Pétrole russe: le Maroc joue-t-il avec le feu ?

Pétrole russe: le Maroc joue-t-il avec le feu ?

Accusés d’aider les Russes à contourner l’embargo sur le pétrole, les pétroliers marocains font face à une nouvelle polémique.

 

Par A. Hlimi

Tout a démarré début janvier quand l’agence de presse Reuters, reprenant des données de Refinitiv, révélait que la Russie a intensifié ses livraisons de diesel au Maroc et à la Turquie, cherchant à acheminer ses produits pétroliers avant un embargo de l'UE qui allait entrer en vigueur en février.

Les terminaux de Refinitiv, parmi les nombreuses data financières qu’ils diffusent, collectent et recoupent des données sur les expéditions et des images satellite des paquebots et des cuves. Ils montraient que les approvisionnements en diesel de la Russie vers le Maroc sont passés à 735.000 tonnes en 2022 après seulement 66.000 tonnes en 2021, et ont totalisé environ 140.000 tonnes depuis le début de 2023. Des chiffres qu’on ne retrouve pas dans les statistiques de l’Office des changes.

D’abord parce que nous ne disposons pas de données par pays de provenance, et puis parce que les données montrent que le Maroc a importé 2,4 milliards de produits pétroliers, soit 10% des importations de toute l’année 2022, et donc pas de décalage important par rapport à la moyenne. De plus, la hausse des importations de pétrole (+30% sur l'année) est imputable à un effet prix important que nous ne pouvons pas isoler. Cette polémique aurait donc pu s’arrêter là. Mais c’était sans compter sur le groupe USFP au Parlement, qui a introduit une question écrite à la ministre de l’Economie et des Finances, réclamant des explications sur «les entreprises spécialisées dans l'importation et la distribution des produits pétroliers. Cellesci ont commencé à importer du gasoil russe pour répondre aux besoins du marché national. Un carburant à bas coût, mais qui ne se reflète pas sur le prix de vente».

Et alors que l’Union européenne, dans le cadre de l’embargo décidé par le G7, avait convenu d'une interdiction totale des importations de produits pétroliers russes à partir de février 2023, voilà que le Wall Street Journal (WSJ) remet de l’huile sur le feu. Il indique dans la foulée que non seulement les importations de pétrole russe par le Maroc ont augmenté, mais que les quantités sont beaucoup plus importantes que toute la demande nationale. Et d’accuser clairement le Maroc et d’autres pays d’Afrique du Nord, comme la Tunisie, d’être des pays tremplin permettant aux Russes et à certains pays européens de contourner l’embargo. Pour le journal américain, «l'augmentation des importations par la Tunisie et le Maroc coïncide avec une hausse de leurs exportations de produits raffinés», laissant entendre que ces expéditions russes sont mélangées à d'autres produits pétroliers, puis réexportées par les deux pays. Ce à quoi répond le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas  : «l’importation du gasoil russe est restée sous la barre de 10%, soit le volume d’importation historique qui s’est stabilisé à 9% en 2020 et à 5% en 2021 et de nouveau 9% en 2022».

Pour vérifier les accusations du WSJ, qui font planer le risque de frictions entre le Maroc et les Occidentaux, et notamment l’administration Biden, il faudra attendre les données de l’Office des changes pour le mois de février. Car, selon le WSJ, «le Maroc, qui n'a jamais enregistré d'exportations importantes de diesel, a expédié le mois dernier 280.000 barils de diesel vers les îles Canaries et 270.000 barils vers la Turquie, ce qui a coïncidé avec les importations de diesel russe au Maroc».

Les quantités importées par les pays d'Afrique du Nord sont trop importantes pour eux, a déclaré un analyste chez Kepler, qui s'attend à ce que certains produits russes reviennent en Europe. Le Maroc avait approuvé en septembre dernier la résolution de l'ONU condamnant les «annexions illégales» de territoires ukrainiens. La semaine dernière, le Royaume a maintenu son positionnement politique en votant une résolution exigeant de nouveau le retrait des forces russes de l'Ukraine. Pour Baitas, si le pétrole russe est un non sujet, en revanche, le Maroc s’est employé à augmenter sensiblement les importations du charbon russe, ce qui a permis la maîtrise du coût de production de l’électricité au Royaume. Quant au prix à la pompe, quelle que soit la provenance, c’est l’offre et la demande qui prévalent, alors que les distributeurs sont encore soupçonnés d’entente sur les prix. A suivre !

 

 

 

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