«Pour attirer les investissements, il faut préparer le capital humain à l’avance»

«Pour attirer les investissements, il faut préparer le capital humain à l’avance»

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La grande partie des objectifs fixés dans la Stratégie 2013-2016 a été exécutée. Outre les métiers mondiaux, notamment l’aéronautique et l’automobile, le ministère est en phase d’intro-duire les métiers qui, jusqu’ici, n’existent pas encore au Maroc. Lahcen Daoudi, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres, revient sur l’état d’avancement de la Stratégie 2013-2016, les réalisations-phares, mais aussi sur les obstacles qui persistent.

Finances News Hebdo : Vous êtes depuis 4 ans à la tête du ministère de l’Enseigne-ment supérieur. Quelles sont les principales réalisations que vous avez achevées ? La Stratégie 2013-2016 va-t-elle bon train ?

Lahcen Daoudi : Le sureffectif des étudiants par rapport aux capacités, le nombre insuffisant d’enseignants-chercheurs, la recherche scientifique et quelques réformes, entre autres, celle de la loi 01-00, sont autant de problèmes dont souffrait l’université marocaine. Aujourd’hui, après 4 ans à la tête de ce ministère, je peux dire que l’essentiel a été fait, notamment par rapport aux objectifs fixés dans la Stratégie 2013-2016. Ce qui ne veut pas dire que nous avons résolu tous les problèmes, mais si nous prenons en considération ce qui est dans le pipe, je peux dire que notre programme est bouclé, et que nous allons même au-delà de ce qui était prévu. Pour le suref-fectif des étudiants, hormis quelques points noirs au Nord, la question est quasiment résolue. Nous avons débloqué les budgets nécessaires pour la construc-tion des infrastructures qui a déjà commencé. Vu ce qui est engagé, nous n’aurons plus de problème de sureffectif par rapport aux capacités des universités une fois les travaux achevés. En ce qui concerne les enseignants-chercheurs, nous sommes passés de 300 chercheurs affectés aux universités en 2012 à 1.300 enseignants, en 2015, dont 500 nouveaux postes, 300 postes de contractualisation et 500 postes de la transforma-tion. Ce qui est énorme. Concernant la recherche scientifique, le problème du financement ne se pose plus, puisque le ministère a injecté 300 MDH, l’OCP a mis à la disposition de la R&D au Maroc 190 MDH, Managem 30 MDH et la Fondation Lalla Salma 10 MDH. Toutefois, le vrai problème qui se pose aujourd’hui est la gestion et la répartition de ces fonds. Parce qu’il ne suffit pas d’injecter de l’argent, encore faut-il le suivre. Il faut étudier d’abord les appels à projet, et nous ne sommes pas outillés. Ensuite, il faut contrôler la marche du contrat avec les enseignements et analyser le rendu. Pour accompa-gner les universités dans ce processus, il faut que le Centre national pour la recherche scientifique et technique (CNRST) soit étoffé en capital humain. Quant à la loi n°01-00 portant organisation de l’enseignement supérieur, le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scien-tifique a livré ses remarques que nous allons inté-grer (notamment celles qui sont intégrables). Cette loi sera prochainement soumise au gouvernement. Pour ce qui est de la loi n°80-12 relative à l’Agence nationale d’évaluation et de garantie de la qua-lité de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, elle a été publiée au mois d’août 2014. D’ailleurs, nous avons récemment nommé un direc-teur par intérim et alloué des postes budgétaires pour 2015 pour le recrutement. Cette agence sera opérationnelle vers la fin de l’année en cours.

F.N.H. : Maintenant que vous avez les finan-cements nécessaires pour la recherche scientifique, quelle est la prochaine étape ?

