Politiques publiques : «La Coupe du monde 2030 est un tournant pour l’économie nationale»

Politiques publiques : «La Coupe du monde 2030 est un tournant pour l’économie nationale»

Au-delà de son aspect sportif et médiatique, l’organisation de la Coupe du monde 2030 est une occasion pour le Maroc de développer ses infrastructures de base, d’améliorer ses sites d’accueil, de restauration et d’autres services. Entretien avec Moncef El Yazghi, expert en politiques publiques.

Finances News Hebdo : Le Maroc va organiser la Coupe du monde 2030. Peut-on s’attendre à un rebond économique à l’image de ce qui s’est passé en Espagne en 1982 ?

Moncef El Yazghi : Les circonstances sont différentes. La Coupe du monde en 1982 a été organisée 7 ans après le décès du général Franco. L’Espagne voulait consolider sa démocratie nouvellement installée pour donner une bonne image à l’Europe. Car elle allait rejoindre l’Union européenne en 1986. Sur le plan économique, le pays disposait déjà de potentialités économiques importantes. Il va développer particulièrement ses infrastructures pour les Jeux olympiques organisés à Barcelone en 1992 qui ont bénéficié de 90% du budget total dédié à l’événement. Seuls 10% étaient destinés pour le volet organisation et sportif. A cette date, la ville catalane accueillait 2,3 millions de touristes et au bout de 15 ans, ce chiffre grimpait à 15 millions. Pour le Maroc, le sport peut remédier aux échecs des politiques publiques en matière de modernisation et de développement des infrastructures de base. Pour un événement comme la Coupe du monde, notre pays n’a pas beaucoup de choix d’autant que le mandat du gouvernement est limité dans le temps. Sous l’effet de certaines contraintes exogènes et endogènes, le programme des engagements risque de ne pas être respecté. Il faut savoir que la FIFA impose un cahier des charges. Elle a une autorité sur l’évènement qui dépasse celle du pays organisateur. Celui-ci donne dès le départ des garanties pour respecter certaines clauses. Ce qui va être réalisé en seulement six ans correspond à ce qui devait être concrétisé en 20 ans. Le Maroc va donc gagner 14 ans de développement. Contrairement aux précédentes candidatures, pour 2030 le Maroc ne va construire qu’un seul stade. Par le passé, la plupart des stades n’étaient que des projets. En 2004, lorsque le Royaume n’a pas été retenu pour l’organisation du Mondial 2010 au détriment de l’Afrique du Sud, le jour même, Driss Jettou, alors Premier ministre, avait déclaré que sous l’impulsion de SM le Roi, le Maroc va entamer la construction des infrastructures sportives comme s’il était le véritable organisateur. Cela a permis de réaliser quatre terrains en même temps, renforçant la plateforme sportive et l’image du Maroc.

 

F. N. H. : Est-il possible d’avoir l’effet contraire comme ce fut le cas pour le Brésil, la Russie, l’Afrique du Sud où l’organisation de la Coupe du monde s’est soldée par des investissements à perte ?

M. E. Y. : Le Maroc a fixé un budget prévisionnel de la Coupe du monde 2030 de 5,1 milliards de dollars, qui englobe l’organisation et les infrastructures. Il est donc important d’éviter ce qui s’est passé pour l’Afrique du Sud, la Russie ou le Brésil. L’Afrique du Sud avait fixé un budget de 225 millions de dollars. Mais ses prévisions ont été par la suite complètement faussées au point que l’enveloppe a été rallongée à 2,1 milliards de dollars. Ce pays a construit de grands terrains de football nécessitant un budget d’entretien de 5 milliards de dollars. Ce sont des stades dont la capacité d’accueil atteint 80.000 spectateurs chacun; sauf que pour les matchs de championnat, seules quelques centaines de personnes y assistaient. L’Afrique du Sud ne pouvant pas rentabiliser ce genre de projets, elle était contrainte de démolir deux stades. Pour le Brésil, certains stades sont devenus des parkings pour véhicules ou des lieux pour l’organisation de spectacles. Car ils étaient construits dans des villes où les équipes locales jouaient dans des divisions inférieures et donc n’attiraient pas beaucoup de spectateurs. Ces projets ont mobilisé de gros investissements sans générer d’effet sur le football local. Le même phénomène s’est produit également en Russie. L’Etat a voulu assurer une diversification géographique et il a transféré la propriété des stades aux régions. Plusieurs d’entre eux sont implantés dans des villes où il n’y pas une grande équipe qui peut attirer une grande affluence. Pour le Mondial 2030, le Maroc ne va construire que le stade de Benslimane; les autres sont déjà construits. Chaque stade accueille les spectateurs des équipes locales comme le Wydad et le Raja pour le stade Mohammed V, le FUS et les FAR pour le complexe Moulay Abdellah, le MAS pour le stade de Fès, l’Ittihad de Tanger pour celui de Tanger, le Hassania pour le complexe d’Agadir, et enfin le Kawkab pour le complexe de Marrakech.

