Google, qui ne s’est pas conformé aux injonctions françaises relatives aux droits voisins, a finalement été condamné à payer une amende de 500 millions d’euros en 2021.
Au Maroc, la restructuration du secteur de la presse, dont le business model est challengé par le digital, est un prérequis fondamental pour la mise en œuvre des droits voisins.
Par M. Diao
Les démocraties modernes œuvrent à la consolidation de la presse, communément appelée le «quatrième pouvoir». C’est dire la centralité du secteur pour l’ancrage de la démocratie, qui ne se porte pas bien dans plusieurs pays. Ceci dit, le modèle d’affaires des médias, notamment celui de la presse écrite, a été fortement impacté par la montée en puissance du digital, lequel a investi quasiment toutes les branches d’activité et le quotidien des consommateurs. Sous l’effet de l’adoption massive des outils digitaux facilitant l’accès à l’information, les habitudes de lecture, de consommation de contenus ainsi que les manières de s’informer ont évolué substantiellement.
Cette donne quasi irréversible a dilué l’engouement des lecteurs pour les journaux papier. Les annonceurs, en quête d’une meilleure visibilité, ont basculé légitimement vers les plateformes numériques de plus en plus populaires (Google, Facebook, Instagram…), tout en accordant un grand intérêt à la presse électronique. Résultat des courses : au Maroc, les entreprises de presse classique (papier) ont été contraintes de réduire drastiquement le nombre de tirages des journaux, tout en s’orientant de plus en plus vers le digital. Au Maroc, 80% des recettes publicitaires sont captés par les plateformes des géants mondiaux du web. Ce qui, à l’évidence, constitue une réelle menace pour le business model des entreprises de presse du Royaume.
Ce qui s’est fait en Europe
Dans l’optique de protéger le secteur de la presse et lui permettre de tirer profit du digital, à l’instar des autres secteurs, les responsables européens ont adopté, le 17 avril 2019, la directive 2019/790/UE du Parlement européen et du Conseil sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique. La directive européenne introduit un nouveau droit pour les éditeurs de presse, visant à faciliter l'octroi de licences pour l’utilisation de leurs publications en ligne. Ce qui permet aux éditeurs de mieux défendre leurs droits et d’obtenir une rémunération afin de récupérer leurs investissements et ainsi assurer la pérennité du secteur de l’édition de presse. Cette problématique a été au centre d’un panel lors de la conférence internationale organisée récemment à Marrakech, sous le thème «La transformation digitale : Entre régulation et compétitivité».
«Le Parlement français a légiféré sur les droits voisins en transposition de la Directive européenne en la matière», a indiqué Benoit Coeuré, président de l’Autorité de la concurrence française. Ce dernier a rappelé quelques motifs exposés à l’Assemblée nationale française dans le cadre de l’adoption de la loi sur les droits voisins. «La diffusion numérique de la presse a permis d’élargir son lectorat, mais celle-ci ne peut constituer un véritable progrès démocratique durable qu’en respectant l’indépendance et la pluralité de la presse et en garantissant un journalisme de qualité. En l’absence de reconnaissance d’un principe de propriété des productions issues de leur travail, les éditeurs et agences de presse ne peuvent concéder des licences pour l’utilisation de leurs publications et amortir leurs investissements», préciset-il. Notons que l’Autorité de la concurrence française a été saisie d’une plainte de la part des éditeurs de presse contre Google pour non application de la rémunération des droits voisins, au regard de l’arsenal juridique européen et français. Ce qui a conduit l’Autorité à prononcer, dès avril 2020, des mesures d’injonction dans le cadre de procédures d’urgence contre Google. Le géant du web, qui ne s’est pas conformé aux injonctions françaises, a finalement été condamné en 2021 à payer une amende de 500 millions d’euros.
Quid du Maroc ?
L’expérience internationale montre que les géants du web, très regardants sur leurs intérêts économiques, ne rémunèrent pas les droits voisins de façon volontaire. Ils sont très souvent contraints par les autorités publiques à respecter la législation en la matière. La situation au Maroc est parfaitement expliquée par l’assertion de Fatima Zahra Ouriaghli, vice-présidente de l’Association nationale des médias et des éditeurs (ANME) et numéro 2 du Conseil national de la presse (CNP). «L’histoire de la presse et des droits voisins se construit et se poursuit en France… Celle du Maroc va aussi commencer, puisque le fait de contraindre le mastodonte du web, notamment Google, à respecter l’arsenal juridique en matière de droits voisins en France, peut être considéré au Maroc comme une jurisprudence», analyse-t-elle. Fatima Zahra Ouriaghli est formelle. Le sujet des droits voisins est sous-tendu par un rapport de force, puisque les géants du web puisent du contenu commercialisable sans donner de contrepartie à la presse. Et cette situation préjudiciable pour les entreprises marocaines de presse n’est guère tenable sous l’angle de la viabilité économique. D’ailleurs, Younès M’jahed, président du CNP, qui met en exergue le caractère crucial de la mise en œuvre des droits voisins au Maroc, souligne l’urgence de l’adoption de la convention collective du secteur.
«Il est essentiel de commencer par le commencement au Maroc, en restructurant notamment la filière de la presse. Nous avons recensé l’existence de 500 entreprises de presse électronique, dont 50% sont des sociétés individuelles, composées d’un seul salarié. C’est dire la difficulté pour ces entreprises d’assurer des revenus adéquats pour l’investissement nécessaire à la construction d’une presse de qualité», soutient le patron du CNP. Et de concéder : «Il est impossible de négocier avec les GAFA, tout en ayant plusieurs contradictions et problèmes qui handicapent le secteur des médias au niveau national». Pour sa part, Mohamed Ezzouak, membre du bureau exécutif de la FMEJ, qui en appelle au réalisme et à la prise de conscience de l’énorme force de frappe de Google et de sa position dominante sur le marché numérique mondial, fait une suggestion difficilement contestable. «Il faudra s’assurer du soutien des pouvoirs publics afin de multiplier les chances d’obtenir gain de cause en matière de droits voisins contre Google dans notre pays. Il importe aussi de garder à l’esprit que le Maroc constitue un petit marché pour les géants du web. D’où la pertinence de mener la réflexion au niveau continental pour être mieux pris en compte par les GAFA», conclut-il.