L. D. : Nous avons, dans un premier lieu, ajouté un article dédié à la recherche scientifique dans la loi 01-00. Aussi, en collaboration avec le ministère des Finances, nous travaillons pour alléger les lourdeurs administratives de la dépense pour les enseignants-chercheurs. Nous avons lancé les premiers projets et signé les conventions pour commencer à affecter les budgets. A noter que pour le premier appel à projet lancé de 300 MDH, 150 des 396 projets soumissionnés étaient à l’international. Pour le deuxième appel à projet de 90 MDH avec l’OCP, sur les 272 soumis-sions, nous avons reçu 223 à l’international, avec la participation de 29 pays dont les Etats-Unis, le Canada, l’Afrique du Sud… Ce qui implique que les étrangers ont confiance en notre système universitaire, contrairement aux Marocains qui en ont une image plutôt négative. Il faut savoir que nous avons de bons chercheurs au Maroc avec beaucoup de compétence, mais qui, malheureusement, n’étaient pas assez mobilisés, faute de moyens. Sans oublier, l’effort fourni par les chercheurs maro-cains à l’étranger, qui jouent un rôle important dans la mobilisation des universités étrangères au profit de notre pays.

F.N.H. : Quels sont les domaines les plus prioritaires de la recherche scientifique aujourd’hui ?

L. D. : Tous les domaines sont concernés par la recherche scientifique. Rappelons que le premier appel à projet a porté sur les domaines prioritaires de la recherche scientifique. Le deuxième a concerné tous les domaines en rapport avec l’OCP. Quant au prochain appel à projet d’une enveloppe de 200 MDH (100 MDH avancés par le ministère et 100 MDH par l’OCP), le financement sera injecté dans le secteur agricole. D’autres projets sont également dans le pipe, notam-ment avec Managem, la Fondation Lalla Salma et les Eaux et Forêts.

F.N.H. : Pour renforcer son attractivité, le Maroc a fait un choix judicieux relatif au développement des métiers mondiaux. Comment l’enseignement supérieur accom-pagnet-il cette vision ?

L. D. : Non seulement nous avons introduit les métiers mondiaux, notamment l’aéronautique et l’automobile, mais nous sommes aussi en phase d’introduire les métiers qui n’existent toujours pas au Maroc. C’est le cas des masters en analyse de big data, des masters dans les terres rares qui seront lancés l’année prochaine, les masters en batteries au lithium et ceux dans les schistes bitumineux. Pour revenir au secteur de l’automobile, nous allons pro-céder à un diagnostic pour établir un état des lieux relatif aux 50 métiers de l’automobile, dans l’objectif d’implémenter ceux qui manquent dans nos univer-sités. Nous devons couvrir tous ces métiers à l’hori-zon 2017 pour pouvoir fabriquer le moteur made in Morroco. Les défis à relever sont de réduire l’écart en termes de spécialité par rapport à ce qui se passe chez nos voisins. Nous devons être avant-gardistes et anticiper les besoins. Pour attirer les investisse-ments, il faut préparer le capital humain à l’avance.

F.N.H. : Vous avez fait de la généralisation de la langue anglaise dans les universités votre cheval de bataille. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

L. D. : Le processus de mondialisation dans lequel s’est lancé le Maroc impose la maîtrise de la langue anglaise. Pour cela, l’anglais deviendra, à partir de cette année, indispensable pour accéder aux facultés des sciences, des techniques et de médecine.

F.N.H. : Quels sont les défis majeurs à rele-ver pour réussir la réforme pédagogique des universités ?

L. D. : Le défi majeur est la culture de la transfor-mation rapide. Il faut que la culture du changement soit inculquée chez l’enseignant, l’étudiant et dans la société. Il ne faut surtout pas reproduire ce qui a été déjà fait, mais innover sans cesse. Les nouvelles promotions seront toutes formées aux nouvelles méthodes d’enseignement. Pour se donner les moyens de réussir cette mise à niveau de l’univer-sité, nous allons lancer la vente de tablettes pour les étudiants, à partir de 1.200 DH, et généraliser l’ac-cès à Internet au niveau des universités. On a beau faire des réformes, si parallèlement il n’y a pas une mise à niveau de la formation dans les universités, de l’usage des nouvelles technologies et de l’anglais, le problème ne sera jamais résolu.