 

F. N. H. : Peut-il y avoir un retour sur investissement direct de cet événement ?

M. E. Y. : Les recettes des billets, du marketing et de la diffusion reviennent directement à la FIFA. Entre les investissements réalisés et les revenus générés, il devrait y avoir un large déphasage, et c’est le cas pour les précédentes éditions. C’est l’effet d’entraînement qui est attendu, notamment sur de nombreuses activités comme le tourisme, la restauration, l’hébergement, l’événementiel et en général les produits de consommation. Aussi, il existe un impact sur le long terme pour l’économie nationale. Qatar a dépensé 220 milliards de dollars pour l’organisation de la Coupe du monde 2022. Le pays n’a généré en fin de compte que 17 milliards de dollars, soit 7% seulement du budget total. Sur le plan sportif, je vais vous rappeler l’exemple des Jeux méditerranéens de 1983 de Casablanca. Outre le renouvellement de certaines infrastructures comme le complexe Mohammed V de Casablanca, la construction de celui de Moulay Abdellah à Rabat, l’organisation de cet événement a permis d’augmenter de 30% le nombre de pratiquants sportifs ayant une licence. Le phénomène a concerné plusieurs disciplines, surtout celles qui ont fait émerger des champions comme les deux frères Achik dans la boxe. Après la prouesse des Lions de l’Atlas au Qatar en 2022, on observe une forte demande d’inscription par les jeunes dans les écoles de football.

 

F. N. H. : Mais paradoxalement, le nombre de licences dans le sport reste faible par rapport au potentiel existant ?

M. E. Y. : Effectivement, le nombre de licences recensées par la Fédération royale marocaine de football (FRMF) est de 85.000. Rapporté à la population globale du Maroc, ce chiffre est insignifiant (2,1%). Sur l’ensemble des fédérations, il ne dépasse pas 1%. Ces indicateurs montrent que le Royaume n’est pas une nation de football, comparé à d’autres pays. Mais l’espoir est grand avec le Mondial 2030. L’organisation de cet événement suscite de l’intérêt auprès des citoyens marocains. C’est un stimulateur pour inciter les joueurs à adhérer à des clubs. Toutefois, une contrainte subsiste, qui est relative à la capacité d’accueil et les infrastructures nécessaires. Ces deux facteurs sont essentiels pour que la Coupe du monde ait un effet sur la pratique sportive. J’insiste sur le volet infrastructures, car l’organisation d’une Coupe du monde ne signifie pas seulement se doter des stades, il faut aussi tout un écosystème dédié. Les visiteurs ont besoin d’établissements de restauration avec animation, des lieux de loisir, de shopping et autres. Il faut se demander aussi si la société marocaine peut accepter d’autres cultures. C’est vrai que le Maroc est un pays touristique, mais une certaine catégorie de la population est conservatrice et ne tolère pas certaines pratiques. Il est question aussi d’assurer un maximum de sécurité (tolérance zéro) pour éviter les agressions des visiteurs. L’enjeu est de taille et la Coupe du monde sera un tournant pour le Royaume. Il faut s’attendre à un autre Maroc par la suite.

 

 

 

 

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