Assurance maladie obligatoire (AMO), ce chantier royal visant à offrir une couverture santé universelle à tous les citoyens, a connu des avancées significatives. Mais plusieurs défis sont encore à relever.
Par Désy M.
L'AMO qui, à son lancement, ne concernait que les travailleurs salariés, a été élargie à d’autres catégories. La généralisation de cette dernière a consisté à étendre la couverture santé aux travailleurs non-salariés, incluant agriculteurs, commerçants et professions libérales, ainsi qu’aux bénéficiaires du régime Ramed. Ceci a permis d’atteindre des chiffres impressionnants en termes d’adhésion et de gestion des prestations.
«Depuis fin 2022, nous avons intégré 26 à 27 catégories de travailleurs non salariés, ainsi que 4 millions d’anciens bénéficiaires du Ramed dans l’AMO Tadamon. Le nombre d’assurés immatriculés à la CNSS est passé de 7-8 millions à 25 millions, et le volume des dossiers traités quotidiennement a été multiplié par cinq, atteignant 110.000 par jour», a déclaré Hassan Boubrik, Directeur général de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), lors d’un débat organisé récemment par La Vie Eco. Malgré ces avancées, des lacunes persistent. Un rapport du CESE, présenté en novembre 2024 par son président Ahmed Réda Chami, révèle qu’«environ 8,5 millions de citoyens demeurent exclus de cette protection essentielle».
Toutefois, Boubrik nuance ce chiffre : «il s'agit de personnes qui ne se sont pas encore immatriculées ou dont les droits sont fermés faute de paiement des cotisations. L'accès à la couverture repose sur une responsabilité contributive». Il précise également qu’il est crucial de faire la distinction entre ceux qui n’ont pas encore entrepris les démarches nécessaires et ceux qui n’ont pas réglé leurs cotisations, un enjeu central dans la pérennité du système. Parallèlement, pour gérer cette transformation, la CNSS a investi dans la modernisation de ses systèmes d’information.
«Nous avons mis en place plus de 3.000 points de dépôt en partenariat avec des établissements de paiement. Ajoutez à cela la création d'un centre de relation client à Mohammedia, opérationnel avec 300 positions, qui répond à une demande croissante de service à distance», assure Hassan Boubrik. Par ailleurs, l’augmentation du nombre d’assurés s’est traduite par un afflux massif de patients dans les établissements de santé, notamment publics. Les Centres hospitaliers universitaires (CHU) constatent une hausse importante des demandes de prise en charge des maladies lourdes et des interventions coûteuses, forçant les hôpitaux à prioriser les urgences et les pathologies graves, dixit Raouf Mouhcine, directeur du CHU Ibn Sina à Rabat.
Le secteur privé : Une option
Face à cette pression, le Maroc a entrepris une réforme profonde de son système de santé. Selon Abdelkrim Meziane Belfkih, secrétaire général du ministère de la Santé et de la Protection sociale, cette réforme s’articule autour de quatre piliers majeurs : l’extension de l’offre sanitaire, avec une augmentation des capacités hospitalières et des infrastructures; la gouvernance, renforcée par la création d’institutions comme la Haute autorité de la santé et les Agences du sang et du médicament; l’optimisation des ressources humaines et de la fonction publique; et, enfin, la digitalisation, essentielle pour assurer la traçabilité et l’efficacité des remboursements.
Le système national ne pouvant reposer uniquement sur le secteur public, l’implication du secteur privé, en pleine expansion, constitue un levier essentiel pour la réussite de cette réforme. Avec des investissements importants dans de nouvelles infrastructures médicales, le privé permet d’assurer une réponse effective et efficiente à la demande croissante en soins spécialisés. Toutefois, elle pose aussi la question du déséquilibre entre le secteur public et le secteur privé.
Le professeur Yasser Sefiani, directeur de clinique, alerte sur une tendance préoccupante : «l’AMO a créé une concurrence bénéfique entre le public et le privé, mais aujourd’hui 92 à 93% des patients préfèrent se tourner vers le privé en raison de sa réactivité et de la qualité de ses prestations. Ce phénomène risque d’accroître les disparités d’accès aux soins». En outre, malgré les progrès réalisés dans le secteur de la santé, plusieurs défis demeurent. Premièrement, la pénurie du personnel médical reste préoccupante, avec seulement entre 16 à 18 professionnels de santé pour 10.000 habitants au Maroc, bien en deçà de la recommandation de l'OMS qui préconise 40 à 45 pour 10.000 habitants.
De plus, la révision de la tarification nationale de référence (TNR), qui date de 2006, est devenue indispensable, car elle ne reflète plus les coûts réels des prestations médicales actuelles. Enfin, l'intégration des populations non couvertes reste une priorité. Environ 5 millions de Marocains, ayant la capacité de cotiser, ne sont toujours pas affiliés au système de santé, ce qui nécessite l’élaboration d'une stratégie efficace pour les convaincre de rejoindre le système. Notons que pour optimiser la prise en charge des citoyens, la CNSS entend faire de la digitalisation un levier stratégique. Cette démarche prévoit la dématérialisation de la feuille de soins et la mise en place d’une plateforme permettant aux médecins de saisir directement les actes et prescriptions.