Au fil des ans, le cadre légal régissant la politique de la concurrence a connu des changements notables. En 2011, la nouvelle Constitution a donné une impulsion importante à la régulation du marché. Toutefois, la formation économique des juges et analystes, l’articulation de l’avis du Conseil de la concurrence avec celui d’un régulateur sectoriel posent problème.
Un simple diagnostic montre que la situation des marchés est loin d’être parfaite et nécessite impérativement d’être régulée. Des monopoles, des ententes, des oligopoles… des abus de position, qui portent souvent préjudice à l’économie, en général, et au consommateur, en particulier, persistent et inquiètent à plus d’un titre. Les exemples édifiants de ce genre de pratiques ne manquent pas. Dans ses deux dernières éditions, notre hebdomadaire a attiré l’attention sur deux exemples de concurrence déloyale, relatifs respectivement aux secteurs de commissariat aux comptes et des assurances. Des pratiques qui sont lourdes de conséquences pour toute l’économie. Dans sa dernière lettre, le Centre marocain de conjoncture s’est penché sur le cadre légal de la concurrence, qui, au fil des ans, a connu des changements notables. Mais cela n’empêche que des défis restent à relever.
Il est à rappeler qu’à partir de 2000, le Maroc s’est doté d’un cadre juridique sur la concurrence, en adoptant une loi sur la liberté des prix et la concurrence. Cette loi a consacré le principe de la liberté des prix et de la concurrence, affirmé la prohibition des pratiques anticoncurrentielles faussant le libre jeu de la concurrence, et prévu la création d’une instance consultative. Le Conseil de la concurrence a ainsi été créé en 2008, doté d’une mission consultative dans le domaine de la concurrence. Une configuration qui était en déphasage avec la tendance internationale, qui confère aux instances de la concurrence un statut indépendant, tout en les dotant d’un pouvoir important. En 2011, la nouvelle Constitution avait donné une impulsion importante à la régulation de la concurrence. Qualifié d’autorité administrative indépendante, le Conseil est, selon les termes de la Constitution, chargé d’assurer la transparence et l’équité dans les relations économiques, notamment à travers l’analyse et la régulation de la concurrence sur les marchés, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, des pratiques commerciales déloyales et des opérations de concentration économique et de monopole.
Des zones d’ombre subsistent
En 2014, le cadre légal de la concurrence a connu, pour sa part, une mutation profonde, qui s’est traduite par la consolidation de la régulation de la concurrence et le renforcement des prérogatives de l’institution qui en est chargée. Ce nouveau dispositif juridique apporte certes une modernisation importante dans le domaine de la politique de la concurrence, et répond à plusieurs insuffisances du cadre précédent. On peut citer, à cet égard, le fait que le Conseil de la concurrence a acquis le statut d’autorité administrative indépendante dotée de pouvoirs de décision et de sanction dans les domaines de l’antitrust. Pour ce qui est des pratiques anticoncurrentielles, les décisions du Conseil peuvent désormais se traduire par des injonctions, des mesures conservatoires et des sanctions pouvant atteindre 10% du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise. Les procédures de saisine sont par ailleurs, élargies étant donné que le Conseil peut être saisi directement par les entreprises qui ne sont pas obligées de solliciter les chambres professionnelles pour le saisir. Le Conseil peut, par ailleurs, intervenir de sa propre initiative. Ce qui va lui permettre de prendre une part plus active dans la surveillance du fonctionnement des marchés.
Les avancées édictées ci-dessus ne doivent pas occulter que des défis persistent encore. Le premier est relatif à la mise en oeuvre du cadre juridique de l’articulation entre régulation sectorielle et régulation de la concurrence et de la formation des juges appelés à trancher les affaires de concurrence.
Le Conseil ne jouit pas de l’exclusivité dans l’application de la politique de la concurrence. Dans les télécommunications, en particulier, le régulateur sectoriel possède des prérogatives importantes dans le domaine de la concurrence. «Si le nouveau cadre de la concurrence prévoit des consultations mutuelles entre les deux régulateurs, il ne tranche pas le problème de l’articulation des compétences», soulignent les conjoncturistes. Il n’est donc pas exclu de voir émerger des différends institutionnels et des divergences d’interprétation des principes de concurrence entre les deux régulateurs.
Un autre défi important ayant trait à la formation des juges qui sont des acteurs importants de la régulation, pèse de tout son poids. L’un des enjeux, à ce sujet, est la formation économique des juges. «L’approche économique devient au niveau international, une composante fondamentale de la régulation de la concurrence», insistent les analystes du CMC.
Autres procédures…
La modernisation du droit de la concurrence au Maroc se cristallise, par ailleurs, par l’adoption des procédures négociées et par l’introduction d’une règle de minimis exemptant les accords d’importance mineure. Les procédures négociées se présentent comme des alternatives aux procédures contentieuses classiques, lourdes et coûteuses. Il s’agit des programmes de clémence, de non-contestation des griefs et d’engagements. Ces procédures ont pour particularité d’associer les acteurs économiques. Ces programmes permettent à un membre d’une entente d’être amnistié de tout ou partie des amendes, en échange d’informations permettant de prouver celles-ci. La procédure de clémence a pour objectif de lutter efficacement contre la pratique des cartels.
Soubha Es-siari