F.N.H. : Outre la mise à niveau de l’univer-sité, l’aboutissement de la réforme péda-gogique repose également sur un système éducatif primaire et secondaire efficace, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Quelles sont les retombées de la panne du système édu-catif sur l’enseignement supérieur ? L. D. : Il est vrai que le système éducatif souffre d’un sérieux problème d’ordre qualitatif. Aujourd’hui, le vivier où puiser les ingénieurs est de plus en plus réduit. A noter que nous sommes actuellement à -2% des baccalauréats mathématiques et +20% des baccalauréats en lettres et sciences sociales, ce qui est inquiétant. Il faut impérativement renforcer la place des mathématiques dans le préscolaire et le scolaire pour arriver à environ 70% de baccalauréats scientifiques et 30% littéraires.

F.N.H. : Outres les universités publiques, le Maroc a connu, ces dernières années, la prolifération des universités privées. Où en êtes-vous dans la procédure de reconnais-sance de ces universités ?

L. D. : Le décret est finalisé, signé et publié. Actuellement, nous sommes en phase de mettre en place les critères d’éligibilité pour la reconnais-sance. Les universités doivent soumettre un dossier, qui sera examiné par une commission. Et seules celles qui répondront aux critères obtiendront la reconnaissance étatique pour une durée de 5ans, renouvelable.

F.N.H. : Qu’en est-il du partenariat public-public et public-privé dans l’enseignement supérieur ?

L. D. : En ce qui concerne le partenariat public public, l’Université euroméditerranéenne de Fès a signé un partenariat avec les universités du Portugal, de France, d’Espagne, d’Italie et de la Tunisie. Les étudiants marocains vont pourvoir passer une année, en tronc commun, dans l’une de ces universités étrangères et obtenir un double diplôme. Ce qui sera également le cas pour les étudiants étrangers. Aussi, l’Ecole Centrale de Paris a-t-elle un parte-nariat avec l’Institut de logistique de Tétouan. Et nous sommes en discussion avec les Allemands pour la création d’une école d’ingénieurs à Meknès. Concernant le partenariat public-privé, rien n’a été initié pour l’instant. Mais ça viendra.

F.N.H. : Quels sont les garde-fous à mettre en place pour réussir le partenariat public-privé dans l’enseignement supérieur ?

L. D. : Il faut impérativement que les conventions soient claires et précises. Une convention vague laisse la porte ouverte à toutes les dérives. Il faut mettre les moyens nécessaires pour contrôler et faire le suivi. Sachez que les universités privées qui obtiendront la reconnaissance seront contrôlées par des bureaux d’études régionaux, qui veilleront au respect des cahiers des charges. Pour mieux maîtri-ser le processus, nous allons être très exigeants sur les critères, afin de ne reconnaitre que les meilleures universités privées. Il n’est pas question de brader la reconnaissance. La référence aujourd’hui ce sont les ENCG. Donc, pour être reconnues, les universités devront s’aligner sur l’Etat.

F.N.H. : Un dernier mot pour clore cet entre-tien…

L. D. : Il faut savoir que le Maroc ne compte que 700.000 étudiants en 2015, contre 485.000 en 2012, pour une population de 34 millions de citoyens. Un taux très faible comparativement aux pays émergents. Alors que pour figurer dans le rang des pays développés, il faut au minimum 2 millions d’étudiants. On est encore loin du compte ! Il faut que l’université encadre la société, et que la science soit diffusée dans tous les foyers. Mon sou-hait est que tout Marocain ait au moins une licence ou du moins le niveau Bac. Ce sont les défis qu’il faudra relever dans les prochaines années. Aujourd’hui, le train vient tout juste de sortir de la gare. Il y a encore du chemin à parcourir. Et je tiens à dire aux jeunes «soyez optimistes, l’avenir est entre vos mains»..

Propos recueillis par L. Boumahrou

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